Par Yara Hawari
L’Autorité palestinienne (AP) a déclaré l’état d’urgence et a imposé un verrouillage de la ville, interdisant toute entrée et sortie et imposant un couvre-feu aux résidents.
L’AP a également annoncé des restrictions dans toute la Cisjordanie, notamment l’interdiction de circuler d’un gouvernorat à l’autre, et la fermeture des espaces publics et des établissements scolaires. Le 22 mars, suite à une augmentation constante du nombre de cas, l’AP a déclaré un couvre-feu. [1]
Dans la bande de Gaza, à la mi-mars, le Hamas et l’UNRWA ont commencé à transformer des écoles en centres de quarantaine et en cliniques, en prévision d’une éventuelle épidémie. Le 21 mars, deux Gazaouis revenant du Pakistan ont été testés positifs et ont été immédiatement hospitalisés. Vingt-neuf personnes ont été identifiées comme ayant été en contact avec eux et ont été placées en quarantaine.
Au moment de la rédaction de cet article, le nombre total de cas confirmés en Cisjordanie est de 247 et de 12 à Gaza. Bien que ces chiffres soient relativement bas, on craint que, étant donné le peu de tests disponibles, le nombre de personnes infectées soit en fait beaucoup plus élevé.
La lutte contre le COVID-19 se heurte à l’occupation
La Cisjordanie et la bande de Gaza sont confrontées au COVID-19 alors que l’occupation militaire israélienne, dont ils sont victimes, affaiblit la capacité des autorités palestiniennes et du peuple palestinien à répondre efficacement au virus mortel. Au moment où de nombreux systèmes de soins de santé dans le monde entier luttent contre la pandémie, l’occupation sous laquelle la Palestine vit depuis 53 ans a sérieusement épuisé les capacités médicales en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Le système, qui dépend des donateurs, connaît des pénuries de matériel sanitaire, de médicaments et de personnel, en raison des raids militaires et des restrictions sur les importations. Dans la bande de Gaza en particulier – jugée invivable par l’ONU à cause de plus de 13 ans de blocus et de multiples agressions militaires – le système de santé avait déjà de la difficulté à traiter tous les malades avant la pandémie. En effet, Gaza ne dispose actuellement que de 78 lits médicalisés et de 63 ventilateurs pour une population de deux millions d’habitants.
Pendant ce temps, l’Occupation israélienne poursuit sa politique de répression. La démolition des maisons palestiniennes continue ainsi que les raids militaires sur les villes et villages palestiniens. Elle a même essayé de contrecarrer activement les tentatives palestiniennes de lutte contre le virus. Elle a, par exemple, détruit une clinique COVID 19 dans la vallée du Jourdain et arrêté des volontaires palestiniens qui tentaient de distribuer des fournitures aux communautés appauvries de Jérusalem-Est.
Les autorités d’occupation israéliennes ne prennent pas non plus de mesures préventives pour protéger les prisonniers politiques palestiniens qui sont incarcérés illégalement dans un système carcéral militaire qui ne répond même pas aux normes sanitaires de base.
Manipulations politiques
Le régime israélien utilise cette crise mondiale non seulement pour détourner l’attention de ses violations permanentes des droits humains, mais aussi comme outil politique pour augmenter son influence diplomatique. De fait, les organismes internationaux ont félicité Israël pour sa “coopération” avec l’AP pendant cette crise ; le coordinateur spécial des Nations-Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Nickolay Mladenov, a qualifié cette coordination d’ “excellente” lors d’un récent discours.
En réalité, la “coopération” israélienne, incarnée par la Coordination israélienne des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) s’est limitée à “autoriser” la livraison d’un minimum de matériel médical, fourni par la communauté internationale, aux Territoires palestiniens occupés, soit 3000 tests et 50 000 masques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’AP. Une quantité bien inférieure aux besoins réels de la Cisjordanie.
Ceux qui se félicitent de cette coopération donnent en exemple l’accord concernant les milliers de Palestiniens qui travaillent en Israël. Pour empêcher les déplacements massifs et la propagation de la maladie, Israël et l’AP ont convenu que, à partir du 18 mars, les Palestiniens qui travaillent en Israël, doivent y rester pendant quelques mois, au lieu de rentrer tous les soirs en Cisjordanie.
Mais ces travailleurs n’ont pas reçu les équipements de protection adéquats ; de plus, les autorités israéliennes auraient ramené des travailleurs qu’elles soupçonnaient d’être porteurs du virus aux points de contrôle qui séparent Israël de la Cisjordanie sans prévenir l’AP.
Le premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh est revenu sur sa décision le 25 mars, et a ordonné aux travailleurs de rentrer chez eux. On craint que l’AP n’ait pas la capacité de tester ces travailleurs à leur retour, et Israël n’a jusqu’à présent pas proposé de les tester.
La communauté internationale doit changer de discours
Paradoxalement, le régime israélien, qui impose à la Palestine une occupation militaire violente et qui a détruit le système de santé palestinien, est loué pour avoir autorisé l’entrée de minuscules quantités de matériel médical, fourni par des acteurs internationaux, alors qu’en réalité, il est de sa responsabilité, en vertu du droit international, en tant que puissance occupante, de fournir lui-même ce matériel.
Il faut absolument que les acteurs internationaux, non seulement soutiennent les efforts humanitaires indispensables pour fournir une aide médicale immédiate en Palestine, mais qu’ils obligent Israël à assumer ses responsabilités et à financer les besoins médicaux palestiniens.
Il est également impératif de cesser de parler de « coopération » et de souligner, au contraire, que l’occupation israélienne est une cause essentielle de comorbidité [*]. En d’autres termes, l’occupation ne fait pas qu’aggraver une situation qui engendre une multiplication du risque que les Palestiniens soient contaminés par le virus, elle est de fait directement responsable de cette situation.
C’est donc tout à fait hypocrite et mensonger d’affirmer que le moment est venu que la coopération et le dialogue s’instaurent entre Israël et les autorités palestiniennes pour faire face à la pandémie. Le moment est venu, comme toujours, d’exiger la levée du blocus de Gaza et la fin de l’occupation militaire de la Cisjordanie.
Note:
[*] En médecine, le terme “comorbidité” désigne la présence de maladies et/ou divers troubles aigus ou chroniques s’ajoutant à la maladie initiale (par exemple : avoir du diabète et de l’hypertension). À noter que ces maladies “secondaires” peuvent être directement dues à la première ou ne pas avoir de liens apparents avec celle-ci ou en être la conséquence, ou même partager les mêmes facteurs de risque.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
14 avril 2020 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet