Lorsque Wood, âgé de 37 ans, est parti de sa ville natale de San Antonio, au Texas, pour couvrir la manifestation du bloc antifasciste contre l’investiture du président américain Donald Trump le 20 janvier, il n’imaginait pas qu’il se retrouverait avec toute une série d’accusations.
Mais ce jour-là, Wood, qui diffusait en direct la marche sur sa page Facebook, a été brutalisé et arrêté par la police avec plus de 230 autres personnes, dont des manifestants, des passants, des observateurs et des médecins.
“Je suis ferme dans mon sentiment d’être innocent”, a-t-il déclaré à Al Jazeera la veille du procès, “mais il est question de beaucoup de choses, dont l’avenir du journalisme et du droit de manifester”.
Avec le poids des accusations et du procès, Wood a été forcé de mettre sa carrière de journaliste en retrait.
“Je n’ai pas le temps ni l’énergie de me concentrer pour essayer de donner un sens au monde en petites touches et les communiquer”, a-t-il expliqué.
“J’ai juste assez de temps pour me concentrer sur ma situation précise du moment, et ça a vraiment eu un impact sur moi.”
Wood et six coaccusés sont le premier groupe de près de 200 personnes à faire face à des accusations en rapport avec des émeutes et des dommages matériels pour leur participation présumée aux manifestations du Jour de l’Inauguration.
Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la capitale le 20 janvier pour protester contre le premier jour de présidence de Trump.
Au cours d’une marche du bloc antifasciste, la police a attaqué les manifestants et a procédé à des arrestations massives en ramassant au hasard des manifestants, des passants, des observateurs, des journalistes et des médecins. Plus de 230 personnes ont ensuite été accusées d’actes criminels.
Une poignée de manifestants a détruit des biens, brisant des fenêtres et des guichets automatiques pendant qu’ils se frayaient un chemin à travers les rues de la capitale. Le bureau du procureur des États-Unis pour Washington (DC) a estimé que les dommages avaient totalisé plus de 100 000 dollars.
Le 27 avril, la Cour supérieure de DC a renvoyé une mise en accusation qui a ajouté une série de charges pour 212 accusés, dont trois n’avaient pas été inculpés auparavant.
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Certains de ceux qui ont été confrontés à des accusations d’actes criminels ont plaidé coupables pour obtenir une réduction considérable des peines, tandis que d’autres ont vu leurs accusations abandonnées.
Plus de 190 personnes doivent encore être jugées.
“La plupart du temps, cela semble si clairement absurde et évidemment politique… D’autres jours, la machine semble pouvoir me broyer”, a déclaré Wood.
Au moment où cet article était écrit, le bureau du procureur des États-Unis pour DC n’avait pas répondu à la demande d’informations d’Al Jazeera.
“Une victoire partielle”
Un groupe distinct de prévenus, qui se rendra au tribunal en décembre, a vu ses accusations criminelles réduites et ne fait plus face qu’à trois délits.
Bien que certaines accusations ont été réduites pour tout le monde, la plupart des accusés pourraient encore se retrouver en prison pour plus de 60 ans.
“La réduction des charges pour le deuxième groupe à devoir passer en jugement, mais pas pour le premier, semble être en ligne avec l’arbitraire du reste de l’affaire”, a déclaré à Al Jazeera par téléphone Sam Menefee-Libey, un militant du groupe de soutien DC Legal Posse avant le passage au tribunal prévu mercredi.
“C’est une victoire partielle, mais beaucoup de gens risquent toujours de passer beaucoup de temps derrière les barreaux, et nous ne céderons pas jusqu’à ce que tout le monde soit libre”, a-t-il déclaré.
«Il est important que nous nous battions encore plus pour que toutes les accusations soient abandonnées. Toutes les accusations doivent être abandonnées et la seule façon d’y parvenir est la solidarité.
Les accusés, les militants et les observateurs accusent le gouvernement d’avoir cumulé les accusations contre les prévenus afin de détourner l’attention des violences policières le jour de la manifestation.
En juin, l’American Civil Liberties Union (ACLU) a intenté une action en justice au nom de quatre plaignants qui avaient été arrêtés lors de la marche du bloc anti-fasciste le 20 janvier.
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La plainte de l’ACLU mentionne le fait que la police a utilisé une “force écrasante et illégale” contre “des manifestants non-violents lors de manifestations en grande partie pacifiques”.
Dans les éléments de ce procès, il y a l’affirmation selon laquelle la police n’a pas diffusé d’avertissements de dispersion adéquats pendant la manifestation, et qu’elle a employé inutilement des agents chimiques – tels que le gaz poivré – contre des personnes déjà immobilisées, et effectué des examens rectaux brutaux sur certains détenus.
Le Bureau des plaintes contre la police de Washington, DC, a publié un rapport plus tôt cette année qui disait que le département de police de la ville pourrait avoir violé certaines règles. Il a appelé à une enquête indépendante par un groupe cependant contesté puisque ayant des liens étroits avec la police.
“Tout simplement absurde”
Dylan Petrohilos, un accusé de 28 ans qui pourrait aller en prison pour quelques 61 années, a déclaré que l’affaire était “tout simplement absurde”.
“C’est un fait que les gens peuvent passer le reste de leur vie en prison à cause de cela”, a-t-il déclaré à Al Jazeera par téléphone. “La réalité est que les arrestations de masse se sont produites sans cause identifiable et sans avertissements de dispersion préalables ou appropriés.”
Petrohilos a décrit les arrestations comme faisant partie d’une répression plus large des manifestations à travers le pays.
En septembre, à la suite d’un verdict de non-culpabilité pour un policier blanc qui avait assassiné en 2011 Anthony Lamar Harris, un Afro-américain de 24 ans, des manifestations ont éclaté à St Louis dans le Missouri. La police a arrêté plus de 300 personnes en 18 jours.
Beaucoup font face à des accusations d’émeutes, d’actes criminels et autres délits.
L’année dernière, quelque 600 personnes ont été accusées d’avoir participé à des manifestations contre le Dakota Access Pipeline à Standing Rock, dans le Dakota du Nord, où les manifestants se sont opposés à ce qu’ils ont qualifié de vol de terres amérindiennes.
Alors que la plupart ont été accusés de délits, certains sont accusés de crimes.
Se référant aux accusations relatives à la journée d’inauguration, aux protestations de St Louis et de Standing Rock, Petrohilos a déclaré: “Il y a un effort concerté en ce moment pour sévir contre les droits d’organisation et de dissidence aux États-Unis.”
Quant à Alexei Wood, il est persuadé que le gouvernement espère produire un effet dissuasif sur les manifestants et les journalistes. “Cela n’a rien à voir avec la culpabilité ou l’innocence – soit vous survivez au système, soit vous succombez”, a-t-il dit. “A mon avis ils se fichent bien des vitres cassées”, conclut Wood.
“Le gouvernement veut du sang ! Le climat politique étant anti-presse, cela ne me surprend pas que je sois ici”.
* Patrick O. Strickland est un journaliste et grand reporter américain indépendant spécialiste des questions de justice sociale et des droits humains au Moyen-Orient et spécialement en Palestine. Il écrit pour de nombreux médias notamment al-Jazira, Alternet, VICE News, Deutsche Welle, Syria Deeply, AlterNet, Electronic intifada, Socialist Worker etc …
Son compte Twitter : @P_Strickland_
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15 novembre 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine