Par Yumna Patel
Israël a clairement indiqué qu’il ne s’agissait pas de la fin de ses opérations à Jénine, et la dernière agression pousse les Palestiniens à se demander si Israël se dirigeait vers un modèle de type Gaza à Jénine.
En début de semaine, les Palestiniens de la Cisjordanie occupée ont assisté à l’opération militaire israélienne la plus sanglante et la plus violente de mémoire récente.
En 48 heures, les forces terrestres et aériennes israéliennes ont assiégé le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, tuant 12 Palestiniens et en blessant plus d’une centaine d’autres.
Pour la première fois depuis la seconde Intifada en 2002, les habitants du camp de réfugiés de Jénine ont été soumis à des bombardements aériens intensifs et ont vu les bulldozers israéliens détruire massivement leurs routes et leurs infrastructures.
Alors que la ville de Jénine, et le camp en particulier, ont fait l’objet d’innombrables raids de l’armée israélienne au cours de l’année écoulée, visant les groupes de résistance palestiniens, les événements de ces dernières semaines ont marqué un changement clair dans la stratégie militaire d’Israël dans la ville.
Le 19 juin, les forces israéliennes ont déployé des hélicoptères lors d’un raid meurtrier sur le camp et ont tiré des roquettes sur un bâtiment du camp de réfugiés, marquant la première utilisation d’hélicoptères à Jénine en plus de 20 ans.
Deux jours plus tard, le 21 juin, trois combattants palestiniens ont été assassinés lors d’une frappe aérienne ciblée sur leur véhicule à l’extérieur de Jénine.
À ce moment-là, l’utilisation d’hélicoptères et de frappes de drones a soulevé une lourde inquiétude pour les Palestiniens de Jénine, qui craignaient un retour aux tactiques militaires israéliennes de la deuxième Intifada et de la bataille de Jénine de 2002, au cours de laquelle plus de 50 Palestiniens avaient été assassinés à l’intérieur du camp.
Un peu plus de deux semaines plus tard, le lundi 3 juillet, les craintes des habitants du camp se sont concrétisées. Pendant les deux jours qu’a duré l’invasion, Israël a déployé des hélicoptères, des drones, des bulldozers et des milliers de soldats au sol. Les habitants ont également signalé des coupures d’eau et d’électricité.
Bien que les responsables militaires israéliens ont tenté de minimiser l’ampleur de l’opération, le dernier raid en date a marqué une nette rupture dans la stratégie militaire de l’occupant israélien lorsqu’il s’agit d’attaquer des villes de Cisjordanie comme Jénine, ce qui se traduit généralement par des raids qui durent quelques heures et sont menés par des forces spéciales sur le terrain.
De nombreux Palestiniens et analystes politiques ont comparé les événements de ces derniers jours à la manière dont Israël opère à Gaza : un siège total, le bourdonnement constant des drones et l’utilisation des frappes aériennes comme principal mode de destruction et d’assassinat.
Bien que le raid se soit terminé par une revendication de victoire des deux côtés, Israël a clairement indiqué que ce n’était pas la fin de ses opérations à Jénine, les médias israéliens affirmant que le prochain raid pourrait avoir lieu dans quelques jours seulement.
Israël s’oriente-t-il donc vers un modèle de type Gaza à Jénine ? Et à quoi ressembleront les prochaines attaques dans la ville ?
« Tondre l’herbe »
Vous avez probablement entendu l’expression « tondre la pelouse » ou « tondre l’herbe », le plus souvent associée à la stratégie militaire d’Israël dans la bande de Gaza.
L’idée est que tous les quelques années ou mois, Israël « désherbe » les capacités croissantes des groupes militants palestiniens dans la bande de Gaza.
Lorsque les capacités militaires de groupes tels que le Hamas et le Jihad islamique palestinien sont jugées trop importantes ou, dans de nombreux cas, lorsqu’Israël a besoin de remporter une victoire politique, il se rend à Gaza, largue quelques bombes et « tond la pelouse ».
Amjad Iraqi, membre du groupe de réflexion palestinien Al-Shabaka et rédacteur en chef du magazine +972, affirme que c’est la même politique qu’Israël semble employer à Jénine.
« Israël n’a pas vraiment de solution complète pour faire face à la résistance palestinienne. La seule chose sur laquelle il peut s’appuyer est cette doctrine qu’il décrit comme ‘tondre la pelouse’ ou ‘tondre l’herbe’ », a déclaré M. Iraqi à Mondoweiss au deuxième jour de l’opération de l’armée d’occupation à Jénine.
« Il s’agit d’essayer d’affaiblir ou d’étouffer constamment les groupes militants palestiniens lorsqu’ils deviennent exceptionnellement actifs, comme nous l’avons vu ces derniers mois en particulier », a-t-il poursuivi. « C’est comme si l’on coupait l’herbe pour éviter qu’elle ne devienne trop haute. C’est la seule véritable stratégie dont ils disposent actuellement dans ces villes de Cisjordanie ».
Les responsables militaires israéliens ont clairement indiqué que l’opération de cette semaine était un précurseur de ce à quoi on peut s’attendre pour les opérations futures à Jénine.
« Il y a une série d’opérations ici », a déclaré lundi le chef du commandement central de l’armée israélienne, le général de division Yehuda Fox. « Comme nous l’avons fait il y a une semaine et deux semaines, nous terminerons cette opération et nous reviendrons dans quelques jours ou une semaine, et nous ne permettrons pas à cette ville de devenir un refuge pour la terreur ».
Comme l’ont souligné les médias israéliens, l’opération de cette semaine « n’avait pas l’intention d’être une solution miracle » pour étouffer la résistance palestinienne à Jénine, mais « visait plutôt à être le début d’un rétablissement de la dissuasion israélienne ».
En fait, Israël veut pouvoir entrer dans Jénine et dans d’autres centres de résistance armée palestinienne en Cisjordanie et « faire ce qu’il veut », tandis que l’Autorité palestinienne, qui gouverne techniquement la région de Jénine, reste à l’écart, a déclaré M. Iraqi.
Il s’agit d’une politique de « gestion des conflits » plutôt que de solutions, et d’une stratégie « courante » pour Israël, a déclaré M. Iraqi.
La mentalité d’Israël, en substance, a déclaré M. Iraqi, est la suivante : « jusqu’à ce que nous trouvions une solution permanente, notre solution est de maintenir le régime d’apartheid, la domination militaire, le pouvoir des colons et le statu quo ».
Il a toutefois ajouté que, malgré les prétentions d’Israël d’effacer totalement la résistance palestinienne, l’occupation n’admettra jamais que cette politique de « tonte du gazon » n’est pas un moyen de dissuasion de la résistance, mais qu’elle sert plutôt à la revigorer.
« L’occupation elle-même est ce qui régénère la résistance. Que ce soit à Gaza, à Jénine ou ailleurs, l’occupation est ce contre quoi les Palestiniens se battent : le vol de la terre, la privation de la dignité, etc. »
Faire de Jénine une nouvelle Gaza
Ce qui a été le plus clairement démontré cette semaine, c’est le fait qu’Israël change radicalement son approche militaire à Jénine et en Cisjordanie, revenant à un style de guerre utilisé précédemment lors de la seconde Intifada.
Selon M. Iraqi, ce qui se passe à Jénine pourrait être compris comme la « Gazafication » de l’approche militaire d’Israël face à la résistance dans la ville.
« Nous avons vu que ce qui se passe à Gaza n’est pas isolé de ce qui se passe en Cisjordanie », a déclaré M. Iraqi, ajoutant qu’Israël s’oriente vers un style de gestion plus « gazaoui » à Jénine.
Gaza a été transformée en bantoustan, Israël utilisant divers systèmes de blocus et de siège, s’assurant de maintenir la population en cage et contrôlant tout ce qui entre et sort du territoire. Lorsqu’Israël estime que les organisations militaires de Gaza repoussent trop les limites, l’armée procède à des frappes aériennes ou à des invasions.
Les frappes aériennes à Jénine, a déclaré M. Iraqi, montrent « à quel point l’armée israélienne considère Gaza comme un modèle ». Israël se demande « comment créer de petites Gaza en Cisjordanie. »
Ce processus est également visible, a ajouté M. Iraqi, dans la manière dont les responsables et les médias israéliens parlent de Jénine.
En utilisant des termes tels que « ville de refuge pour les terroristes » et « foyer de terreur », Israël diabolise activement Jénine dans la conscience publique, afin de justifier ses invasions actuelles et futures, ainsi que les bombardements et le ciblage de zones civiles densément peuplées, comme le camp de réfugiés.
Il s’agit des mêmes tactiques que celles utilisées pour diaboliser Gaza depuis des années, a déclaré M. Iraqi.
« Le premier objectif des régimes coloniaux est d’effacer et d’expulser la population indigène. Lorsque cela n’est pas possible, l’objectif suivant est ce que nous appelons la ‘gazafication’ », a déclaré M. Iraqi. Il s’agit de la création de bantoustans, de la concentration de centres de « Palestiniens indésirables », tandis que la puissance coloniale « avale plus de terres et gagne plus de contrôle ».
Le maintien de l’apartheid est l’objectif ultime
Quelle que soit la politique qu’Israël décide d’appliquer à Jénine ou à Gaza, l’objectif final est l’apartheid, a déclaré M. Iraqi.
« Si l’expulsion n’est pas possible, le maintien de l’apartheid apparaît viable et nécessaire. C’est ce maintien qui donne lieu à l’idée de ‘tondre la pelouse’. Si vous ne pouvez pas vous en débarrasser, vous pouvez les apprivoiser », a-t-il expliqué.
Israël ne veut pas de solution politique, dit-il. Il a donc recours à l’idée d’une « gestion au jour le jour ».
« Nous le voyons dans la façon dont l’apartheid israélien est structuré. Il n’a pas d’idées nouvelles, parce qu’il ne veut donner aux Palestiniens aucun aspect de leurs droits. Il n’est pas intéressé par une solution à deux États ou par une véritable égalité. L’État est entièrement fondé sur la suprématie juive, du fleuve à la mer », a déclaré M. Iraqi.
« Même lorsque l’armée mettra fin à l’opération, que ce soit dans quelques jours, quelques heures ou quelques semaines, nous pouvons toujours nous attendre à ce que les Palestiniens de Jénine fassent l’expérience de l’invasion armée. Que ce soit par des raids et des incursions à répétition, ou par des frappes aériennes ».
M. Iraqi a ajouté que s’il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure la stratégie militaire d’Israël évoluera à Jénine, en fin de compte, « l’occupation demeurera” et « les Palestiniens resteront privés de leurs droits fondamentaux sous toutes les formes ».
Auteur : Yumna Patel
* Yumna Patel est directrice de l'information sur la Palestine pour la publication américaine Mondoweiss. Elle est basée à Bethléem, en Cisjordanie occupée et fait des reportages sur le territoire depuis plusieurs années. Son compte twitter.
5 juillet 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine