L’État policier allemand fonctionne comme une extension de l’État d’apartheid génocidaire israélien

15 mai 2024 - Pour la 3e année consécutive, l'Allemagne interdit toute manifestation de commémoration de la Nakba - Photo : via Palestine 13

Par Hebh Jamal

L’État allemand prend des mesures extraordinaires pour réprimer le militantisme pro-palestinien, notamment en arrêtant des militants à leur domicile au milieu de la nuit.

Le 22 mars à 6 heures du matin, les militants pro-palestiniens Said et Yasemin, qui dormaient à leur domicile berlinois, ont été réveillés par des policiers armés et masqués qui ont enfoncé leurs portes au même moment. La police berlinoise a ensuite fouillé leurs affaires et confisqué leurs appareils électroniques, y compris leurs téléphones. Cette descente simultanée avait pour but de les empêcher de communiquer les uns avec les autres et de s’avertir.

Dans une série de messages publiés sur les réseaux sociaux, Said a déclaré que cette descente était la troisième qu’il subissait, simplement à cause de son militantisme, étant donné qu’il n’avait rien fait de mal. « Pourquoi le gouvernement allemand me traite-t-il comme un criminel ? Je n’ai rien fait de répréhensible. Le gouvernement allemand et les médias devront rendre des comptes s’il m’arrive quelque chose ! »

Yasemin m’a dit qu’elle a été ciblée en raison d’une vidéo qu’elle a postée sur les médias sociaux à propos de l’action menée contre le diplomate et ambassadeur d’Israël en Allemagne, Ron Proser. « J’ai expliqué pourquoi les militants protestaient contre Proser dans ma vidéo, mais la police [s’en est servi pour prouver que] j’étais là ». Mais Yasemin n’y était pas.

L’Allemagne et Israël : solidaires en génocide

Yasemin pense toutefois que cette descente n’était pas un incident isolé, mais qu’elle s’inscrivait en fait dans le cadre d’une campagne plus vaste menée par les autorités contre les militants pro-palestiniens. « Nous ne sommes pas seulement attaqués et arrêtés chez nous, nous sommes aussi repérés et ciblés quand nous participons à des rassemblements de protestation parfaitement légaux ».

« Une fois, après m’avoir arrêtée sans aucune raison, ils ont pris mes empreintes digitales et des photos, et m’ont mise en prison », a déclaré Yasemin. Au moins une fois, des policiers en civil l’ont même suivie jusqu’à son domicile. « Tout cela parce que je proteste activement contre les violations des droits de l’homme commises par Israël. Je suis inquiète parce que je me demande maintenant quelle sera la prochaine étape. Vont-ils me tirer dessus ? »

Ce n’est pas la première fois que la police berlinoise fait une descente au domicile de quelqu’un à cause d’une publication sur les réseaux sociaux. Au début du mois, la police a frappé à la porte d’une femme d’âge moyen qui avait écrit « de la rivière à la mer, la Palestine sera libre » sur ses réseaux sociaux et l’a arrêtée.

Elle a été inculpée pour « utilisation des symboles d’organisations anticonstitutionnelles », a déclaré la police de Berlin dans un communiqué. En Allemagne, le ministère de l’intérieur a décidé, de son propre chef, que ce chant de protestation populaire était le slogan du Hamas et du réseau de solidarité Samidoun, une organisation pro-palestinienne interdite.

L’Allemagne fonctionne comme une extension de l’État d’apartheid israélien. Non seulement elle diffuse la même propagande qu’Israël sur les Palestiniens, mais elle a également adopté des tactiques similaires de guerre psychologique contre les militants afin de décourager toute solidarité avec les Palestiniens dans le pays.

Les raids effectués sur les réseaux sociaux sont extrêmement similaires à la « politique de tolérance zéro » d’Israël à l’égard des réseaux sociaux en Palestine, qui a conduit à l’arrestation de centaines de Palestiniens de nationalité israélienne ayant exprimé leur solidarité ou leur soutien à la population de Gaza.

Dans une vidéo virale diffusée au début de cette guerre, la police israélienne a arrêté une femme à cause d’un message Whatsapp et dans la vidéo, elle supplie les officiers et elle a tellement peur qu’elle va jusqu’à dire : « Que Dieu protège Israël ».

Pour la classe politique allemande, c’est toujours « Israël über alles »

Bien entendu, ces posts ne constituent une menace ni pour Israël, ni pour l’Allemagne. Les raids et les arrestations ont pour but d’instiller la peur et de dissuader d’autres personnes de participer à des manifestations ou de protester contre le génocide israélien à Gaza.

Effacer ses crimes passés

À Berlin, cela a pris la forme de mesures extraordinaires visant à réprimer l’activisme pro-palestinien. Plus récemment, l’État et les médias ont tout fait pour empêcher la tenue du Congrès palestinien, un rassemblement d’universitaires, d’activistes et de journalistes internationaux tels que l’historien Salman Abu Sitta et le journaliste Ali Abunimah.

La sénatrice de l’intérieur, Iris Spranger, a déclaré que les autorités surveillaient le projet de conférence sur la Palestine, tandis que le chef de faction de la CDU, Dirk Stettner, a exigé que tout soit fait pour empêcher le prétendu “événement antisémite”.

« Il s’agit d’une violation flagrante de notre liberté d’expression », m’a dit l’un des organisateurs du Congrès palestinien. « Le fait que le gouvernement allemand et la presse aient qualifié la conférence de rassemblement de haine antisémite, sans même s’intéresser au contenu de la conférence ou mentionner qu’un groupe juif important participe à l’organisation et qu’un quart des orateurs sont juifs, montre que les politiciens allemands ne sont pas intéressés par la protection de la vie juive en Allemagne, mais préfèrent intimider, menacer et assécher financièrement les organisateurs pour protéger leur propre idéologie génocidaire. »

Judische Stimme, le groupe juif antisioniste du comité d’organisation, finance le congrès. Il est maintenant devenu la cible de la campagne de répression de l’État. Mardi, la banque publique Berliner Sparkasse a bloqué le compte du groupe et tous les fonds collectés sur GoFundMe pour le congrès sont désormais inaccessibles.

La banque a exigé de connaître les noms et adresses à jour de chaque membre de l’organisation, une demande sans précédent et très étrange. Le groupe estime que cette situation est directement liée à son travail pour la solidarité avec la Palestine.

« L’État allemand criminalise et intimide les juifs qui s’élèvent contre le génocide et, le plus grotesque, c’est que l’État fait passer cela pour de la ‘lutte contre l’antisémitisme’ », ont déclaré les organisateurs du congrès.

En effet, cette attaque contre la conférence n’a pas pour but de protéger le peuple juif. Elle vise à justifier la manière dont l’État colonial israélien répond à la Shoa, parce que protéger la sécurité nationale d’Israël (ou ce qu’ils ont décrit en 2008 comme leur raison d’État), permet à l’Allemagne de tourner la page de son passé nazi. Et lorsque l’on affirme qu’Israël est, en fait, le véritable représentant des juifs du monde entier et que sa définition de l’antisionisme et de l’antisémitisme fait loi, il ne peut y avoir d’espace pour l’identité palestinienne.

En fait, pour l’Allemagne, les Juifs antisionistes représentent la même menace pour l’État que les Palestiniens, car ils obligent les Allemands à regarder en face le génocide qu’ils ont commis dans le passé et le génocide et l’apartheid qu’ils soutiennent dans le présent.

Défier l’Etat policier allemand

Un de mes amis palestiniens, Mahmoud, est actuellement pris pour cible par l’État de Karlsruhe pour avoir tenu les propos suivants lors d’une manifestation : “La Palestine est la patrie de tous ceux qui veulent y vivre, de la rivière à la mer, indépendamment de leur origine ou de leur religion”. Ces propos ont suffi à l’État pour déclarer qu’il avait commis un crime de haine en remettant en cause le droit d’Israël à exister. Il est contraint de payer 7 500 euros d’amende.

Pour l’Allemagne, les Palestiniens sont les boucs émissaires de son lourd passé antisémite

Au cours de nos conversations, Mahmoud a non seulement dénoncé le caractère surréaliste et ridicule de la situation, mais aussi le fait que l’État soit prêt à consacrer autant de temps et d’argent pour le classer, lui et tous les Palestiniens, dans la catégorie des criminels dangereux qui méritent qu’on les poursuivre en justice. « Aujourd’hui, c’est moi, mais demain ce sera tous les autres », m’a-t-il dit.

Cette peur de dire ce qu’il ne faut pas ou d’être qualifié de militant est notable et visible dans les rues d’Allemagne. Beaucoup ont cessé de venir aux manifestations. Les musulmans et les mosquées ont cessé d’appeler aux manifestations, et beaucoup hésitent même à publier des messages sur les médias sociaux. L’impact psychologique de la guerre menée par l’Allemagne contre les Palestiniens fait son œuvre, tandis que l’élite médiatique soutient la rhétorique hégémonique de l’État.

Des militants comme Mahmoud, Yasemin et Said continuent à défendre le peuple palestinien, aujourd’hui comme avant le 7 octobre, malgré les mesures drastiques prises par l’État pour criminaliser la solidarité avec la Palestine.

Cependant, les Allemands doivent bien comprendre qu’ils risquent gros en participant à une manifestation ou en postant un message sur les médias sociaux – parce que leur tentative de mettre fin à une guerre génocidaire est assimilée à une remise en cause de l’État allemand lui-même.

Cependant, Yasemin, qui n’est pas elle-même palestinienne, me dit que la peur ne l’empêchera jamais de se battre pour la cause palestinienne. « Tant que le génocide et le soutien au génocide ne cesseront pas, tant que les vrais criminels continueront à commettre des atrocités, je ferai entendre la voix des Palestiniens. Je ne pourrais pas dormir la nuit si je ne faisais rien, même si cela consiste seulement à participer à une manifestation. »

Sur Instagram, Said a écrit : « Malgré les menaces du gouvernement, je refuse de rester silencieux. »

Mahmoud a exprimé un sentiment similaire alors que nous partagions des souvenirs, dans son jardin, à côté d’un olivier qu’il avait réussi à ramener de Naplouse. « En tant que Palestinien, je n’ai pas le choix. Il faut nous battre ».

Mahmoud conteste devant les tribunaux l’amende infligée par l’État de Karlsruhe et rejette absolument toutes les charges contre lui.

« Je suis sûr que je n’ai rien fait de mal et je sais que moi et tous les autres militants pro-palestiniens sommes du bon côté de l’histoire ».

7 avril 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet