Par Adnan Abu Amer
La Russie montre son influence auprès des factions palestiniennes avant les élections, mais il n’y a toujours aucun signe que Moscou ait un véritable impact.
Fin janvier et début février, plusieurs dirigeants palestiniens de différentes organisations se sont rendus à Moscou pour rencontrer des responsables du ministère russe des Affaires étrangères, afin de discuter des prochaines élections palestiniennes et de la réconciliation interne, en plus des relations bilatérales.
Pourtant, malgré la fréquence des visites, les résultats sont encore absents.
Le 4 février, une délégation du mouvement Hamas conduite par le responsable du bureau des relations internationales du mouvement, Mousa Abu Marzouk, s’est rendue à Moscou et a rencontré Mikhail Bogdanov, vice-ministre russe des Affaires étrangères et envoyé présidentiel spécial pour le Moyen-Orient et l’Afrique, et en présence de Alexei Skoyerev, chef adjoint du département du Moyen-Orient au ministère russe des Affaires étrangères.
Le Hamas a publié le même jour une déclaration disant que les discussions se concentraient sur le rétablissement de l’unité palestinienne et les préparatifs des élections, notant que la délégation tenait les Russes au courant des développements intra-palestiniens et veillait à ce que la coordination russo-palestinienne se poursuive.
Le 2 février, Bogdanov a accueilli à Moscou une délégation du Jihad islamique, dirigée par le secrétaire général Ziyad al-Nakhala, pour discuter des développements politiques palestiniens et des prochaines élections.
Le Jihad islamique a publié une déclaration le 5 février soulignant l’importance du rôle de la Russie dans les scènes internationales et régionales et de la nécessité de stopper les politiques américaines hégémoniques.
Basem Naim, ancien ministre palestinien de la Santé et membre du bureau des relations internationales du Hamas, a déclaré à Al-Monitor: « Le Hamas voit la Russie comme une puissance centrale au niveau international et comprend son importance en tant que superpuissance. Je pense que la visite du Hamas en Russie est d’une grande importance car elle montre à la communauté internationale qu’il est difficile d’isoler politiquement le mouvement [Hamas]. »
Naim a ajouté: « Lors de la récente visite du Hamas en Russie, la réconciliation du mouvement avec la Syrie n’a pas été discutée. Les discussions se sont plutôt limitées aux élections et à la fin de la division palestinienne. Les Russes veulent voir leurs amis palestiniens unis, et ils ne cherchent pas à rivaliser avec les Américains sur la scène palestinienne. Ce ne serait pas le même scénario qu’en Syrie, où les Russes sont aux commandes presque exclusivement”.
Hanna Issa, ancienne diplomate de l’ambassade palestinienne à Moscou, a déclaré à Al-Monitor: « Les visites palestiniennes en Russie sont la preuve du grand rôle de cette dernière. Compte tenu de ses [relations] avec les Palestiniens et les Israéliens, la Russie est en mesure de servir de médiateur entre eux pour reprendre des négociations. Pour sa part, l’Autorité palestinienne (AP) n’est pas [contre] l’accueil par la Russie de certaines organisations, car il s’agit d’une affaire interne à la Russie. Au contraire, il compte plutôt sur le succès de la Russie pour rapprocher les vues [de l’Autorité palestinienne] du Hamas ».
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Le 28 janvier, Bogdanov a rencontré une délégation du Courant de la réforme démocratique, dirigée par le dirigeant démis du Fatah, Mohammed Dahlan. La délégation, dirigée par Samir al-Mashharawi, le bras droit de Dahlan, a discuté du rétablissement de l’unité palestinienne, des préparatifs des élections et des efforts arabes et internationaux visant à unifier le mouvement Fatah.
Le 19 janvier, Hussein al-Sheikh, membre du Comité central du Fatah, s’est rendu en Russie où il a rencontré le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ainsi que Bogdanov pour discuter d’une série de questions, dont les positions des dirigeants russes vis-à-vis de nouveaux développements impliquant Les Palestiniens, et les prochaines élections en plus des relations américano-palestiniennes.
Le même jour, Bogdanov a rencontré une délégation du Front populaire de libération de la Palestine dirigée par Maher al-Taher, responsable des relations politiques du mouvement, et a discuté des développements politiques palestiniens, arabes et internationaux, de leurs répercussions sur les efforts réalisés pour parvenir à une vision politique unifiée et réaliste devant la communauté internationale.
Ahmed al-Deek, le conseiller politique du ministère palestinien des Affaires étrangères, a déclaré à Al-Monitor: «Les récentes visites palestiniennes à Moscou visent à résoudre le conflit palestinien avec Israël sur la base de décisions internationales et à combler la division palestinienne interne, sur le modèle des bonnes relations existant entre les Russes et toutes les organisations. »
Imad Mohsen, un porte-parole de Dahlan, a déclaré à Al-Monitor: « Le Courant de la réforme démocratique entretient des relations étroites avec la Russie, et notre délégation a discuté avec ses responsables de l’amélioration des relations bilatérales et du rétablissement de l’unité du Fatah. Mais la mentalité d’exclusion et d’exclusivité des dirigeants de l’AP les rend inquiets après chaque visite à l’étranger que nous effectuons.”
Pourtant, alors que la Russie a accueilli des délégations palestiniennes diverses, les Palestiniens n’ont pas encore constaté un changement stratégique russe à leur égard. Au contraire, la “performance” russe semble avoir été la même depuis des années : servir principalement les intérêts russes, sans aider les Palestiniens.
Après la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006, la Russie avait établi des liens formels avec le mouvement. Khaled Meshaal, alors chef du bureau politique du Hamas, s’était rendu à Moscou, marquant une avancée majeure pour le Hamas dans ses relations internationales.
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La Russie, quant à elle, a rejeté la qualification américaine du mouvement comme organisation terroriste. Les délégations du Hamas ont depuis afflué à Moscou, tandis que les dirigeants du Hamas se sont réunis à plusieurs reprises avec des responsables russes dans la capitale qatarie, Doha, pour discuter des relations bilatérales, de la cause palestinienne et des moyens de confronter le plan de paix américain pour le Moyen-Orient.
Pourtant, ces visites et réunions n’ont entraîné aucun soutien financier russe à la bande de Gaza, qui est administrée par le Hamas.
Khalil Shaheen, directeur du Centre palestinien de recherche politique et d’études stratégiques, a déclaré à Al-Monitor: « L’activité russe sur la scène palestinienne peut être liée à sa concurrence avec la nouvelle administration américaine, qui reprendra son rôle dans le conflit israélo-palestinien. Peut-être que la Russie cherche à favoriser un système politique palestinien unifié qui permette au Hamas d’être intégré dans le prochain gouvernement palestinien après les élections”.
Shaheen a ajouté: « L’AP soutient Moscou dans l’exercice de son influence sur le Hamas pour assouplir ses positions, mais son accueil de la délégation de Dahlan a fortement perturbé l’AP, qui refuse de traiter avec lui, même si les Russes cherchent une réconciliation interne au Fatah et persuadent Dahlan de ne pas se présenter aux élections tant que ses problèmes avec le président Mahmoud Abbas ne sont pas résolus. »
Les Palestiniens comparent constamment le rôle de la Russie en ce qui concerne leur cause – qui semble limitée à des réunions de routine sans effets réels et à une rhétorique à destination des médias – au rôle qu’elle a joué en Syrie et en Libye, où Moscou utilise son influence militaire et sur le terrain pour imposer sa volonté dans le sens de ses propres intérêts.
Wissam Afifa, le directeur de la chaîne satellite Al-Aqsa à Gaza, a déclaré à Al-Monitor: « Les récentes visites palestiniennes à Moscou sont importantes, mais elles se sont concentrées uniquement sur l’obtention de garanties de la part des Russes que les élections réussiront. Les Palestiniens estiment que la Russie n’est pas encouragée à concurrencer les rôles européens et américains dans le dossier palestinien, malgré [les réunions] avec les dirigeants palestiniens. L’influence de la Russie est limitée car les résultats de leurs réunions [avec les Palestiniens] ne sont pas au niveau de leurs efforts. »
Afifa a ajouté: « Le Hamas souhaite renforcer ses relations avec Moscou, car leurs alliés sont communs, comme le Hezbollah et l’Iran. Mais la Russie n’est pas spécialement désireuse de réconcilier le Hamas et le [régime] syrien, craignant que cela ne complique la scène syrienne et ne pousse Israël à intensifier ses opérations là-bas, à la poursuite des cadres du Hamas, car il cible déjà des bases iraniennes en Syrie.”
Moscou est l’une des rares capitales du monde à ouvrir ses portes aux organisations palestiniennes, mais son comportement récent est apparu comme une simple opération de relations publiques avec les médias, pour montrer à la communauté internationale que la Russie a toujours une influence sur la scène palestinienne – sachant qu’aucun accord ou proposition pour mettre fin à la division palestinienne n’est jamais annoncé lors des réunions russo-palestiniennes, ont récemment déclaré à Al-Monitor plusieurs responsables qui se sont rendus à Moscou.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël.Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes. Son compte Twitter.
18 février 2021 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine