Par Adnan Abu Amer
La décision du chef de l’Autorité Palestinienne (AP) Mahmoud Abbas de reporter les élections législatives palestiniennes est clairement conforme aux exigences des autorités d’occupation qui ont rejeté ces élections dès le début par crainte d’une victoire possible du mouvement Hamas.
Ce serait un revers pour l’équipe de négociation, créant une atmosphère politique similaire à ce qui a suivi les élections de 2006. La décision de report a déclenché une vague de colère parmi les Palestiniens, tandis que le commandement sud de l’armée israélienne d’occupation surveille la situation.
Bien qu’Abbas ait pointé du doigt Israël pour ne pas avoir permis aux Palestiniens de voter à Jérusalem-Est, ce n’est un secret pour personne que la Palestine verra se développer de graves tensions en raison de cette décision unilatérale, car les accusations d’Abbas n’ont pas convaincu les Palestiniens.
Tout a commencé lorsque l’AP a envoyé une lettre à Israël demandant l’autorisation à 6300 Palestiniens de Jérusalem-Est de voter dans les bureaux de poste, comme lors des précédentes consultations. Cependant, les autorités d’occupation n’ont pas répondu à la demande. D’un autre côté, Abu Mazen (Abbas) sait que les élections vont signifier un terrible désastre pour le Fatah car la liste du mouvement pourrait se retrouver à la quatrième place en nombre de candidats élus, et obtenir moins de voix que le reste des listes, lesquelles devraient remporter le plus grand nombre de suffrages.
Abbas craignait que ses adversaires – le Hamas, Mohammed Dahlan et Marwan Barghouti – puissent obtenir des résultats qui le mettraient sur la touche. Par conséquent, et afin d’éviter cette éventualité redoutée pour le chef de l’Autorité palestinienne, il a annoncé le report des élections et en a fait porter la responsabilité à Israël, qui à son tour craint le déclenchement de manifestations pour protester contre cette décision brutale.
Dans le même temps, le report des élections a provoqué une nouvelle scission au sein de la direction du Fatah. Jibril Rajoub, qui veut candidater pour succéder à Abbas, aux côtés de Majid Faraj et Hussein Al-Sheikh, a poussé dans le sens du maintien du calendrier électoral et n’a pas tenté de dissimulé ses ambitions de prendre la tête de l’AP.
Suite à la décision d’Abbas, l’armée israélienne d’occupation a commencé à se préparer sur le terrain pour surveiller les réactions palestiniennes car il est évident que retarder les élections contrarie fortement le Hamas, qui est presque certain de gagner. Pour Israël, la victoire du Hamas au Conseil législatif palestinien (CLP) est un cauchemar qui ne doit jamais se produire, sous aucune forme.
De multiples sources ont confirmé que l’Autorité Palestinienne a déjà payé un lourd tribut en raison des conflits internes et des dommages causés à sa réputation, tant localement qu’à l’étranger, en particulier lorsque la rupture avec le Hamas est devenue plus évidente que jamais. Bien que l’annulation des élections ne conduise pas nécessairement à l’éclatement d’un «printemps palestinien», la situation sera différente cette fois car, après 15 ans de tentatives pour tenir des élections législatives, tout s’est toujours soldé par un échec complet.
Ces dernières semaines les dirigeants de l’AP n’ont eu de cesse de faire allusion au report ou au gel des élections en raison d’un désaccord avec Israël sur leur tenue à Jérusalem, comme par le passé. D’après ce que nous savons, l’AP a tenté d’invoquer le manque de pression internationale sur Israël pour justifier un éventuel retrait du Fatah des élections.
Cela a coïncidé avec l’éclatement de conflits au sein du mouvement, dont l’image s’est largement dégradée aux yeux du public palestinien. Cela arrive à un moment où le Hamas expose une forte unité interne et une grande motivation pour gagner les élections et atteindre son objectif de diriger le système politique palestinien, selon l’interprétation israélienne de la situation.
Il est difficile à ce stade de déterminer la réaction palestinienne au report des élections, malgré les effets néfastes que cette décision pourrait avoir sur l’image du Fatah dans le pays et à l’étranger et l’élargissement du fossé entre le mouvement au pouvoir et le Hamas.
Il est également probable que le Hamas soit présenté comme ayant contrecarré une étape stratégique qui était censée conduire à la réalisation de l’unité nationale. Dans ce cas, Abu Mazen devra faire face à des conséquences désastreuses parce que les Palestiniens expriment depuis le début un sentiment de méfiance à son égard, ce qui entraînerait une chute incontrôlable dans la confiance publique quant à ce que l’actuel dirigeant de l’AP pourrait faire pour la Palestine.
Du point de vue israélien, l’annulation des élections législatives palestiniennes est une étape stratégique d’une absolue nécessité. Pour l’occupant, ces élections représentent une menace potentielle pour sa sécurité, à la lumière du fossé grandissant entre le Fatah et le Hamas. Cela s’ajoute au comportement de l’Autorité palestinienne qui ne cesse de de multiplier les problèmes.
L’un des principaux problèmes auxquels l’Autorité palestinienne est confrontée est le manque de stratégie claire et de processus décisionnel organisé, ainsi que le décalage entre les objectifs affichés et la réalité sur le terrain. Il est possible de parler de l’absence de personnalités significatives aux côtés d’Abbas pour l’aider à prévenir ce qu’Israël décrit comme des «incidents historiques brutaux».
Tout cela augmentera les inquiétudes d’Israël sur plusieurs scénarios qui pourraient se développer au lendemain de la décision d’Abbas de reporter les élections.
La décision d’Abbas a probablement été influencée par les récents contacts avec les États-Unis et l’occupant, concernant les élections législatives palestiniennes, malgré les affirmations des deux parties selon lesquelles elles ne feraient rien pour entraver cette étape politique.
De hauts responsables israéliens ont admis que Tel Aviv et Washington espéraient que les Palestiniens reporteraient les élections. Dans ce cas, Abbas peut avoir exaucé leurs souhaits, intentionnellement ou non.
Peut-être que ce qui a provoqué les démarches américano-israéliennes concernant les élections était leur inquiétude croissante quant à la possible victoire du Hamas. Mais les deux parties se sont abstenues de le déclarer publiquement, pour ne pas être accusées par les Palestiniens de vouloir contrecarrer les élections.
Cependant, ce qu’il convient de noter, c’est que les déclarations faites par les États-Unis et Tel-Aviv étaient motivées par des craintes communes que les différends internes au Fatah l’affaibliraient et ouvriraient la voie au Hamas pour dominer la scène politique palestinienne.
Bien que les autorités de Washington et d’Israël n’aient pas pris de mesures déterminantes pour empêcher les élections, elles sont très certainement ravies de la récente décision d’Abbas, après que ce dernier a réussi à envoyer des signaux incontestables ces dernières semaines pour un report des élections, et sous divers prétextes.
Abbas n’a pas pris de façon soudaine sa décision unilatérale de reporter les élections, comme on pourrait le croire. Au contraire, il a bien considéré les divisions qui se développent dans le mouvement qu’il dirige. En effet, plusieurs listes distinctes affiliées au Fatah se préparaient à se présenter aux élections, au mépris total de la direction centrale du mouvement.
Tout comme avant les élections de 2006, des conflits internes ont commencé à émerger et ont amené une rupture entre certains dirigeants et responsables, en plus des initiatives de Barghouti, Nasser Al-Qudwa et Dahlan, qui nuisent à la campagne électorale du Fatah.
La décision unilatérale prise par Abbas de retarder les élections législatives palestiniennes augmentera sans aucun doute les tensions entre Palestiniens. Cela pourrait avoir un impact sur la sécurité de l’occupant israélien, qui s’attend à une série d’affrontements entre Palestiniens et Israéliens dans les mois à venir.
Auteur : Adnan Abu Amer
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l'université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l'histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël.Il est titulaire d'un doctorat en histoire politique de l'université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l'histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes. Son compte Facebook.
1e mai 2021 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine