Par Ramzy Baroud
Si beaucoup soulignent avec force les ravages de la guerre, les violations endémiques des droits de l’homme et la relégation délibérée du droit international et humanitaire, d’autres voient la guerre sous un angle totalement différent : celui des profits.
Pour les marchands de guerre, la douleur et la misère collectives de nations entières sont éclipsées par les transactions lucratives de milliards de dollars générées par les ventes d’armes.
L’ironie du sort veut que certains des défenseurs les plus tapageurs des droits de l’homme sont en fait ceux qui facilitent le commerce mondial des armes. Sans ce commerce, les droits de l’homme ne seraient pas violés en toute impunité.
L’Académie de Genève, un organisme de recherche juridique, indique qu’ elle suit actuellement environ 110 conflits armés actifs dans le monde.
La plupart de ces conflits se déroulent dans les pays du Sud, bien que nombre d’entre eux soient exacerbés, financés ou gérés par des puissances occidentales ou des multinationales occidentales.
Sur les 110 conflits armés, 45 se déroulent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, 35 dans le reste de l’Afrique, 21 en Asie et six en Amérique latine, selon l’académie.
Le plus grave et le plus sanglant de ces conflits armés se déroule actuellement à Gaza, l’une des régions les plus pauvres et les plus isolées du monde.
Afin d’estimer le nombre de victimes de la guerre à Gaza, l’une des revues médicales les plus respectées au monde, The Lancet, a entrepris une recherche approfondie intitulée « Compter les morts à Gaza : difficile mais essentiel ».
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L’approximation s’est basée sur le nombre de morts au 19 juin, date à laquelle Israël avait déjà tué 37 396 Palestiniens.
Le nouveau chiffre du Lancet est effrayant, même si la revue médicale précise que ses conclusions sont basées sur des estimations prudentes des décès indirects par rapport aux décès directs qui résultent souvent de ces guerres.
Si la guerre s’était terminée le 19 juin, 7,9 % de la population de la bande de Gaza seraient morts à cause de la guerre et de ses conséquences. Cela représente « jusqu’à 186 000 morts, voire plus », selon la revue médicale.
Les Palestiniens de Gaza ne meurent pas à cause d’un virus introuvable ou d’une catastrophe naturelle, mais dans une guerre sans merci qui ne peut être soutenue que par des livraisons massives d’armes, qui continuent d’affluer vers Israël malgré le tollé international.
Le 26 janvier, la Cour internationale de justice (CIJ) a estimé qu’elle disposait de suffisamment de preuves pour suggérer qu’un génocide était en train d’être commis à Gaza.
Le 20 mai, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a ajouté sa voix, parlant cette fois d’actes délibérés d’« extermination » des Palestiniens.
Pourtant, les armes continuent d’affluer, principalement en provenance des gouvernements occidentaux. La principale source d’armes est, sans surprise, les États-Unis, suivis par l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne.
Bien que certains pays européens ont annoncé qu’ils réduisaient, voire gelaient, leurs livraisons d’armes à Israël, ces gouvernements continuent de trouver des exceptions juridiques pour retarder l’interdiction pure et simple.
L’Italie, par exemple, insiste sur le respect des « commandes signées antérieurement » et le Royaume-Uni a suspendu le traitement des licences d’exportation d’armes « dans l’attente d’un examen plus approfondi ».
Washington reste toutefois le principal fournisseur d’armes de Tel-Aviv. En 2016, les deux pays ont signé un autre protocole d’accord qui permettrait à Israël de recevoir 38 milliards de dollars d’aide militaire américaine.
Il s’agissait du troisième protocole d’accord signé entre les deux pays, qui devait couvrir la période allant de 2018 à 2028.
La guerre a toutefois incité les décideurs politiques américains à aller encore plus loin que leur engagement initial, en allouant 26 milliards de dollars supplémentaires (17 milliards de dollars d’ aide militaire), sachant pertinemment que la majorité des victimes de Gaza, selon les estimations des Nations unies, sont des civils, principalement des femmes et des enfants.
Par ses fournitures d’armes, l’état français participe activement au génocide à Gaza
La même hypocrisie s’applique à d’autres pays, principalement occidentaux, qui se posent sans vergogne en défenseurs des droits de l’homme et de la paix internationale.
Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), six pays occidentaux figurent parmi les dix premiers exportateurs mondiaux d’armes majeures entre 2019 et 2023. Les États-Unis représentent à eux seuls 42 % des exportations mondiales d’armes, suivis par la France avec 11 %.
Les exportations totales d’armes des six premiers pays occidentaux représentent près de 70 % des exportations mondiales.
Si l’on considère que la grande majorité des conflits armés se déroulent dans le Sud, la conclusion qui s’impose est que l’Occident, qui prétend défendre la paix, la démocratie et le droit international, est l’entité qui alimente les guerres, les conflits armés et les génocides.
Pour que le Sud prenne son avenir en main, il doit lutter contre cette injustice manifeste. Il ne peut permettre que ses continents continuent à servir de simples marchés pour les armes occidentales.
Le sang des Arabes, des populations africaines, asiatiques et sud-américaines ne doit pas être versé pour soutenir les économies des pays occidentaux.
Il est vrai qu’il faudra bien plus qu’une limitation du commerce des armes pour mettre fin aux conflits mondiaux, mais la libre circulation des outils mortifères vers les zones de conflit continuera d’alimenter la machine de guerre, de Gaza au Soudan et du Congo au Mayanmar, parmi d’autres.
On peut continuer à affirmer qu’Israël doit respecter le droit international et que le Myanmar doit respecter les droits de l’homme, mais à quoi cela sert-il lorsque l’Occident continue de fournir l’arme du crime, sans devoir rendre de comptes sur le plan moral ou juridique ?
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
16 août 2024 – Middle-East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah