Le raid israélien sur Gaza qui a entraîné la mort de sept Palestiniens, d’un commandant du Hamas et d’un officier israélien le 11 novembre, a été un échec spectaculaire. L’opération secrète bâclée a mis dans l’embarras non seulement Israël, mais également l’Égypte et l’ONU qui tentaient de négocier une trêve à long terme entre le Hamas et Israël. L’image du Qatar, qui fournit une aide cruciale à Gaza pour stabiliser la situation et réactiver les initiatives de paix, a également été ternie dans la foulée de la débâcle.
À première vue, le moment du raid pouvait paraître étrange, alors que venaient de se manifester des efforts concertés visant à normaliser les relations entre Israël et les États du Golfe. Cependant, cela n’a pas surpris ceux qui sont bien au fait du manque de fiabilité et de l’imprévisibilité d’Israël – cela a prouvé une fois encore qu’ “un léopard ne peut pas changer ses taches”.
Pas rapides vers la normalisation
Au cours des dernières semaines, l’administration israélienne a entrepris une grande croisade en faveur de la normalisation.
Le voyage surprise de Benjamin Netanyahu à Oman le 25 octobre a été la première visite d’un dirigeant israélien au sultanat – lequel n’a pas de relations diplomatiques avec Israël – depuis plus de deux décennies. Dans le même temps, Bahreïn et Israël auraient des entretiens secrets en vue de l’établissement de relations diplomatiques.
Le 25 octobre, les autorités qataries ont rompu avec le protocole sportif arabe et ont autorisé la levée de drapeaux israéliens aux 48èmes Championnats du monde de gymnastique artistique à Doha. Le 28 octobre, Miri Regev, ministre israélienne de la Culture et des Sports, a assisté à un tournoi de judo à Abou Dhabi, au cours duquel l’hymne national israélien a été joué. Deux jours plus tard, le ministre israélien des Communications, Ayoub Kara, a prononcé un discours à Dubaï.
Les tentatives de normalisation entre Israël et les États du Golfe ne sont pas nouvelles. De nombreux États arabes ont longtemps cru que la voie de l’acceptation américaine passait par Israël. C’est ce qui a motivé le Qatar à autoriser l’ouverture d’un bureau commercial israélien à Doha dans les années 90.
Ce qui est nouveau cette fois-ci, c’est l’élan derrière la vague d’activités diplomatiques, qui témoigne de l’intensification des pressions américaines pour la normalisation entre les États du Golfe et Israël. Le soutien radical et sans compromis manifesté par le président Donald Trump à l’égard d’Israël ainsi que son intérêt manifeste pour la mobilisation d’une grande coalition pour s’opposer à l’Iran, ont laissé peu de marge d’hésitation pour accepter une relation officielle avec Israël.
Cette marge s’est encore réduite lorsque l’Arabie saoudite, avec le soutien d’Abou Dhabi, a imposé un blocus au Qatar en juin 2017, rompant l’unité du CCG. Riyad a même exercé cette année davantage de pression sur les autres pays du Golfe pour normaliser leurs relations avec Israël, lorsqu’elle a formé une alliance diplomatique avec Washington et Tel Aviv pour protéger son prince héritier en mauvaise posture, Mohammed bin Salman (MBS), à la suite de l’affaire Khashoggi.
Normalisation aux dépens des Palestiniens
Il est évident que tout progrès dans les relations entre le Golfe et Israël ne peut se faire qu’aux dépens des Palestiniens.
La campagne de normalisation menée par Israël vise à faire avorter une fois pour toutes l’Initiative de paix arabe proposée à l’initiative des Saoudiens – la proposition de dix phrases approuvée par la Ligue arabe en 2002 appelant à la normalisation des relations entre le monde arabe et Israël en échange d’un retrait complet d’Israël des territoires occupés (y compris Jérusalem-Est) et un “règlement juste” du problème des réfugiés palestiniens.
Israël a déjà eu du succès dans cette stratégie. Il a convaincu Riyad de manifester son soutien à un accord de paix qui contournerait complètement la question des terres palestiniennes occupées – ce qui, jusqu’à récemment, constituait le principal obstacle à une normalisation arabo-israélienne. Le dirigeant saoudien de facto, MBS, a déclaré en avril que les Palestiniens devaient “accepter les propositions de Trump ou la fermer !”, ce qui implique que l’occupation en cours n’est plus vue par Riyad comme un obstacle infranchissable à la normalisation.
Les intentions d’Oman
Le fait qu’Oman – un pays du Golfe fier d’être à contre-courant de la politique saoudienne lorsque nécessaire – alimente les efforts de normalisation israéliens dans le Golfe, indique toutefois que les dirigeants palestiniens ne sont peut-être pas totalement ignorés dans le processus de normalisation en cours.
Il est peu probable qu’Oman se soit soumis aux pressions israéliennes et américaines en faveur d’une normalisation inconditionnelle. Le Sultanat, connu pour sa volonté d’offrir une plate-forme pour une médiation constructive dans les différends régionaux, espérait probablement obtenir plus que la simple normalisation de ses relations avec Tel-Aviv lorsqu’il a accepté d’accueillir Netanyahu à Mascate. En fait, le ministre des Affaires étrangères d’Oman, Yusuf bin Alawi, s’est rendu à Ramallah pour rencontrer le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, un jour seulement après la visite de Netanyahu, indiquant que la décision prise par Oman d’accueillir officiellement Netanyahu n’était pas censée se faire aux dépens des Palestiniens.
Néanmoins, avant de tenter de servir de pont entre Israël et les dirigeants palestiniens, Oman devrait examiner de manière critique la politique ultra-droitière de Netanyahu et de son gouvernement et considérer le bilan bien établi d’imprévisibilité et de manque de fiabilité d’Israël.
Leçons à retenir avant de vouloir normaliser
Oman et les autres États du Golfe doivent garder à l’esprit plusieurs leçons avant d’aller vers une normalisation avec Israël :
Premièrement, les dirigeants arabes doivent comprendre ce que Netanyahu et ses ministres tentent d’obtenir par leurs visites dans leurs pays. Israël veut que son État soit reconnu dans le monde entier et les visites de responsables israéliens dans les États arabes contribuent massivement à cet objectif. Depuis la Conférence de Madrid de 1991, Israël a réussi à élargir lentement son réseau international et à se faire reconnaître parmi les États d’Asie, d’Afrique et d’autres pays, au motif qu’il avait déjà engagé les Palestiniens dans un processus de paix. En prétendant vouloir la paix et la normalisation, il s’est fait reconnaître par plusieurs États importants, dont l’Inde et le Vatican, même si le processus de paix était déjà mort-né. Depuis lors, il a lancé trois guerres sur Gaza mais n’a pas perdu beaucoup de reconnaissance, car la plupart des États ont du mal à rompre ces relations bilatérales établies.
Deuxièmement, Netanyahu n’est pas Yitzhak Rabin. Il n’a pas hésité à gifler les Omanais au visage en attaquant Gaza quelques jours seulement après le déploiement du tapis rouge pour l’accueillir à Mascate. Et le raid d’assassinats du 11 novembre a suivi une semaine au cours de laquelle Israël a approuvé la construction de 20 000 nouveaux logements dans la colonie de Ma’ale Adumim, en Cisjordanie, et ordonné des représailles massives et disproportionnées à Gaza, faisant grimper à plus de 200 le nombre de Palestiniens tués par Israël depuis le début de l’année.
Ces actions envoient un message à tous les alliés à venir dans le Golfe qu’ils doivent travailler avec Israël conformément à ses termes et conditions et que les échanges de visites officielles ne doivent pas être interprétés comme un assouplissement de la posture israélienne envers les Palestiniens. En ce sens, les États arabes doivent comprendre que tout échange inconditionnel de visites avec Israël renforcera inévitablement le pouvoir des forces de droite dominantes dans le pays et les encouragera à en faire plus.
Troisièmement, en tant que dirigeant populiste, Netanyahu est pleinement conscient du fait qu’à l’ère des médias sociaux, l’opinion publique mondiale évolue rapidement contre Israël. Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) a connu un succès relatif aux États-Unis et a largement remporté la bataille de l’opinion publique en Europe. Israël se sent menacé. Dans ce contexte, la normalisation avec les États arabes donnerait au Premier ministre israélien l’influence dont il a tant besoin et lui permettrait de pousser en avant ses initiatives diplomatiques en vue d’obtenir l’approbation des élites dominantes. La relation entre son administration et la plupart des États arabes s’inscrirait très probablement dans ce contexte de concurrence vis-à-vis de l’opinion publique.
Cela signifie que si Oman et les autres poursuivent leur rapprochement avec Israël, Netanyahu veillera à ce que le monde soit informé de tout. Les États du Golfe devront donc se préparer à des fuites peu flatteuses et à une attention médiatique orchestrée par Israël.
Malgré tout, certains États du Golfe, désespérés d’obtenir l’approbation occidentale après avoir été ébranlés par l’affaire Khashoggi, vont probablement aller bien plus loin que la vague actuelle de visites ministérielles et de diplomatie sportive, et sans poser aucune condition de progrès sur le front palestinien. La normalisation avec Israël sera toujours difficile à vendre et la rue arabe ne l’achètera jamais. C’est un jeu dangereux que jouent les dirigeants non élus du Golfe, surtout aussi peu de temps après le Printemps arabe – même si celui-ci a échoué – qui a illustré ce que la force populaire peut produire dans la région.
Il y a beaucoup à apprendre des expériences de l’Égypte et de la Jordanie. Leurs dirigeants ont peut-être signé des traités de paix avec Israël, mais des décennies plus tard, la perception d’Israël par les Égyptiens et les Jordaniens reste la même. En fin de compte, si la normalisation ne fait pas partie d’une vision plus globale pour la paix et la stabilité, elle ne profitera à personne et ne peut que discréditer ceux qui font les premiers pas dans un dialogue avec Israël.
14 novembre 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine