Par Jonathan Cook
Des dizaines de milliers de gens sont chassés de leurs foyers parce que leurs nombres constituent une menace démographique majeure pour un État juif.
La lutte menée depuis de nombreuses décennies par des dizaines de milliers d’Israéliens pour empêcher qu’ils soient arrachés de leurs foyers – pour la deuxième ou troisième fois pour certains – devrait constituer une preuve suffisante qu’Israël n’est pas la démocratie libérale à l’occidentale qu’il prétend être.
La semaine dernière, 36 000 Bédouins – tous citoyens israéliens – ont découvert que leur État allait faire d’eux des réfugiés dans leur propre pays en les poussant dans des camps de transit. Ces Israéliens, apparemment, n’appartiennent pas à la bonne espèce de citoyens.
Le traitement qu’ils subissent fait écho à un passé douloureux. En 1948, 750 000 Palestiniens ont été expulsés de leur patrie par l’armée israélienne afin de laisser place à l’État juif nouvellement établi. C’est ce que les Palestiniens appellent la Nakba.
Israël est toujours critiqué pour son occupation par la force de terres qui ne lui appartiennent pas, pour sa politique illégale d’expansion des colonies sur les terres palestiniennes et pour ses attaques militaires répétées surtout contre Gaza.
Assez rarement , les observateurs rappellent la discrimination systématique menée contre les 1,8 millions de Palestiniens dont les ancêtres ont survécu à la Nakba et vivent à l’intérieur d’Israël, en principe comme citoyens.
Mais chacune de ces formes d’oppression est le plus souvent considérée isolément, pas comme aspect d’un projet d’ensemble. Il y a pourtant une ligne directrice qui permet de comprendre tout cela, c’est cette idéologie qui déshumanise les Palestiniens chaque fois qu’Israël les rencontre.
Cette idéologie a un nom. Le sionisme est le fil conducteur qui permet de relier le passé – la Nakba – avec les pratiques actuelles d’Israël : le nettoyage ethnique subi aujourd’hui par les Palestiniens chassés de leurs foyers en Cisjordanie et dans Jérusalem-Est, la destruction de Gaza, et la politique systématique d’éviction des Palestiniens citoyens d’Israël de ce qui reste de leurs terres ancestrales et leur confinement dans des ghettos.
La logique d’Israël, même si ses partisans les plus naïfs ont du mal à le comprendre, est de remplacer les Palestiniens par des juifs. C’est ce qu’Israël appelle officiellement la judaïsation.
La souffrance des Palestiniens n’est pas un effet fortuit du conflit. Il est le but même visé par le sionisme : pousser les Palestiniens encore présents à partir « volontairement » afin de fuir l’étranglement et la misère.
L’exemple le plus frappant de cette stratégie de remplacement de peuples est dans le traitement réservé aux 250 000 bédouins qui, officiellement, ont la citoyenneté israélienne.
Les Bédouins constituent la communauté la plus pauvre en Israël et vivent dans cette vaste région semi-aride du Néguev, dans le sud. Parce qu’ils ne suscitent que très peu l’attention internationale, Israël a eu toute latitude dans ses efforts pour les « remplacer ».
C’est la raison pour laquelle une décennie après avoir, en principe, achevé ses opération de nettoyage ethnique de 1948 et gagné la reconnaissance des capitales occidentales, Israël a continué secrètement à expulser des milliers de Bédouins en dehors de ses frontières, cela en dépit de la qualité de citoyens que faisaient valoir ces gens.
Dans le même temps, d’autres Bédouins en Israël ont été poussés en dehors de leurs terres ancestrales pour être confinés, soit dans des camps soit dans des villages planifiés par l’État qui devinrent les communautés les plus pauvres en Israël.
Il est difficile de taxer les Bédouins, simples paysans ou pasteurs, de menace sécuritaire comme cela a été fait avec les Palestiniens subissant l’occupation.
Mais il se fait qu’Israël a une définition de la sécurité beaucoup plus vaste que celle d’être à l’abri de toute attaque physique. Elle signifie le maintien d’une domination démographique juive absolue.
Les Bédouins sont peut-être pacifiques mais leur nombre constituent une grande menace démographique alors que leur mode de vie pastoral s’accommode mal de ce que l’État leur réserve : l’enfermement dans des ghettos.
La plupart des Bédouins possèdent des titres sur leurs terres bien antérieurs à la création d’Israël. Mais Israël n’en a cure et va jusqu’à criminaliser des dizaines de milliers de Bédouins en refusant d’accorder à leurs villages la reconnaissance légale.
Depuis des décennies, ces gens sont forcés de vivre dans des abris de fortune ou des tentes, les autorités refusant de leur accorder le droit de construire des habitations décentes et de bénéficier de services publics tels que l’école, l’eau et l’électricité.
Il ne reste aux Bédouins qu’un seul choix pour vivre dans la légalité : abandonner leurs terres ancestrales et leur mode de vie et accepter d’être conduits vers des camps de regroupements prévus par l’État et marqués par la pauvreté.
Beaucoup de Bédouins ont résisté, s’accrochant à leurs terres historiques en dépit des conditions très dures qu’on leur a imposées.
Un de ces villages bédouins non-reconnus, Al Araqib, a été utilisé par les autorités israéliennes pour servir d’exemple. Les forces israéliennes ont détruit les habitations précaires de ce village plus de 160 fois en moins d’une décennie. En août, un tribunal israélien a appuyé une décision de l’État d’imposer à six villageois une amende de 370 000 dollars pour ces expulsions répétées.
Le dirigeant d’Al Araqib, le Cheikh Sayah Abu Madhim, âgé de 70 ans , a récemment passé des mois en prison après sa condamnation pour violation de propriété alors que sa tente n’est qu’à un jet de pierres du cimetière où sont enterrés ses aïeux.
A présent les autorités israéliennes commencent à perdre patience à propos des Bédouins.
L’année dernière en janvier, des plans prévoyant en urgence l’expulsion forcée de près de 40 000 Bédouins de leurs maisons sises dans des villages non reconnus ont été divulgués. Ces plans, se présentant comme « projets de développement économique », visent à réaliser l’expulsion la plus massive depuis des décennies.
Le mot “développement” (comme d’ailleurs celui de “sécurité”) a un sens très spécial en Israël. Il ne veut pas dire autre chose que « développement juif » ou bien « judaïsation » et ne concerne pas du tout sur ce plan-là les Palestiniens.
Le projet en question prévoit une nouvelle autoroute, une ligne de transport électrique de haute tension, une zone d’essais d’armements, une zone de tirs et une mine de phosphate.
Il a été révélé la semaine dernière que les familles seraient poussées vers des centres de transit sis dans les townships – ces zones d’habitat spéciales prévues par l’État – pour y vivre pendant des années dans des conditions temporaires, en attendant que leur sort définitif soit décidé en haut lieu. Ces sites sont déjà comparés aux camps de réfugiés établis pour les Palestiniens à la suite de la Nakba.
L’intention à peine dissimulée est d’imposer aux Bédouins des conditions de vie tellement mauvaises qu’ils seraient forcés d’accepter d’être confinés pour toujours dans ces townships et selon les conditions d’Israël.
Six experts éminents en Droits de l’Homme des Nations Unies ont envoyé en été à Israël une lettre dans laquelle ils protestaient contre les graves violations, au regard du Droit international, des droits des familles bédouines, en précisant que des approches alternatives étaient possibles.
Adalah, un groupe d’action légale pour les Palestiniens en Israël note qu’Israël poursuit depuis sept décennies une politique d’expulsion des Bédouins qui traite ceux-ci, non pas comme des êtres humains mais comme des pions qu’il peut déplacer à sa guise pour les remplacer par des colons juifs.
L’espace de vie des Bédouins s’est continuellement réduit et leur mode de vie a tout simplement été écrasé. Une situation qui contraste fortement avec l’expansion rapide des colonies juives, villes et fermes mono-familiales, sur les terres dont sont expulsés les Bédouins.
Il est difficile de ne pas conclure que ce qui se passe là est une version administrative « intérieure » du nettoyage ethnique que les autorités israéliennes mènent de façon plus ouverte et sous prétexte de sécurité dans les territoires occupés.
Cette pratique d’expulsions incessantes ressemble moins à une politique nécessaire et réfléchie qu’à un tic nerveux aussi hideux que l’idéologie qui l’a généré.
Auteur : Jonathan Cook
16 octobre 2019 – JonathanCook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui