Par Ramzy Baroud
“Les jours de l’Autorité palestinienne sont comptés”. Cette affirmation a été maintes fois répétée récemment, notamment après la torture à mort, le 24 juin à Hébron (Al-Khalil), d’un militant palestinien connu et apprécié, Nizar Banat, âgé de 42 ans, sous les coups des hommes de main de l’Autorité palestinienne.
Le meurtre – ou “l’assassinat”, comme le décrivent certains groupes de défense des droits des Palestiniens – de Banat est pourtant monnaie courante.
Dans les prisons de l’AP, la torture est le modus operandi par lequel les interrogateurs palestiniens extorquent des “aveux”. Les prisonniers politiques palestiniens détenus par l’AP sont généralement divisés en deux principaux groupes : les militants soupçonnés par Israël d’être impliqués dans des activités contre les forces israéliennes d’occupation et les autres qui ont été détenus pour avoir émis des critiques sur la corruption de l’AP ou sa soumission à Israël.
Dans un rapport de 2018 de Human Rights Watch, le groupe a mentionné des “dizaines d’arrestations”, effectuées par l’AP “pour des messages critiques sur des plateformes de médias sociaux.” Banat entre parfaitement dans cette catégorie, car il était l’un des militants les plus constants et les plus directs, dont les nombreuses vidéos et publications sur les médias sociaux ont dénoncé et embarrassé la direction de l’AP de Mahmoud Abbas et son parti au pouvoir, le Fatah.
Contrairement à d’autres, Banat donnait des noms et exigeait des mesures sévères contre ceux qui dilapident les fonds publics palestiniens et trahissent la cause palestinienne.
Dans le passé, Banat a été arrêté par la police de l’AP à plusieurs reprises. En mai dernier, des hommes armés ont attaqué son domicile, utilisant des tirs à balles réelles, des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes. Banat avait imputé ces attaques au Fatah, le parti d’Abbas.
Sa dernière campagne sur les médias sociaux concernait les vaccins Covid-19 presque périmés que l’AP avait reçu d’Israël le 18 juin. En raison de la pression publique exercée par des militants comme Banat, l’AP a été contrainte de renvoyer les vaccins israéliens qui, avant cela, étaient présentés comme un geste positif venant du nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennett.
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Lorsque les hommes de l’AP ont envahi la maison de Banat le 24 juin, la férocité de leur violence était sans précédent. Son cousin, Ammar, a raconté comment près de 25 agents de sécurité de l’AP ont fait irruption chez Banat, l’ont aspergé de gaz poivré alors qu’il était au lit et “ont commencé à le frapper avec des barres de fer et des matraques en bois”.
Après l’avoir déshabillé, ils l’ont traîné dans un véhicule. Une heure et demie plus tard, la famille a appris la mort de Nizar par l’intermédiaire d’un groupe WhatsApp.
Malgré les dénégations initiales, sous la pression de milliers de manifestants dans toute la Cisjordanie, l’AP a été forcée d’admettre que la mort de Banat n’était pas “naturelle”.
Le ministre de la Justice de l’AP, Mohammed al-Shalaldeh, a déclaré à Palestine TV qu’un premier rapport médical indiquait que Banat avait subi des violences physiques.
Cette prétendue révélation explosive était censée démontrer que l’AP est prête à examiner et à assumer la responsabilité de son action. Cependant, c’est tout simplement faux car, premièrement, l’AP n’a jamais assumé la responsabilité de ses violences passées et, deuxièmement, la violence est la pierre angulaire de l’existence même de l’AP.
Les arrestations arbitraires, la torture et la répression des manifestations pacifiques sont synonymes de sécurité pour l’AP, comme l’indiquent de nombreux rapports de groupes de défense des droits, que ce soit en Palestine ou au niveau international.
Alors, est-il vrai que “les jours de l’Autorité palestinienne sont comptés” ? Pour répondre à cette question, il est important d’examiner la raison d’être de l’AP et de comparer cet objectif initial à ce qui s’est passé au cours des années qui ont suivi.
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L’AP a été fondée en 1994 en tant qu’autorité nationale de transition dans le but de guider le peuple palestinien dans le processus de libération nationale, à la suite des “négociations sur le statut final”, qui devaient se conclure à la fin de 1999.
De nombreuses années se sont écoulées depuis, sans que l’AP n’ait imposé la moindre réalisation politique.
Cela ne signifie pas que l’AP, du point de vue de ses dirigeants et d’Israël, a été un échec total, car la police de l’AP a continué à remplir le rôle le plus important qui lui a été confié : la coordination répressive avec l’occupation israélienne, c’est-à-dire la protection des colons juifs illégaux en Cisjordanie et l’exécution des basses besognes d’Israël dans les zones palestiniennes autonomes gérées par l’AP.
En échange, l’AP a obtenu des milliards de dollars des “pays donateurs”, avec à leur tête les États-Unis, et des taxes palestiniennes collectées en son nom par Israël.
Ce même paradigme est toujours celui qui s’impose, mais pour combien de temps encore ? À la suite de la mobilisation de mai, le peuple palestinien a fait preuve d’une unité nationale et d’une détermination sans précédent qui ont transcendé les lignes de faction… et il a osé appeler à la destitution d’Abbas, en liant à juste titre l’occupation israélienne à la corruption de l’AP.
Depuis les manifestations de masse de mai, le discours officiel de l’AP est entaché de confusion, de désespoir et de panique. Les dirigeants de l’AP, dont Abbas, ont essayé de se positionner comme des leaders révolutionnaires. Ils ont parlé de “résistance”, de “martyrs” et même de “révolution”, tout en renouvelant leur engagement envers le “processus de paix” et les objectifs américains en Palestine.
Alors que Washington a repris son soutien financier à l’Autorité d’Abbas après qu’il ait été interrompu par l’ancien président américain Donald Trump, l’AP espérait revenir au statu quo, celui d’une stabilité relative, d’une abondance financière et d’un minimum de pertinence politique.
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Le peuple palestinien, cependant, semble être passé à autre chose, comme en témoignent les manifestations de masse – toujours accueillies par une réponse violente de la police de l’AP – dans toute la Cisjordanie, y compris à Ramallah, le siège du pouvoir de l’AP.
Même les slogans ont changé. Après le meurtre de Banat, des milliers de manifestants à Ramallah, représentant toutes les couches de la société palestinienne, ont demandé à Abbas, âgé 85 ans, de démissionner, qualifiant ses hommes de main de “baltajieh” et de “shabeha” – seconds couteaux ou voyous -, termes repris des manifestants arabes au cours des premières années de diverses révoltes au Moyen-Orient.
Ce changement dans le discours indique un changement critique dans la relation entre les Palestiniens du peuple – enhardis et prêts à organiser une révolte de masse contre l’occupation et le colonialisme israéliens – et leur prétendue direction, corrompue et aujourd’hui largement dénoncée.
Il est important de noter qu’aucun aspect de cette Autorité palestinienne ne jouit d’un iota de crédibilité démocratique. En effet, le 30 avril, Abbas a annulé les élections générales qui devaient se tenir en Palestine en mai, en avançant des raisons peu convaincantes.
L’AP s’est avérée être un obstacle à la liberté des Palestiniens et n’a à leurs yeux aucune crédibilité. Elle ne s’accroche au pouvoir que grâce au soutien des États-Unis et d’Israël.
Que les jours de cette Autorité soient comptés ou non dépend de la capacité du peuple palestinien à prouver que sa volonté collective est plus forte que l’AP et ses commanditaires. L’expérience historique nous a enseigné que le peuple palestinien finira par l’emporter.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
7 juillet 2021 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah