Par Jonathan Cook
La nomination par Donald Trump de David Friedman en tant qu’ambassadeur des États-Unis en Israël a provoqué la consternation générale au cours du weekend, sur fond de spéculation accrue selon laquelle le président élu déplacerait l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem.
Dans son discours d’investiture, Friedman 57 ans a salué sa chance de travailler à l’ambassade “à partir de la capitale éternelle d’Israël qu’est Jérusalem”. Cela signifierait la reconnaissance des États-Unis de l’annexion illégale de Jérusalem-Est par Israël, longtemps considérée comme la seule capitale possible d’un futur État palestinien.
Mais la nomination de Friedman – si elle est confirmée par le Sénat – signifierait plus qu’un changement d’adresse de l’ambassade des États-Unis et une nouvelle dégradation des perspectives d’un État palestinien.
“Elle met fin à toute illusion d’un processus diplomatique,” selon Diana Buttu, ancienne conseillère juridique de l’Organisation de libération de la Palestine, à Al Jazeera. La prochaine administration américaine ne va pas se contenter d’avoir seulement un programme pro-Israël comme ses prédécesseurs. Mais ce sera un programme pro-colon.”
Ce qui, selon les analystes, pourrait marquer un changement radical dans la “relation particulière” entre les États-Unis et Israël. Le choc probable pourrait perturber les affaires comme d’habitude entre Washington, l’Europe et l’état Israélien lui-même et la première victime serait l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.
Friedman, un avocat spécialisé en faillite proche de Trump depuis 15 ans, est un allié du mouvement des colons extrémistes israéliens. Il est connu pour être en faveur de l’annexion de vastes parties de la Cisjordanie, si ce n’est pas la totalité.
Ce qui le place – du moins en théorie – à la droite de Benjamin Netanyahu, le premier ministre israélien. En effet, Friedman est idéologiquement plus proche du Foyer juif, le parti pro colon d’extrême droite, dirigé par le ministre de l’éducation israélien, Naftali Bennett, rival politique de Benjamin Netanyahu.
Un interlocuteur privilégié de Trump
Traditionnellement, les ambassadeurs ne font pas de politique. Mais, Friedman avait été l’interlocuteur privilégié de Trump en tant que conseiller sur le conflit israélo-palestinien au cours de la campagne électorale présidentielle. Il est difficile de ne pas interpréter sa nomination comme une déclaration d’intention par le futur gouvernement de Trump.
Au cours des derniers mois, Friedman a laissé peu de doute quant à sa position ainsi que celle de Trump sur les grandes questions.
Son soutien personnel pour les colons n’est pas un secret. Il est le président du comité Amis américains de Bei El, qui contribue au financement d’une colonie extrémiste, près de Ramallah en Cisjordanie occupée. Il contribue également à des articles d’opinion pour Arutz Sheva, le principal média des colons.
En septembre, Friedman a été l’un des rares à prendre le parti de Netanyahu après que le premier ministre ait assimilé la création d’un État palestinien avec le “nettoyage ethnique des Juifs” – le déplacement des colons vivant dans les territoires occupés en violation du droit international. “Netanyahu”, dit-il, “avait pris exactement la bonne décision”.
Auparavant, cet été, Friedman a déclaré qu’une administration Trump ne ferait aucune pression sur Israël pour créer un État palestinien. Si les Israéliens ne veulent pas le faire, selon [Trump], “ils ne sont pas obligés. C’est leur choix,” a-t-il déclaré au journal Haaretz.
Mais, l’effet de Friedman ambassadeur pourrait être plus important qu’une simple fin de la prétention de Washington comme un intermédiaire impartial, selon l’analyste israélien Jeff Halper. Il annoncerait le moment de retrait de l’engagement des États-Unis.
En ce qui concerne l’annexion de certaines parties, ou même la totalité de la Cisjordanie, selon Friedman “Trump n’aurait absolument aucun problème avec cela”.
C’est quand les États-Unis déclareront, “Nous sommes hors de la scène. Laissons les parties régler leurs problèmes eux-mêmes”, a dit Halper à Al Jazeera, “que cela sera pour Israël le feu vert pour démarrer l’annexion de la Cisjordanie. Israël le ferait en un clin d’œil.”
Attaque contre les juifs libéraux
L’influence de Friedman est susceptible de s’avérer particulièrement polarisante chez les juifs en Israël et aux États-Unis, selon Yossi Alpher, qui a servi en tant que conseiller auprès de l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak.
Une grande majorité des juifs américains sont libéraux et seront très mécontents si l’administration de Trump est ouvertement en faveur des colons,” a-t-il dit à Al Jazeera. “Ce serait creuser un fossé entre eux.”
Les tensions sont nées dans la communauté organisée juive américaine depuis la présidence de George W Bush. Le lobby libéral de “J Street” a été créé en 2007 spécifiquement pour contester la domination du Comité des Affaires publiques des États-Unis et d’Israël (CAPEUI) au Congrès et faire pression pour une solution à deux États.
Friedman a lancé des attaques d’une férocité sans précédent contre la communauté juive libérale. Il a traité “J Street” de pire que des kapos: les juifs qui ont collaboré avec les nazis dans les camps de la mort.
