Des signes dangereux indiquent qu’Israël a l’intention d’intensifier ses attaques contre le Liban et de faire monter les enchères avec le Hezbollah. Si c’est le cas, le risque d’une guerre régionale s’accroît considérablement. La seule issue est de mettre fin aux attaques sur Gaza.
« Si le Hezbollah choisit de déclencher une guerre totale, il transformera à lui seul Beyrouth et le Sud-Liban, non loin d’ici, en Gaza et Khan Younis. »
Telles étaient les paroles pleines de vantardise du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, en décembre dernier. Depuis lors, Israël et le Hezbollah ont échangé des tirs de manière régulière, avec une légère intensification des combats en cours de route, mais ils ont tous deux pris soin d’éviter l’escalade de la confrontation.
Il semble toutefois qu’une escalade plus importante soit sur le point de se produire.
Mardi, le chef d’état-major israélien Herzl Halevi a déclaré publiquement : « Nous approchons du moment où une décision devra être prise, et les FDI sont prêtes à prendre cette décision… nous sommes prêts… à passer à une attaque dans le nord ».
De telles déclarations sont plus facilement considérées comme des « coups d’épée dans l’eau » lorsqu’elles émanent d’hommes politiques israéliens que lorsqu’elles proviennent des dirigeants militaires. Dans ce cas, c’est d’autant plus vrai que l’armée israélienne – qui, ironiquement, a tendance à être moins agressive que les politiciens – demande instamment une plus grande action contre le Hezbollah, et que l’échelon politique semble l’écouter. Le lendemain de la déclaration de M. Halevi, Netanyahou a de nouveau éructé des menaces d’attaquer le Liban.
Pourquoi Israël intensifierait-il son action contre le Hezbollah maintenant ?
M. Halevi a fait ces remarques alors que des incendies brûlaient dans le nord d’Israël, à la suite de tirs de roquettes du Hezbollah qui se sont avérés efficaces contre des cibles israéliennes. Cet incident est le dernier d’une série d’attaques du Hezbollah qui ont ébranlé les sensibilités de l’opinion publique israélienne, y compris une attaque contre le quartier général d’un bataillon israélien dans la ville de Kiryat Shmona, qui a réduit une grande partie du bâtiment en ruines.
11 juin 2024 – Les médias militaires du Hezbollah ont diffusé une vidéo montrant des combattants de la Résistance islamique attaquant un bâtiment abritant des soldats de l’ennemi « israélien » dans la colonie d’Al-Mutela, dans le nord de la Palestine occupée.
Quelque 50 000 Israéliens ont été évacués de la région frontalière septentrionale (ce qui représente environ la moitié du nombre de Libanais contraints de fuir leur domicile en raison des bombardements israéliens) lorsqu’Israël a entamé son opération génocidaire à Gaza après l’attaque brutale du Hamas le 7 octobre.
Le fait que tant de citoyens aient été déplacés pendant une si longue période constitue un problème politique majeur pour le gouvernement israélien, mais aussi un problème tactique pour l’armée israélienne, même si ce n’est pas du tout comparable à ce que deux millions de personnes à Gaza ont subi pendant cette période.
Le Hezbollah a entrepris ses actions pour soutenir le Hamas et pour faire payer à Israël le coût de sa croisade à Gaza. Ce faisant, le Hezbollah a amplifié l’érosion de la dissuasion israélienne, que l’attaque du Hamas du 7 octobre avait déjà gravement compromise.
La milice libanaise a effectivement empêché le retour des civils israéliens dans un avenir prévisible, et toute escalade dans le nord nécessitera une évacuation beaucoup plus importante… plus importante même que celle qui a eu lieu lors de l’affrontement de 2006 entre Israël et le Hezbollah, au cours duquel quelque 500 000 Israéliens ont été déplacés, selon Human Rights Watch.
Pourtant, même une telle évacuation ne sera pas suffisante, car le Hezbollah est capable depuis des années d’attaquer n’importe quelle cible en Israël. Les défenses dont Israël a fait la démonstration lors de l’échange de tirs de roquettes avec l’Iran en avril ne seront pas aussi efficaces contre les projectiles du Hezbollah, car ils seront tirés à une distance beaucoup plus courte.
En effet, le Hezbollah a pu établir une sorte de zone tampon à l’intérieur d’Israël, empêchant au moins les civils israéliens de retourner dans les villes frontalières du nord.
C’est le type de dissuasion qu’Israël compte en génarl infliger aux autres. Pour les étrangers, cela ne semble pas grand-chose, mais pour les Israéliens, en particulier les dirigeants, il s’agit d’un grave revers tactique, auquel ils estiment qu’il faut remédier.
Il se pourrait bien que les dirigeants israéliens ne veuillent pas que cette question soit résolue par un cessez-le-feu à Gaza. Ils pourraient préférer l’aborder militairement et tenter ainsi de rétablir une position plus dominante à la frontière nord. Mais cette voie comporte de graves dangers.
La possibilité d’une guerre régionale
Les États-Unis sont manifestement préoccupés par cette question, bien que l’attention qu’ils lui ont accordée puisse être qualifiée d’intermittente. Au début de la campagne israélienne et des opérations de soutien du Hezbollah à la résistance, les États-Unis ont envoyé leurs plus grands porte-avions en Méditerranée.
11 mai 2024 – Tirs de missiles contre des rassemblements des soldats israéliens dans la colonie de Chtoula – Médias résistance.
L’objectif était de dissuader tout soutien au Hamas de la part de forces extérieures. L’opération n’a eu qu’un succès limité, mais elle constituait un avertissement selon quoi les États-Unis pourraient réagir si Israël faisait l’objet d’une attaque majeure.
Après presque trois mois, il est devenu évident que le Hezbollah cherchait à détourner au moins une partie de l’attention militaire d’Israël vers le nord, mais tant le Hezbollah qu’Israël veillaient à ne pas trop étendre les combats.
Le porte-avions a été retiré et un ensemble de navires plus petits a été laissé pour patrouiller en Méditerranée, mais à part l’envoi occasionnel d’un émissaire pour rencontrer le gouvernement libanais (qui, étant donné l’état actuel des affaires politiques et économiques du Liban, ne peut pas faire grand-chose pour aider ou gêner le Hezbollah), l’attention de Joe Biden s’est portée sur autre chose.
La menace d’une guerre régionale s’est estompée dans l’opinion publique et sur la scène diplomatique, mais elle n’a pas disparu pour autant.
La conviction – certainement raisonnable – que toutes les parties, d’Israël au Hezbollah en passant par Ansar Allah et l’Iran, souhaitaient éviter une guerre régionale a été renforcée en avril, lorsqu’Israël a attaqué une ambassade iranienne en Syrie, puis a échangé avec l’Iran des frappes de missiles soigneusement mesurées, selon le principe « tit for tat ».
Cependant, ce qui a toujours été absent du calcul, en particulier de la part des Américains, c’est le fait que le gouvernement de Benjamin Netanyahu ne serait pas en mesure de tolérer politiquement l’impasse dans le nord.
Les récentes attaques du Hezbollah ont montré qu’il comprenait mieux ce problème et, avec la pression accrue sur Israël au niveau national et international, il a décidé d’ajouter à la pression sur Netanyahou en portant un coup à Israël.
Les États-Unis ont fait part de leur inquiétude à Israël après ses mises en garde contre une attaque élargie contre le Liban. Un fonctionnaire américain a déclaré qu’il ne pensait pas qu’une opération israélienne élargie pourrait être contenue et qu’elle risquait de déclencher une guerre régionale.
Il s’agit très probablement d’une évaluation exacte. Une attaque israélienne en profondeur contre le Liban entraînerait certainement des attaques généralisées de la part des différents groupes armés au Liban, en Syrie et en Irak, en plus de la réponse du Hezbollah.
Ansar Allah pourrait lancer davantage de missiles, bien que leur force réside davantage dans la perturbation du trafic en mer Rouge, qui s’intensifierait certainement.
Il semble plus probable que les milices alignées sur l’Iran agissent que l’Iran lui-même, étant donné les turbulences de leur scène politique à la suite de la mort soudaine du président Ebrahim Raisi, mais il est possible qu’elles s’impliquent également.
Mais la véritable force de la réponse viendrait du Hezbollah. Sa proximité et sa capacité à viser à peu près n’importe quel site en Israël avec des missiles qui seront difficiles à abattre constituent une menace sérieuse.
Cela présente également un risque important d’implication accrue des États-Unis. Après des mois de propagande couvrant les crimes d’Israël, non seulement à Gaza depuis le 7 octobre, mais aussi toutes les années de dépossession qui ont conduit la région à ce stade, les images d’une population israélienne assiégée qui n’aurait pas de partie réellement sûre de son pays où fuir susciteront des appels à l’aide américaine.
Nous pouvons être assurés que l’hypocrisie et l’ironie de cette situation, qu’Israël a lui-même provoquée en Cisjordanie, à Gaza et au Liban pendant tant d’années, ne feront pas partie de l’équation pour la plupart des Américains et des Européens.
Mars 2024 – Une vidéo de son opération contre le site Al-Semmaka dans les fermes libanaises occupées de Chebaa a été mis en ligne sur la chaine Telegram de la Résistance..
À l’approche des élections, M. Biden sera pressé d’aider « nos alliés israéliens » et les Républicains ne manqueront pas de battre les tambours de guerre. La conflagration que nous redoutons depuis des années dans l’ensemble du Moyen-Orient pourrait bien être à nos portes, et le fait que les États-Unis se trouvent au milieu de cette conflagration pourrait signifier un désastre encore plus grand.
La voie de sortie
Pourtant, la solution pour éviter tout cela n’a jamais été aussi claire : cesser de jouer avec les termes d’un cessez-le-feu et exiger la fin de toutes les hostilités, le retrait total d’Israël de Gaza et la libération de tous les prisonniers, qu’ils soient israéliens, palestiniens ou internationaux.
Il n’est pas nécessaire qu’il y ait trois étapes ; il suffit d’une seule, au cours de laquelle les conditions susmentionnées sont mises en œuvre immédiatement.
Le Hamas a clairement indiqué qu’il accepterait un tel accord.
Le public israélien l’acceptera. Et Netanyahu l’acceptera si les États-Unis lui disent qu’ils cesseront de lui fournir des armes et un soutien politique pour son génocide.
C’est aussi simple que cela. Oui, ce serait encore un champ de mines politique pour Biden, mais même lui semble avoir finalement réalisé que le délire israélien visant à « éradiquer » le Hamas est un échec.
S’il s’inquiète du retour de bâton des Républicains et des zélateurs d’Israël au sein de son propre parti, en particulier des bailleurs de fonds – qui, pour être juste, sera énorme – imaginez ce à quoi il devra faire face politiquement si des soldats américains sont à nouveau tués et mutilés dans une guerre au Moyen-Orient.
Les Américains semblent enfin avoir correctement évalué qu’il ne peut y avoir de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah sans la fin du massacre de Gaza. Il se pourrait bien que cela ait joué un rôle dans l’annonce futile de M. Biden la semaine dernière.
Elle était inutile parce que M. Biden n’a toujours pas appris que M. Netanyahou, et plus généralement Israël, n’agit pas parce qu’on le cajole, qu’on le convainc ou qu’on le supplie. Ils agissent lorsqu’il y a des conséquences s’ils ne le font pas. Ainsi, presque immédiatement, Netanyahu a fait savoir que l’accord annoncé par Biden n’était pas « l’offre israélienne » qu’Israël avait l’intention de présenter.
Si Israël a effectivement l’intention de faire monter les enchères avec le Hezbollah, le risque d’une guerre régionale que les États-Unis redoutent s’accroît considérablement. Si M. Biden ne s’intéresse qu’à la politique, le risque politique de laisser faire est bien plus grand que le risque politique de contraindre Israël à se retirer à la fois à Gaza et à la frontière nord.
S’il est préoccupé par les dommages que pourrait causer au monde entier une guerre régionale au Moyen-Orient, il a toutes les raisons de se décider enfin à agir.
Auteur : Mitchell Plitnick
* Mitchell Plitnick est le président de ReThinking Foreign Policy. Il est le co-auteur, avec Marc Lamont Hill, de Except for Palestine : The Limits of Progressive Politics. Mitchell a notamment été vice-président de la Fondation pour la paix au Moyen-Orient, directeur du bureau américain de B'Tselem et codirecteur de Jewish Voice for Peace.Son compte Twitter.
8 juin 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine