Par Ramzy Baroud
Tout d’abord, quelques précisions concernant le langage utilisé pour décrire la violence actuelle en Palestine occupée, ainsi qu’en Israël. Il ne s’agit pas d’un “conflit”. Ce n’est pas non plus un “différend”, ni de la “violence sectaire”, ni même une guerre au sens traditionnel du terme.
Ce n’est pas un conflit, car Israël est une puissance occupante et le peuple palestinien est une nation occupée. Ce n’est pas un différend, car la liberté, la justice et les droits de l’homme ne sont pas matière à discussion.
Les droits inaliénables du peuple palestinien sont inscrits dans le droit international et humanitaire, et l’illégalité des violations israéliennes des droits de l’homme en Palestine est soulignée par les Nations unies elles-mêmes.
S’il s’agit d’une guerre, alors c’est une guerre israélienne unilatérale, à laquelle répond une résistance palestinienne modeste, mais réelle et déterminée.
En réalité, il s’agit d’un soulèvement palestinien, d’une Intifada sans précédent dans l’histoire de la lutte palestinienne, tant par sa nature que par sa portée.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, nous voyons le peuple palestinien uni de Jérusalem Al-Quds, à Gaza, à la Cisjordanie et, plus important encore, aux communautés, villes et villages palestiniens situés au centre de la Palestine historique – l’Israël d’aujourd’hui.
Cette unité est cruciale, elle a beaucoup plus de force qu’un quelconque accord entre les factions palestiniennes. Elle dépasse le Fatah, le Hamas et tout le reste, car sans un peuple uni, il ne peut y avoir de résistance réelle, de perspective de libération, de lutte pour la justice.
Le Premier ministre israélien de droite, Benjamin Netanyahou, n’aurait jamais pu prévoir qu’une opération routinière de nettoyage ethnique dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est provoquerait un soulèvement palestinien, unissant tous les secteurs de la société palestinienne dans une démonstration d’unité sans précédent.
Le peuple palestinien a décidé de dépasser toutes les divisions politiques et les querelles de factions. Il invente une nouvelle approche de la résistance, de la libération et de la solidarité internationale.
Il se lève contre la division en factions, ainsi que contre toute tentative de normaliser l’occupation et l’apartheid israéliens. Qui plus est, une voix palestinienne puissante perce à présent le silence international, obligeant le monde entier à entendre le chant de liberté de tous les Palestiniens, sans exception.
Les leaders de ce nouveau mouvement sont des jeunes Palestiniens qui se sont vu refuser toute forme de représentation démocratique, qui sont constamment marginalisés et opprimés par leurs propres dirigeants et par l’implacable occupation militaire israélienne.
Ils sont nés dans un monde d’exil, de misère et d’apartheid, et ont été amenés à croire qu’ils étaient inférieurs, qu’ils appartenaient à une race inférieure. Leur droit à l’autodétermination et tous leurs autres droits leur sont sans cesse déniés.
Ils ont grandi en assistant, impuissants, à la démolition de leurs maisons, au vol de leurs terres et à l’humiliation de leurs parents.
Enfin, ils se lèvent.
Sans coordination préalable et sans manifeste politique, cette nouvelle génération palestinienne fait maintenant entendre sa voix.
Elle envoie à Israël et à sa société de droite sectaire le message clair et net que le peuple palestinien n’est pas une victime passive ; que le nettoyage ethnique de Sheikh Jarrah et du reste de Jérusalem-Est occupée, le siège prolongé de Gaza, l’occupation militaire en cours, la construction de colonies juives illégales, le racisme et l’apartheid ne passeront plus inaperçus ; bien que fatigués, pauvres, dépossédés, assiégés et abandonnés, les Palestiniens continueront à tout faire pour préserver leurs droits, leurs lieux sacrés et la sainteté de leur peuple.
Oui, la violence actuelle a été déclenchée par les provocations israéliennes dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. Cependant, le problème n’est pas seulement le nettoyage ethnique de Sheikh Jarrah. Le quartier convoité par Israël n’est qu’un microcosme du combat que mènent les Palestiniens.
Netanyahou espérait peut-être utiliser Sheikh Jarrah pour rassembler l’électorat de droite autour de lui, et former un gouvernement d’urgence ou augmenter ses chances de remporter une cinquième élection.
Son comportement irresponsable, initialement motivé par des raisons totalement égoïstes, a déclenché la rébellion des Palestiniens et remis en lumière la violence et le racisme de l’État d’apartheid d’Israël tel qu’il est et a toujours été.
L’unité de la résistance populaire palestinienne a eu d’autres conséquences bénéfiques. Il n’y avait jamais eu auparavant une telle vague de soutien à la liberté palestinienne, non seulement de la part de millions d’individus ordinaires à travers le monde, mais aussi de la part de célébrités – stars de cinéma, footballeurs, intellectuels et militants politiques, et même mannequins et blogueurs.
Les hashtags #SaveSheikhJarrah et #FreePalestine, entre autres, sont désormais liés entre eux et tournent en boucle sur tous les médias sociaux depuis des semaines. Les efforts incessants d’Israël pour se faire passer pour l’éternelle victime d’une chimérique horde d’Arabes et de musulmans ne portent plus leurs fruits.
Le monde peut enfin voir, lire et entendre parler de la tragique réalité de la Palestine et de la nécessité de mettre fin de toute urgence à ce drame.
Rien de tout cela ne serait possible si les Palestiniens n’avaient pas des raisons légitimes de protester et s’ils ne parlaient pas d’une seule voix. Dans la spontanéité de leur réaction et leur profonde solidarité réciproque, tous les Palestiniens sont unis, de Sheikh Jarrah à Jérusalem toute entière, en passant par Gaza, Naplouse, Ramallah, Al-Bireh et même les villes palestiniennes en Israël même – Al-Lud, Umm Al-Fahm, Kufr Qana et ailleurs.
Dans la nouvelle révolution populaire palestinienne, les factions, la géographie et les divisions politiques n’ont pas d’importance. La religion n’est pas une source de division mais d’unité spirituelle et nationale.
Les atrocités dont Israël se rend coupable à Gaza s’accumulent, avec un nombre croissant de morts. Cette dévastation se poursuivra tant que le monde considérera l’encerclement et le blocus dévastateurs de la misérable petite bande de Gaza comme quelque chose de normal.
Le siège de Gaza en lui-même tue les Gazaouis. Entre les frappes aériennes israéliennes qui font exploser leurs maisons et leurs quartiers, les Gazaouis meurent du manque de médicaments, de l’eau polluée, de l’absence d’électricité et du délabrement des infrastructures.
Nous devons sauver Sheikh Jarrah, mais nous devons aussi sauver Gaza ; nous devons exiger la fin de l’occupation militaire israélienne de la Palestine et la fin du système de discrimination raciale et d’apartheid.
Les groupes internationaux de défense des droits de l’homme emploient désormais des termes nets et précis, à la portée décisive, pour décrire ce régime raciste. Human Rights Watch et le groupe de défense des droits humains d’Israël, B’tselem, appellent eux aussi au démantèlement de l’apartheid qui règne dans toute la Palestine.
Engagez-vous ! Engagez-vous ! Les Palestiniens se sont soulevés. Il est temps de vous joindre à eux !
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
18 mai 2021 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet