Il y a quelques mois, deux étudiants de Gaza, Mustapha Al-Buhaisi et Mustapha Aljamal – qui se trouve être mon frère – qui étudient tous les deux le français et l’anglais (langue et littérature) à l’Université Al-Azhar à Gaza, avaient obtenu une bourse pour participer à une université d’été en France.
Cette bourse fait partie du programme d’échange Erasmus de l’Union européenne. Pourtant, les autorités israéliennes leur ont jusqu’à présent refusé le permis dont ils ont besoin pour quitter Gaza, se rendre en Cisjordanie puis en Jordanie, et de là partir pour la France.
Leur rêve de quitter Gaza pour la première fois de leur vie semble maintenant s’évanouir.
Dans une lettre adressée à Gisha, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme qui se bat pour la liberté de mouvement des Palestiniens entrant et sortant des Territoires palestiniens, Aljamal et Al-Buhaisi ont écrit :
Nous… vous écrivons avec un cœur lourd, pour parler du refus des autorités israéliennes de nous accorder l’autorisation de traverser la Cisjordanie et la Jordanie pour rejoindre notre université d’été Erasmus à Paris le 24 juin 2019.
Après des mois de travail et de préparation acharnés, nous avons tous deux obtenu une bourse pour assister à une université d’été dans le cadre du programme d’échange Erasmus. Mais les autorités israéliennes ont opposé un refus à nos demandes de quitter la bande de Gaza. Pour des raisons d’organisation, la bourse Erasmus prévoit de nous aider à sortir de la bande de Gaza par Israël puis la Jordanie et la traversée de Rafah (via l’Égypte) n’est pas une solution retenue.
Le temps presse maintenant pour que les deux jeunes hommes puissent quitter Gaza, car cela nécessite un permis israélien et il s’agit d’un long processus. Leur espoir s’estompe un peu plus chaque jour.
L’histoire des deux Mustaphas est un autre exemple de la façon dont les étudiants palestiniens de la bande de Gaza sont collectivement punis, simplement pour être des résidents de l’enclave côtière. C’est l’histoire de milliers de Palestiniens qui ont perdu des opportunités et des bourses tout au long des années d’occupation et de siège du territoire par Israël, qui les empêche de quitter Gaza pour poursuivre leur formation académique et rencontrer des personnes de cultures différentes.
Apprendre les langues est difficile à Gaza. Les étudiants n’ont pas suffisamment accès aux ressources universitaires, aux locuteurs natifs ou aux moyens modernes pour apprendre les langues comme partout ailleurs dans le monde. Pourtant, les habitants de Gaza ne cessent de progresser. Par exemple, des milliers de personnes dans la bande de Gaza savent parler anglais couramment. Ils utilisent cette langue comme un moyen de se connecter à un monde qui les a abandonnés tout au long des 13 années d’un siège asphyxiant. Ils utilisent cette langage pour s’exprimer de différentes manières, y compris par les arts et les peintures murales – comme l’a fait mon frère Mustapha sur les murs de notre camp de réfugiés de Gaza. (En plus de l’anglais et du français, il a appris le turc !)
Il semble que le monde a oublié Gaza et ses deux millions d’habitants. Le ciel et la terre eux-mêmes semblent emprisonner Gaza ces jours-ci, ne lui permettant ni de respirer, ni de parler. Pourtant, malgré cette triste réalité, véritable métaphore de la mort à Gaza aujourd’hui, les Palestiniens toujours survivent et la vie continue.
Mais pourquoi les Palestiniens doivent-ils supporter tout cela ? J’ai vécu cela aussi en 2013, quand on m’a refusé un permis israélien pour assister à une conférence sur la traduction en Jordanie. J’ai failli perdre une subvention de recherche en 2013 après quatre tentatives infructueuses de traverser le passage de Rafah pour me rendre en Égypte. J’ai eu la chance de quitter enfin la bande de Gaza, mais j’ai dû changer mes billets à cinq reprises ! Je dois avouer cependant que j’étais assez crédule pour avoir acheté mes billets à l’avance.
Ce que les deux Mustaphas traversent aujourd’hui s’inscrit dans une campagne plus vaste visant à faire taire les Palestiniens et à nous maintenir isolés du reste du monde. Les Palestiniens doivent être enfermés derrière les murs pour que personne ne les entende crier ou même mourir. Les étudiants palestiniens doivent attendre aux points de contrôle et leurs écoles doivent être bombardées et leurs camarades de classe doivent être tués, juste parce qu’un tireur d’élite israélien ou un soldat de 19 ans qui s’ennuie dans son sale boulot, en décide ainsi.
« Toute personne a droit à l’éducation », nous dit la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourtant, cela ne semble pas s’appliquer aux Palestiniens, qui malgré toutes les restrictions ont l’un des taux d’alphabétisation les plus élevés au monde.
Alors, que font les Palestiniens ? Ils s’accrochent à l’espoir, notre éternelle maladie ! A l’espoir que “les choses iront mieux”, l’espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, l’espoir que les étudiants seront autorisés à entrer et sortir de Palestine sans restrictions et que les deux Mustapha et tous les jeunes qui vivent à Gaza et qui le souhaitent – seront autorisés à partir et à rentrer comme bon leur semble, sans avoir à s’inquiéter ni de permis ni de visas, car “tous les hommes sont égaux” … du moins théoriquement.
Auteur : Yousef M. Aljamal
* Yousef M. Aljamal est un chercheur en études du Moyen-Orient et l'auteur et traducteur d'un certain nombre de livres.Il est éditeur au Palestine Chronicle, et réfugié palestinien à Gaza.Yousef est co-auteur de A Shared Struggle : Stories of Palestinian and Irish Hunger Strikers publié par An Fhuiseog (juillet 2021).Son compte Twitter.
14 juin 2019 – Just World Educational – Traduction : Chronique de Palestine
Pourquoi l Égypte n’ouvre pas sa frontière ????
L’Égypte devrait rejeter l argent qu’elle reçoit pour fermer ces frontières, et ne doit pas oublier que des enfants meurent a cause du blocus !