Jeremy Ben-Ami, Président de “J Street” a qualifié l’investiture de Friedman “d’inacceptable”, ajoutant: “Nous allons combattre cela par tous les moyens.”
De même, le mouvement américain “Peace Now” a dénoncé un mouvement de déstabilisation qui ne fait que jeter de l’huile sur le feu israélo-palestinien.
De l’autre côté de la ligne de front, Morton Klein, président de l’Organisation sioniste d’Amérique, belliciste, a affirmé que Friedman avait “le potentiel d’être le plus grand ambassadeur des États-Unis en Israël”.
Mettre fin au bipartisme
Michel Warschawski, un analyste israélien, a déclaré que la polarisation des lobbies pro-israéliens aux États-Unis s’accélérerait. “Nous avons certainement atteint le point où le bipartisme et l’unanimité de soutien à Israël dans la communauté juive s’achève,” a-t-il déclaré à Al Jazeera.
En outre, selon Alpher, cela pourrait “élargir le fossé” en Israël entre les partis démocrates et républicains. Friedman n’a pas l’air prêt à envoyer des messages de la conciliation”, a-t-il déclaré.
Au cours de la campagne électorale, Friedman a à la fois accusé le président Obama et le Département d’État d’être “antisémite”. “Les responsables du Département d’État qui tenteront de s’opposer à la politique de Trump au Moyen-Orient”, a t-il dit, “s’entendront dire : Vous savez quoi, les gars? Vous êtes tous renvoyés!”
Une déclaration de Friedman co-rédigé en novembre avec un autre conseiller de Trump, Jason Greenblatt, a soutenu les efforts de Netanyahu de faire annuler l’une des réalisations-clé de la politique étrangère d’Obama – un accord signé avec l’Iran l’année dernière.
La question est de savoir si cette atteinte à l’héritage d’Obama va transformer le soutien à Israël en une question ouvertement partisane pour la première fois à Washington.
De même, il est difficile de savoir comment l’Europe va répondre à un changement de cap au Moyen-Orient. Les tensions relatives au conflit israélo-palestinien entre les États membres de l’Union européenne devraient s’intensifier sous l’administration de Trump.
“Le succès de Trump fait partie d’une tendance générale qui se reflète en Europe,” selon Alpher. “Nous pourrions voir trois ou quatre de ses membres les plus à droite se détacher [de l’Union] et suivre les États-Unis en déplaçant leur ambassade à Jérusalem.”
La “voie vers l’anarchie”
De manière prévisible, la direction palestinienne a répondu avec alarme à la nouvelle de la nomination de Trump et d’un déménagement de l’ambassade des États-Unis.
Saeb Erekat, secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a prévenu que Friedman risque d’envoyer “cette région sur le chemin de quelque chose que j’appelle le chaos, l’anarchie et l’extrémisme”.
Dans ce climat politique, la stratégie d’Abbas de recherche de légitimité pour un État palestinien par le biais de l’Organisation des Nations Unies semble futile, affirme Buttu.
En octobre, au cours d’une visite en Israël, Friedman a dit aux partisans de Trump qu’il n’y aurait “pas de possibilité de fraude à l’ONU”. L’ambassadeur de Trump à l’ONU se verrait “ordonné” de rejeter tout projet de résolutions hostiles à Israël.
Pendant des années, l’Autorité palestinienne a adopté une stratégie de la passivité avec les présidents successifs des [États-Unis], croyant qu’ils étaient sur le point de faire quelque chose,” selon Buttu. “Même si la nomination d’un ambassadeur des colons met fin à cette illusion, j’ai l’impression que l’Autorité Palestinienne va continuer avec cette même approche. Non seulement, c’est le processus de paix qui est discrédité, mais aussi Mahmoud Abbas”.
L’effondrement de l’Autorité Palestinienne est “prévisible”
Halper a déclaré que l’ambassadeur Friedman pourrait se révéler être le coup de grâce de l’Autorité Palestinienne. “Un effondrement de l’Autorité palestinienne est à présager”, dit-il. “Cela pourrait fournir à Israël le prétexte pour annexer une grande partie de la Cisjordanie.”
Friedman pourrait aussi causer des problèmes à Netanyahu qui tente de garder un semblant de contrôle sur une partie indiscipliné de l’extrême droite du cabinet, dont certaines parties sont impatientes de l’évincer et de poursuivre sur la voie de l’annexion de la Cisjordanie.
Chemi Shalev, un éditorialiste de Haaretz, a observé que Friedman a fait de Netanyahu un “défaitiste de gauche … La dernière chose dont il a besoin, c’est un ambassadeur des États-Unis qui soutient ses rivaux les plus redoutés”.
“Un groupe qui pourrait être renforcé par la nomination de Friedman”, dit Buttu, était “le mouvement BDS – Boycott, désinvestissement et sanctions.”
“C’est une aubaine pour eux,” dit-elle. “Contrairement à Abbas qui ne fera rien, les militants BDS s’activeront encore plus, maintenant que la futilité des efforts diplomatiques actuels est claire.”
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
19 décembre 2016 – Jonathan Cook – Traduction : Chronique de Palestine – Sarah Bouachacha