L’État génocidaire s’assoit littéralement sur l’Égypte

Issu d'un coup d'état en juillet 2013 contre le premier président égyption légalement élu à peine un an plus tôt Mohammad Morsi, al-Sissi n'a eu de cesse de faire taire ses opposants, en les faisant emprisonner ou assassiner. Au bord de la banqueroute depuis des années, pour cause de pillage et corruption au profit exclusif de l'armée et de ses institutions et entreprises satellites, la dictature sait que la mansuétude des institutions financières internationales passe par une soumission totale aux intérêts occidentaux, en passant par le bon vouloir du relais colonial israélien au Proche-Orient. Aujourd'hui, toute honte bue et dans une nouvelle reculade après tant d'autres, al-Sissi se tait alors que l'Etat génocidaire israélien s'assoit littéralement sur les accords concernant le contrôle du sud de la bande de Gaza - Photo : archives

Par Abdel Bari Atwan

Combien d’outrages israéliens le Caire va-t-il encore supporter ?

Les autorités égyptiennes commettent une grave erreur en continuant à minimiser et à dissimuler l’attaque israélienne qui a visé l’une de ses unités militaires au point de passage de Rafah lundi, entraînant la mort d’un soldat de 22 ans, Ramadan Kareem.

La colère gronde dans le pays, comme en témoignent en partie les milliers de personnes qui ont assisté à son enterrement dans son village natal (il n’a pas eu droit à des funérailles militaires officielles).

Ils ont scandé des slogans soutenant la résistance à Gaza et salué le martyr tombé au combat, dans des scènes rappelant l’esprit de la guerre d’octobre, la fermeté des habitants des villes du canal de Suez pendant la guerre d’usure et l’ancienne guerre de Suez.

Je ne comprends pas pourquoi les médias égyptiens ont maintenu un black-out sur l’action héroïque du soldat.

L’armée s’est contentée de publier une déclaration de deux lignes sur la mort d’un de ses « éléments » dans un « incident », alors qu’il a fait sa fierté en ripostant à une unité israélienne qui tentait de violer le territoire et la souveraineté de l’Égypte.

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Les médias hébraïques se sont contentés de nous informer que ce jeune conscrit avait ouvert le feu sur une force israélienne qui l’attaquait, blessant plusieurs de ses membres.

Les autorités égyptiennes ont jusqu’à présent gardé le silence, disant qu’elles continuaient à enquêter sur l’affaire et ne nommant même pas le soldat tombé, comme s’il s’agissait d’un criminel plutôt que d’un martyr mort en défendant son pays.

L’ancienne grande armée égyptienne n’a rien fait pour empêcher la violation humiliante et provocatrice du territoire national par Israël en occupant le corridor de Salaheddine (Philadelphie).

Elle a refusé de forcer l’ouverture du point de passage de Rafah pour permettre à l’aide humanitaire d’atteindre plus de deux millions de personnes assiégées et affamées, ou d’agir pour arrêter la guerre d’anéantissement et de nettoyage ethnique d’Israël contre un autre peuple arabe.

Que doit-il se passer de plus avant qu’elle n’intervienne enfin ?

Je ne suis pas un partisan de la guerre et je ne veux rien d’autre que la sécurité, la stabilité et la prospérité pour l’Égypte et son peuple. Mais il y a une limite au nombre d’outrages que l’on peut accepter sans broncher.

Les États ne peuvent se permettre de renoncer à leurs responsabilités ou d’hésiter à prendre les armes lorsqu’ils y sont contraints.

Il est déprimant d’entendre le porte-parole militaire égyptien déclarer que des enquêtes sont en cours sur l’assassinat du soldat égyptien.

L’incident ne nécessite pas d’enquête : il est clair comme de l’eau de roche. Il nécessite une réponse immédiate et ferme qui donne une leçon aux forces israéliennes.

Des réactions aussi faibles ne font que les encourager à poursuivre leur agression, à envahir le territoire égyptien et à violer les accords de paix entre les deux parties.

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La bande de Gaza, qui, malgré ses immenses souffrances, continue de résister à l’assaut israélien et d’infliger des pertes humiliantes aux envahisseurs, est la première ligne de défense de la sécurité nationale de l’Égypte.

Il en a toujours été ainsi au cours de l’histoire, depuis l’Antiquité. Il n’est pas dans l’intérêt de l’Égypte, qui dispose d’une armée massive et bien équipée, de laisser le peuple de Gaza se battre seul et de l’abandonner à son sort.

Les dirigeants égyptiens doivent agir avec détermination pour mettre fin à ces outrages, en utilisant le seul langage que cet ennemi criminel comprend : le langage de la force tel qu’il a été employé lors de la guerre de Suez, de la guerre d’usure et de la guerre d’octobre qui a franchi la ligne Bar-Lev.

Un seul obus égyptien tiré contre cet agresseur arrogant suffirait à plonger Israël dans la panique et à envoyer des millions de ses colons se précipiter dans des abris ou affluer à l’aéroport Ben-Gourion pour chercher un refuge sûr en Europe, d’où ils sont venus.

Dépouiller Le Caire de sa carte palestinienne

Mercredi, un porte-parole de l’armée israélienne a annoncé avoir pris le contrôle total du corridor de Salaheddin (Philadelphie) séparant la bande de Gaza de l’Egypte. La puissance occupante contrôle ainsi tous les points d’accès possibles au territoire, ce qui lui permet d’empêcher toute aide humanitaire d’atteindre les habitants.

Cette action israélienne tant attendue coïncide avec le démantèlement de l’embarcadère flottant construit par les États-Unis qui devait servir d’autre voie d’acheminement de l’aide, et le transfert de ses composants vers le port occupé d’Asdood.

Il semblerait qu’un plan de famine soit en train d’être mis en place via le bouclage complet de la bande de Gaza, avec l’accord de toutes les parties concernées et la bénédiction et la supervision des États-Unis.

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Les forces israéliennes ont pris le contrôle du corridor frontalier de 14 km, en violation flagrante des accords signés avec l’Égypte, au vu et au su des forces égyptiennes stationnées de l’autre côté. Elles n’ont pas tiré une seule balle en réponse.

Le silence et la passivité des autorités politiques et militaires égyptiennes dans cette affaire soulèvent de nombreuses questions.

La seule réaction officielle de l’Égypte a été de nier les affirmations d’Israël selon lesquelles il aurait découvert des tunnels du Hamas creusés sous la frontière – comme si le problème était l’existence ou la non-existence de ces tunnels plutôt que la violation par Israël du territoire égyptien et des divers accords signés entre les deux parties.

Au premier rang desquels le traité de Camp David de 1979 que les autorités égyptiennes au pouvoir se targuent constamment de respecter dans le respect de leurs engagements et du droit international.

Dia Rashwan, chef du service d’information de l’État égyptien, a déclaré à plusieurs reprises que le corridor de Salaheddin était une « ligne rouge » et que toute tentative israélienne de s’en approcher ou de l’occuper serait totalement inacceptable et constituerait une violation des accords de Camp David.

Pourquoi l’Égypte n’a-t-elle pas réagi à cet affront méprisant pour l’État égyptien ? L’incursion israélienne a-t-elle reçu l’approbation préalable de la partie égyptienne, négociée par le secrétaire d’État américain Antony Blinken au cours de ses nombreuses navettes (sept fois en huit mois) entre les deux capitales ? Et qu’est-ce que cela a rapporté ?

Je n’ai de réponse à aucune de ces questions étant donné le silence assourdissant qui prévaut, surtout du côté égyptien.

Ce que je peux dire, c’est qu’en se taisant, les autorités égyptiennes se tirent une balle dans le pied. Elles donnent l’impression d’être de connivence avec une action provocatrice et agressive contre leur propre pays.

Cela pourrait avoir de graves répercussions négatives sur la sécurité et la stabilité intérieures, alors que la colère de l’opinion publique à l’égard de Gaza est palpable.

Dans l’immédiat, la prise de contrôle par Israël du corridor frontalier prive l’Égypte de ses cartes les plus fortes et les plus importantes par rapport à la cause palestinienne.

La Palestine reste la plaie ouverte du monde arabe

Cela après la perte de sa sécurité hydrique due au barrage Renaissance de l’Éthiopie, et alors que sa crise économique s’aggrave avec la chute de moitié des revenus du canal de Suez et l’effondrement des envois de fonds des expatriés.

En privant l’Égypte de sa carte palestinienne et en reprenant sa frontière sablonneuse avec la bande de Gaza, Israël réduit l’Égypte à un rôle secondaire dans la question palestinienne, comme n’importe quel autre pays arabe non limitrophe – du moins dans un avenir prévisible, étant donné le recul du rôle de leader et de pionnier que jouait autrefois l’Égypte dans la région et dans le monde.

Comment, par exemple, l’Égypte peut-elle jouer un rôle de premier plan dans les négociations sur le cessez-le-feu à Gaza si elle perd la confiance des négociateurs palestiniens (les groupes de résistance dirigés par le Hamas et le Jihad islamique) et de la population ?

Je ne demande pas aux autorités égyptiennes d’envoyer leur armée libérer la Palestine, ni même d’arrêter l’assaut génocidaire de l’armée israélienne sur la bande de Gaza (bien que cela puisse être considéré comme une obligation morale et légale étant donné qu’elle était sous administration militaire égyptienne avant qu’Israël ne l’occupe en 1967).

Je l’invite simplement à défendre ses propres frontières et sa fierté nationale, et à agir en bon voisin.

La population de Gaza restera inébranlable et résistera quoi qu’il arrive, même si elle doit le faire seule. Si le « massacre des tentes » à Tal al-Sultan, au cours duquel des enfants ont été brûlés vifs par des bombes israéliennes, n’émeut pas leur « grande sœur » l’Égypte, rien d’autre ne le fera dans un avenir prévisible.

Je le dis avec beaucoup de tristesse. Mais je reste persuadé que l’Égypte est inébranlable par son grand peuple qui n’abandonnera jamais ses proches à Gaza et viendra à leur secours. Ce n’est pas un vœu pieux, mais une expérience historique tangible.

30 mai 2024 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine