Par Ramzy Baroud
Hussein Munther est mort, mais la « voix de la révolution palestinienne » continue de vivre, écrit Ramsy Baroud.
Chaque fois que les soldats israéliens prenaient d’assaut notre quartier dans un camp de réfugiés de Gaza, nous nous précipitions pour cacher les quelques cassettes VHS du groupe Al-Asheqeen que nous possédions. Le fait d’être pris en possession de ce matériel révolutionnaire suffisait à nous valoir une sévère bastonnade, une arrestation et une lourde amende.
C’est pourquoi, lorsque j’ai appris que le leader du groupe, le légendaire artiste libanais Hussein Munther – alias Abu Ali – était décédé le dimanche 17 septembre, j’ai été envahi de nostalgie.
« Ô monde, témoigne de ce qui nous est arrivé, et de ce qui est arrivé à Beyrouth ; témoigne de [notre] lutte populaire… », chantait Al-Asheqeen à propos de l’invasion israélienne du Liban en 1982. Je ne peux imaginer qu’un seul enfant de ma génération n’ait pas connu cette chanson par cœur.
Munther a laissé derrière lui une mine de 300 chansons, toutes dédiées à la Palestine et à la solidarité arabe et mondiale avec le peuple palestinien.
Il n’était pas seul, bien sûr. Sa renommée et son influence ont contribué à la popularité bien méritée d’Al-Asheqeen, qui se traduit à peu près par « La bande des amoureux ». La référence à l’amour est ici l’amour de la patrie, de la Palestine et de la Palestine seule.
Le groupe a été fondé en 1977. Il a défini, plus que tout autre, la relation entre les Palestiniens du shatat – la diaspora – et ceux de la Palestine occupée, avec celle de la patrie, avec la Palestine en tant qu’idée, sa réalité tangible, son histoire, sa culture et bien plus encore.
Le message transporté avec tant de force par le groupe a aidé les Palestiniens à rester forts dans les moments les plus difficiles : le siège de Beyrouth en 1982, par exemple, le massacre de Sabra et Chatila la même année, l’exil incessant, les guerres, la trahison des amis et la cruauté des ennemis.
Les paroles d’Al-Asheqeen, généralement chantées par la forte voix de Munther, ont été écrites par les poètes palestiniens les plus célèbres, tels que Ahmed Dahbour, Mahmoud Darwish, Tawfiq Ziad, Nuh Ibrahim et Samih Al-Qasim.
Un examen rapide des références historiques et culturelles faites par le groupe montre que la Palestine, pour ces artistes tant appréciés, n’était pas un lieu dans le temps, dirigé par une seule faction ou une seule idéologie ; c’était la Palestine en tant que vérité éternelle qui reste, et restera, inchangée.
Ces artistes ont chanté pour le révolutionnaire arabe Izz Al-Din Al-Qassam (1981), pour Beyrouth (1982), pour le shatat, pour les “enfants des pierres” (1987) et pour l’Intifada. Ils ont chanté pour la Palestine, en tant que femme, Zareef Al-Toul, grande et fière, belle, enracinée dans sa terre, légendaire dans sa dignité et révolutionnaire dans sa résilience.
Et qui d’autre que Hussein Munther pouvait transmettre tous ces sentiments dans un cadre de puissance et d’équilibre ? Il est intéressant – et révélateur – qu’il s’agisse d’un artiste libanais, avec un accent levantin – shami – mais un cœur palestinien. Munther était un « projet arabo-palestinien-chami-libanais du plus haut niveau », a écrit l’écrivain arabe Thahir Saleh sur Aljazeera Net.
En fait, tout Al-Asheqeen était un projet arabe, impliquant feu Abdullah Hourani, Hussein Nazik, Mizr Mardini, les sœurs Maha et Misa’ Abu Al-Shamat, ainsi qu’un grand nombre d’auteurs-compositeurs, d’interprètes, de scénographes et d’organisateurs arabes et palestiniens.
Le panarabisme d’Al-Asheqeen était le reflet d’une période de lutte révolutionnaire arabe au cours de laquelle la cause palestinienne n’appartenait pas seulement à la Palestine, mais à toutes les nations arabes.
La plupart des groupes politiques palestiniens, y compris le Fatah sous la direction de feu Yasser Arafat, ont contribué à cette réalisation historique. D’anciennes vidéos des concerts d’Al-Asheqeen montrent les dirigeants des principaux groupes de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), tous représentés de manière égale, assis au premier rang lors des concerts du groupe.
Munther et Al-Asheqeen ont effectué des tournées dans de nombreuses capitales arabes et internationales pendant des années, justifiant le titre de « Voix de la révolution palestinienne ».
Bien que beaucoup de ceux qui ont aidé à former le groupe, beaucoup de ses premiers membres, des auteurs-compositeurs et maintenant Abu Ali lui-même, aient quitté cette vie terrestre, les chansons d’Al-Asheqeen continuent de résonner fort dans chaque ville, village et camp de réfugiés palestiniens. Elles sont entendues dans tout le Liban, en Syrie et dans de nombreux foyers palestiniens et arabes à travers le monde.
La plus grande réussite de Hussein Munther et de sa « bande d’amoureux » est d’avoir prouvé que la révolution n’est pas un fusil, mais que c’est la culture qui donne son sens au fusil. En outre, ils ont contribué à cimenter les valeurs largement répandues de la résistance parmi les Palestiniens, comme étant le seul moyen de libérer la patrie blessée.
La résistance d’Al-Asheqeen et de Hussein Munther résulte d’un amour collectif et assumé pour la Palestine et son peuple. Abu Ali est mort, mais la voix de la révolution palestinienne demeure.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
20 septembre 2023 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah