Abdel Bari Atwan – Les faucons du Pentagone ont saboté l’accord de cessez-le-feu en Syrie. Plutôt que de se réconcilier avec la Russie, les États-Unis semblent vouloir l’enfoncer dans un bourbier.
La démolition de l’accord de cessez-le-feu en Syrie conclu à Genève il y a dix jours par le secrétaire d’État américain John Kerry et son homologue russe, Sergueï Lavrov, était à prévoir. Il n’y avait aucune intention de maintenir la trêve ou de l’étendre au-delà de la première semaine, et surtout pas de la part des Américains qui semblent avoir adopté un changement de vue radical à ce sujet.
Le raid aérien US de samedi qui a décimé un contingent de l’armée syrienne à Jabal ath-Tharda près de Deir az-Zour – tuant 82 soldats et en blessant plus de 100 – en était la plus claire indication. Les États-Unis semblent décidé à rebattre les cartes en Syrie une fois de plus, et à mettre au rebut des ententes antérieures avec la Russie sur un règlement politique.
Un bombardement planifié et concerté par les États-Unis et leurs alliés
Les gouvernements britanniques, australiens et danois ont reconnu lundi que leurs avions ont également pris part à l’attaque. Cela signifie qu’il faisait partie d’une action planifiée et concertée, ce qui compromet encore davantage la crédibilité des États-Unis qui prétendent qu’il s’agissait d’une erreur. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux se vantent sans cesse de la précision de leurs armes intelligentes et des soins qu’ils prennent dans leur ciblage. On pourrait imaginer qu’un avion de guerre américain ait gaffé et frappé une mauvaise cible, mais il est incroyable que la même erreur puisse être faite par les quatre forces aériennes.
On pouvait s’y attendre, ce fut la fin de l’accord américano-russe. Quelques minutes après l’expiration du cessez-le-feu lundi soir, la situation en Syrie est revenue à la case départ. L’artillerie et les missiles de gouvernement syrien ont repris leur martèlement de l’est d’Alep – le principal bastion de la plupart des factions de l’opposition armée, soutenue par les frappes aériennes. Attendons-nous à ce d’autres fronts dans la guerre se rallument à leur tour.
Pourquoi les États-Unis reviennent-ils sur l’accord de cessez-le-feu qu’il ont signé, et prennent de telles mesures drastiques pour s’assurer qu’il sera rapidement en lambeaux ? Kerry, habituellement bavard, a gardé en grande partie le silence sur la question et évité d’en parler de trop devant les médias. Mais il semblerait que plusieurs considérations sont en conflit à Washington.
Les États-Unis veulent prolonger la guerre en Syrie
Les États-Unis ne sontpas pressé de voir la fin de la crise en Syrie. De plus en plus, ils semblent se contenter de laisser persister le conflt, tout en voulant l’exploiter en enlisant et faisant saigner la Russie et son armée, et ses alliés syriens et iraniens, comme il l’a fait en Afghanistan lors de la présence soviétique dans les années 1980.
Pour épuiser les Russes, il est impératif de garder intact et de préserver le pouvoir des factions islamistes djihadistes, notamment Fateh ash-Sham (anciennement le Front Nusra) et sa puissante coalition d’alliés dont Jaish al-Fateh, Ahrar ash-Sham, Failaq ash-Sham et d’autres. Ils constituent le noyau dur militaire de l’insurrection, tout comme les moudjahidin l’ont fait en Afghanistan – et ils sont soutenus par les mêmes États du Golfe qui ont financé leurs homologues afghans.
Les États-Unis veulent aussi empêcher le gouvernement syrien de reprendre le contrôle de Deir az-Zour. Les champs pétroliers les plus importants du pays sont situés dans cette zone, et leur récupération réduirait la pression financière sur Damas et lui permettrait d’améliorer les conditions économiques dans le pays. En plus de ses ressources pétrolières, l’est de la Syrie est aussi une riche région agricole.
Les Etats-Unis ne veulent pas d’un succès russe à Raqqa ou Deir az-Zour
Dans le même temps, les États-Unis sont engagés dans une course avec la Russie pour la capture d’al-Raqqa, le principal bastion syrien de l’État islamique groupe (IS). Il semble clair que le Pentagone, qui a envoyé des forces spéciales pour combattre aux côtés des forces kurdes pour combattre l’IS sur les deux côtés de la frontière entre l’Irak et la Syrie, ne veut pas voir le triomphe de la Russie de Palmyra répété à Raqqa ou Deir az-Zour, même si cela avantage l’IS, au moins temporairement.
Cela peut expliquer la déclaration du président Bachar al-Assad lundi accusant les États-Unis d’aider IS. La prise de contrôle par le groupe de la position de l’armée syrienne sur l’aéroport Deir az-Zour donnerait un contrôle de pratiquement le seul aéroport militaire à la disposition de l’armée syrienne dans l’est du pays, et lui permettrait dans le même temps de perturber l’aviation civile. Les frappes aériennes menées par les États-Unis et leurs alliés ont facilité la réalisation de cet objectif.
Cette nouvelle volte-face du Pentagone est très risquée, sinon téméraire. Elle pourrait conduire à des affrontements politiques et peut-être militaires avec Moscou. Il n’a pas été surprenant que l’envoyé de la Russie aux Nations-Unies, Vitally churching, se soit senti obligé de se demander qui était en charge de la politique américaine en Syrie – le Département d’État ou le Pentagone ? Alors qu’il va certainement ne recevoir aucune réponse, pour la Russie la frappe aérienne ressemblait à une attaque délibérée visant à l’embarrasser et à la discréditer aux yeux de ses alliés – en la forçant, de manière efficace, soit à acquiescer aux changements dictés par les États-Unis sur les conditions du cessez-le-feu, ou à porter la responsabilité pour des conséquences de son effondrement.
Les faucons de la politique étrangère américaine
Les faucons dans l’administration des États-Unis se sont toujours opposés à la politique d’engagement avec la Russie sur la Syrie. Ils voient le conflit comme une occasion d’enchevêtrer et d’épuiser la Russie et son armée, comme leurs prédécesseurs néos-conservateurs l’ont fait en Afghanistan. Ce même état d’esprit a conduit plus tard à l’invasion de l’Irak et au bombardement de la Libye. La grande différence cette fois-ci, c’est que la Russie de Poutine n’est pas la même que sous Brejnev ou Gorbatchev ou Eltsine.
Les États-Unis répugnent à prendre des mesures contre Fateh ash-Sham/Nusra, ou de faire la différence entre cette organisation et les [supposées] factions opposées modérées, comme il a été stipulé dans l’accord avec la Russie. Il s’emploient à faire tout le contraire. Nous sommes maintenant confrontés à un combat de coqs entre les deux superpuissances. Il ne faudra pas attendre longtemps avant de savoir qui faiblira en premier.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
21 septembre 2016 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah