Toufic Haddad : Comment avez-vous été impliqué dans le mouvement national ? Quels ont été les facteurs qui vous ont motivé et qui ont conduit à ce choix de vie ?
Fakhri Barghouti : Personne ne nait dévoué à la cause nationale. Ce n’est pas quelque chose qui vous vient tout emballé, mais plutôt qui évolue lentement avec une accumulation d’expérience où la prise de conscience individuelle de la vie sous occupation vient en tête.
La première chose qui a planté une graine dans ma tête fut la mort de mon frère Ribhi [Ribhi était l’un des fedayins palestiniens basés au Liban et il a été tué dans ce qui est connu sous le nom de bataille d’Arqoub en 1970.] À l’époque, il avait le projet d’épouser une femme de notre village. Dans la nuit qui précédait son départ, nous avions organisé une fête de mariage pour elle parce que la plupart d’entre nous n’étions pas en mesure d’aller assister au vrai mariage, et notre maison était occupée à préparer une fête pour son départ.
J’avais 16 ans à l’époque. Vers le crépuscule, un vendeur de légumes est arrivé avec son camion dans le village et il amenait de mauvaises nouvelles. Mais il a vu qu’un mariage avait lieu. N’osant pas approcher directement notre famille, il s’est rendu chez un proche parent près de là et lui a dit que notre frère avait été tué et que le mariage devait être arrêté. Il n’y avait plus de raison pour la future épouse de traverser le lendemain le pont vers la Jordanie, maintenant que son fiancé était mort.
A ce jour, cette expérience est restée gravée dans ma mémoire : ma soeur a remarqué que les voisins ne se comportaient pas normalement et qu’ils s’obstinaient à chuchoter entre eux. Elle s’approcha d’eux et elle était sur le point de demander ce qui s’était passé, mais ce sont eux qui se sont approchés d’elle. C’est alors qu’elle a réalisé que ce qu’ils savaient avait quelque chose à voir avec notre famille, et l’une des femmes a eu enfin le courage de tout lui dire.
Je peux encore entendre ses cris et ses pleurs. Ce fut une expérience qui a lourdement affecté notre famille. Mon père en particulier a été brisé. Bien sûr, le temps a fini par passer, mais il ne s’est jamais tout à fait remis de cette disparition. J’avais l’habitude de l’aider dans les champs et je voyais des sursauts de tristesse le traverser encore de temps en temps.
J’avais le sentiment de ne rien pouvoir faire pour soulager la douleur de ma famille. À l’époque nous avions encore un autre de mes frères au Liban, et son sort nous était inconnu. Nous avions aussi entendu dire que les Israéliens viendraient détruire notre maison en raison des activités militantes de mon frère, et toutes ces raisons n’ont fait qu’ajouter à la lourdeur du coeur de notre père.
C’était cela la situation de notre famille. Elle semblait constamment instable et j’ai commencé à réfléchir. J’ai rapidement compris que s’il n’y avait pas eu d’occupation israélienne avec tout ce qu’elle impliquait en termes d’oppression – comment ils ont pris notre terre, comment ils ont arrêté et tué les nôtres, comment leurs politiques ont affecté les vieux et les jeunes – rien de tout cela ne serait arrivé. Voilà comment je suis devenu de plus en plus conscient de la lutte nationale, et aussi comment j’ai vu cette lutte comme un moyen de faire quelque chose.
J’ai commencé à m’impliquer dans diverses activités nationalistes, souvent à l’occasion de manifestations commémoratives et faisant ce que je pouvais. À l’époque j’avais un parent nommé Abou Assef [Omar Barghouti], avec qui j’ai grandi et dont j’étais très proche. Il m’a aidé à trouver un moyen pour atteindre le Liban et obtenir une formation militaire avec l’un des groupes qui étaient là-bas. C’est là que j’ai appris où était mon devoir et je suis retourné en Palestine après environ un an avec un peu d’expérience et des objectifs pour mieux agir. J’ai commencé à militer de façon plus élaborée sur le plan social, en créant des associations, une coordination avec les syndicats et les différents groupes.
A un moment nous avons décidé de passer à un autre niveau, et je me suis engagé dans la lutte armée et j’ai intégré une cellule qui a exécuté un officier du renseignement militaire israélien près du village de Nabi Saleh [près de Ramallah]. L’armée a bouclé tout le village, qui a alors supporté tout le poids de la répression tandis que nous étions dissimulés dans les broussailles à proximité. Mais comme il faisait sombre et parce que c’était le mois de janvier et qu’il pleuvait, nous avons réussi à nous échapper, l’armée ne pouvait pas retrouver nos traces. Nous nous sommes enfuis et nous avons pu rentrer dans notre village.
Après six mois et après diverses autres actions, nous avons finalement été arrêtés : Abou Assef, Abou Nour [Nael al-Barghouti] et moi-même. Abou Assef a été condamné à la perpétuité et à 48 ans de prison supplémentaires, alors que Abou Nour et moi-même avons été aussi condamnés à la prison à vie et à 17 ans de plus. J’avais 24 ans au moment où j’ai été arrêté [en 1978].
Toufic Haddad : Pouvez-vous décrire comment votre vie a changé ? Pensiez-vous que vous resteriez en prison toute votre vie ?
Fakhri Barghouti : Tout a changé. C’était une autre vie, une nouvelle réflexion. Vivre au quotidien, c’était se préoccuper de la façon de survivre dans les conditions nouvelles que la prison imposait – comment vous devez rester sain d’esprit et comment aider les autres à faire face. Nous devions être capables, en tant que prisonniers politiques, de rester unis et mobilisés et de ne pas permettre la désorganisation, surtout parmi les nouveaux prisonniers.
Vous n’avez pas d’autre choix que d’essayer de rester ferme et de vous préserver. Nous l’avons fait en organisant des séances éducatives, en mettant en place une activité de tous les jours pour le maintien de la forme physique et en développant une activité sociale afin de connaître les autres prisonniers et entendre leurs préoccupations.
Personne ne peut survivre en prison et penser qu’il sera là toute sa vie sans entretenir un minimum d’espoir. Si vous perdez espoir, soit vous dites au revoir au monde et vous vous pendez au plafond, soit vous devenez fou. Il n’y a pas d’autre alternative.
Pour cette raison, il était impératif que je me préserve, que je conserve mon état mental, que je préserve mon équilibre pour m’assurer que je n’atteigne jamais le stade du désespoir. Parce que lutter pour une cause n’est pas quelque chose qui se fait en un ou deux jours. Ce n’est pas non plus quelque chose qui ne s’applique que dans un seul endroit.
Quelles que soient les circonstances, si vous avez la foi, vous pouvez continuer à lutter. Lorsque vous entrez en prison, la lutte n’est pas terminée.
Il n’y a aucun doute à ce sujet : la prison est difficile. Imaginez ce que c’est, que de rester sans manger pendant vingt jours, et que tout ce que vous avez est un verre d’eau. C’est comme cela quand vous êtes en grève de la faim, ce que nous avons été obligés de faire plusieurs fois. Une des choses les plus difficiles pour un être humain c’est de se forcer à ne pas manger, même si l’administration pénitentiaire place la nourriture juste sous votre nez.
C’est une forme de lutte beaucoup plus difficile que d’être actif sur un front où vous pouvez être tué ou non. Il s’agissait de notre vie, et cela a été beaucoup plus difficile que la lutte à l’extérieur. Mais c’était un élément d’une seule et même lutte.
La prison à cette époque était particulièrement dure parce que nous n’avions pas encore gagné les droits élémentaires dont les prisonniers bénéficient aujourd’hui. Nous devions dormir sur le sol nu, sans couverture. Quand ils nous ont apporté des couvertures et des oreillers, ce n’était même pas digne d’un chien. La prison était très froide et les prisonniers devaient coudre des sacs en nylon pour en faire des couvertures et tenter d’avoir un peu de chaleur.
Quand nous avons gagné, après une grève des prisonniers, le droit d’avoir des matelas – qui étaient en réalité faits d’éponges en caoutchouc des plus primitives – nous avions l’impression que l’on nous avait amené des lits pour des noces.
Le droit de fumer chaque cigarette en prison n’a été remporté que par la lutte. Vous devez rester fermes. Vous avez besoin de préserver votre dignité quel qu’en soit le coût. Parce que si vous perdez votre dignité, ce n’est pas comme une marchandise que vous pouvez simplement remplacer. Si vous perdez votre dignité, tout est perdu. Ainsi votre existence entière en prison est ancrée sur l’idée de ne pas céder. Autant ils essayent de vous briser, autant vous résistez et préservez votre dignité et votre honneur. Dieu merci, j’ai le sentiment d’en avoir été capable.
Toufic Haddad : Pouvez-vous parler des changements qui ont eu lieu en prison pendant la longue période où vous y êtes resté ? Comment était la vie avant et après le processus d’Oslo ?
Fakhri Barghouti : Jusque vers le début des années 1990, le moral des prisonniers était très élevé, mesurable dans leur dévouement à la cause et dans leur capacité à rester organisés. Mais quand Oslo est survenu et que la direction [palestinienne] est venue de l’étranger tandis que la situation politique semblait s’ouvrir, les prisonniers sont malgré tout restés en prison. Ceci nous a lourdement affectés. Il nous semblait que c’était nous qui avions payé le prix pour que la direction puisse revenir, mais que celle-ci nous avait abandonnés.
Chacun sait que dans les situations de conflit, avant même que les négociations ne débutent après qu’un cessez-le-feu a été convenu, la première question abordée est la question des prisonniers. Elle n’est jamais mise en attente, pendant que toutes les autres questions seraient négociées. Ce qui s’est produit a violé toutes les approches connues pour négocier et trouver une solution politique. Nous avons compris que nous avions été subordonnés à autre chose, et qu’on nous amenait à croire que nous n’avions pas de valeur – ni comme individus, ni comme personnes ayant des familles, ni comme militants mais aussi représentants des organisations politiques qui avaient décidé de nous envoyer en missions.
L’impact à été très négatif sur les prisonniers et sur l’intérêt qu’ils portaient pour les organisations et leurs activités à l’extérieur. En même temps, nous devions tous être capables de nous préserver nous-mêmes et aussi de préserver l’héritage politique qui est le nôtre et que nous représentons. Car sans un cadre politique faisant partie intégrante de notre existence en prison, nos vies se seraient transformées en un enfer et il aurait été très difficile de survivre. Comme le dit le dicton : « le chaos ne crée rien si ce n’est plus de chaos ».
Nous avons déjà payé le prix du sacrifice, aussi ce qui survenait ne pouvait pas ne pas avoir d’effet. Nous avons entrepris un travail patient pour essayer de calmer la situation parmi les prisonniers, et pour atténuer la réaction que les Accords provoquaient. Lentement mais sûrement, les prisonniers ont commencé à accepter que les choses prennent du temps. Et Oslo a provoqué une série de libérations – environ 4000 prisonniers.
Toutefois aucune de ces libérations n’incluait les prisonniers désignés [par l’Israël] lors des négociations sous l’appellation de ceux dont les « mains sont souillées de sang » [c’est-à-dire ceux qui ont été accusés de s’être engagés dans des actes de résistance ayant provoqué des blessures ou la mort].
Quiconque une fois arrêté veut rentrer chez lui. C’est votre réaction émotionnelle. Mais si vous pensez avec votre cerveau, concernant ce qui a eu lieu avec Oslo, personne n’escomptait que les prisonniers soient oubliés comme ils l’ont été. Et ce n’était pas comme si une ou deux personnes avaient été oubliées. Il y en avait entre 10 et 12 000 qui étaient en prison dans la période de la fin de la Première Intifada, et la plupart de ces personnes ont été simplement marginalisées et ignorées.
Toufic Haddad : Pouvez-vous dire comment la prison a personnellement affecté votre famille ?
Fakhri Barghouti : J’ai été jeté en prison alors que mon fils plus âgé [Shadi] avait 11 mois et que mon second [Hadi] était dans le ventre de sa mère. Quand l’armée est venue pour me prendre, les soldats ont renversé le berceau où Shadi dormait et ont tout retourné dans la maison. Dès le début, la pression était forte.
Les enfants ont grandi et Hadi s’est marié et a eu deux enfants pendant la période où j’étais enfermé. J’ai laissé Shadi derrière moi, en prison. Les deux plus difficiles périodes dans ma vie ont été quand j’ai retrouvé la première fois mes deux fils en prison après que chacun d’eux a été arrêté, et qu’ils ont été placés dans la même cellule que moi. Puis la deuxième fois quand j’ai dû dire adieu à Sahdi et que je l’ai laissé derrière moi…
J’ai n’ai réellement connu mes fils comme adultes qu’après qu’ils m’ont rejoint en prison, parce qu’après leur 16e année, la direction de la prison leur interdisait de venir lors des visites de famille. Un jour l’administration pénitentiaire est venue me trouver à 7 heures du matin et m’a dit que mes deux fils me rejoindraient à quatre heures dans l’après-midi. Jusqu’à ce moment-là, le temps s’est littéralement arrêté pour moi. D’autres prisonniers m’ont demandé : « Comment te sens-tu », et j’ai refusé de répondre, parce que la douleur et le poids étaient trop grands. Je ne tenais plus en place et la tête me tournait. Comment est-ce que j’allais réagir ? Qu’allais-je ressentir ? J’ai essayé de me maîtriser mais je n’y arrivais pas car les émotions me submergeaient.
Quand il a été quatre heures et que j’ai entendu les gardes commencer à ouvrir la première porte, c’était mon coeur qui s’ouvrait et pas simplement la porte. Quand ils ont ouvert la deuxième porte, mes nerfs ont craqué et je me suis effondré, perdant tout contrôle de moi-même. Je me suis senti comme dans une piscine tellement la sueur me couvrait. Les autres prisonniers ont essayé de me calmer mais rien n’y faisait. Tous Les prisonniers dans notre division ont commencé à pleurer. La situation était intenable pour tout le monde. C’était très, très difficile.
Encore aujourd’hui, je n’aime pas en parler parce que je sens que cela m’affecte trop … Avant ce moment-là, je n’avais pas vu mes fils depuis six ans, quand ils avaient encore l’autorisation de me rendre visite.
Quand est venu le moment de quitter la prison, j’ai réalisé que je devais laisser Shadi derrière moi [Shadi purge la huitième année d’une peine de 28 ans, accusé d’avoir été impliqué dans le projet de capturer un soldat israélien pour imposer un échange de prisonnier. Hadi avait été libéré après trois années et demi de détention]. C’était comme si l’histoire, au lieu de reprendre par le début, commençait maintenant par la fin.
Juste avant d’être libéré et alors qu’était venu le moment de lui dire adieu, j’ai voulu le quitter rapidement, voulant éviter un moment trop douloureux. Aussi je suis parti vite, et il a marché avec moi les 150 derniers mètres. Je n’ai pas voulu qu’il m’accompagne mais il l’a fait. J’ai essayé de rester fort, jusqu’à ce que nous soyons arrivés à la porte et que nous devions nous séparer. Cela a été le moment le plus douloureux dans ma vie. Il s’est agenouillé et il a commencé à embrasser mes pieds…
Quand je suis entré la première fois en prison, je pouvais les voir de temps en temps lors des visites qui leur étaient autorisées tandis qu’ils grandissaient. Puis je les ai vus quand ils étaient en prison avec moi. Mais, quand j’étais sur le point de partir je sentais que je ne reverrai jamais Shadi parce que je savais qu’il me serait interdit de lui rendre visite. Je craignais, en vérité, que ce pourrait être la dernière fois que je le vois… [Fakhri pleure].
Chaque être humain a son point de rupture… L’essence d’un être humain, c’est de rester sensible. Si on n’éprouve rien pour ceux de sa famille et ceux qui vous sont les plus proches, comment pouvez-vous ressentir quelque chose pour les autres ? Si quelqu’un autorise ses sentiments à disparaître, alors il perd son humanité.
Toufic Haddad : Qu’avez-vous ressenti quand vous avez entendu parler la première fois de l’opération militaire où la résistance a pu capturer Gilad Shalit et le garder vivant ? Avez-vous eu l’idée que votre temps en prison finirait bientôt ?
Fakhri Barghouti : Pendant de nombreuses années je me suis dit que quand je serai de retour chez moi, je saurai alors que j’étais libéré. Mais vivre dans une situation d’expectative selon l’évolution de l’affaire de Shalit et savoir si je sortirai ou pas… Je ne voulais pas m’engager dans cette voie. J’avais fait cela avant, mais en vain. Naturellement tous les prisonniers en parlaient, échangeant ce qu’ils savaient sur qui était sur la liste des prisonniers à libérer et qui ne l’était pas. Je voulais juste l’entendre mais ne pas m’y arrêter. Je ne voulais pas leur dire : « ne me parlez pas de ça ». Tout ce que je souhaitais dire était : « c’est bien ». Mais je ne me permettais pas de me soucier à ce sujet jusqu’à ce que l’affaire soit close.
Juste avant que l’accord n’ait été mené à bonne fin, j’ai appris que le destin d’Abu Nour et de moi-même avaient été fixés. Ils [Israël] voulaient nous expulser [de Palestine]. Mais apparemment dans les négociations il y avait une forte volonté pour s’assurer que nous puissions retourner dans notre village, grâce à la fermeté des négociateurs du Hamas et des intermédiaires égyptiens. En vérité je n’étais pas sûr de ce qu’il fallait croire… Et depuis que je suis libre, je n’arrive toujours pas à me convaincre que je le suis vraiment.
Toufic Haddad : La presse occidentale et israélienne s’est complètement focalisée sur la personne de Gilad Shalit. Que pensez-vous de l’attention qui lui est accordée, alors qu’aucune attention comparable n’est accordée aux prisonniers palestiniens ?
Fakhri Barghouti : Le peuple palestinien est sous occupation. Cela ne m’étonne pas que les médias n’aient pas parlé des milliers de prisonniers qui sont en prison. Ils ne nous ont jamais accordé la moindre valeur ou la moindre considération. C’était Shalit la personne opprimée. C’était celui qui payait le prix. Le monde entier parlait de Shalit. Mais aucune peuple ne peut se sentir victorieux tant que la valeur d’une seule personne n’est pas respectée. Jusqu’ici, nous sommes sans valeur pour la communauté internationale. Puisque ce sont les occidentaux qui ont « de la valeur ».
Hélas, notre propre camp est en partie à blâmer parce que nous n’osons pas soulever ces questions dans les organismes internationaux, même dans les négociations où il est question des prisonniers. Toutes ces questions sont ignorées parce que nous considérons comme quelque chose de normal que des gens aillent en prison. S’il y avait plus de respect pour la valeur de la personne humaine dans notre société, ce ne serait pas possible que les choses soient ainsi.
La personne humaine doit être élevée à la valeur la plus élevée. La terre restera, même si vous construisez dessus. Mais l’être humain et les changements qu’il éprouve sont des millions à la fois : ceux de l’âge, ceux de la psychologie, ceux du corps – et toutes ces choses ont lieu au cours d’une période de temps limité, la période de sa vie sur terre. Ainsi nous devons apprendre à accorder plus de valeur à tous ceux qui nous entourent.
En dépit de tout ceci, l’accueil chaleureux que nous avons eu à notre libération nous a redonné de la force et nous avons vraiment ressenti sa sincérité. Les larmes ont coulé, les sourires rayonnaient. Tout ceci dans un complet mélange. Vous vous sentez heureux mais en même temps vous avez envie de pleurer. En réalité, dans l’autobus qui nous a emmenés à la sortie de la prison, la plupart des prisonniers pleuraient sur le chemin de Ramallah.
La même chose s’est produite quand nous sommes entrés dans notre village. Nous avons eu l’impression que les festivités et la cérémonie de bienvenue nous faisaient marcher sur un nuage. Cela nous a donné un fort sentiment de soutien, et cela nous aidera de nombreuses années encore. Vous sentez alors que pour la Palestine – bien qu’il y ait des problèmes, des erreurs et un manque de mémoire dans notre mouvement – le prix en vaut la peine pour la majorité de notre peuple.
Toufic Haddad : Le monde arabe et islamique, ainsi que de grandes parties du « tiers monde » appuient largement la cause palestinienne. Mais l’Occident connaît peu les peuples qui vivent ici. Quel est le message que vous voudriez lui adresser ?
Fakhri Barghouti : Nous ne nous satisferons pas de discussions sans contenu. Ce n’est pas suffisant que le monde arabe et islamiques manifeste sa solidarité par des mots seulement. La langue ne libère rien. Et la langue connait également beaucoup de distorsions. Nous attendons des États arabes et des peuples arabes en général, qu’ils soutiennent les principes clairs, originaux et historiques de notre mouvement et qu’ils le soutiennent en tant que cause arabe et islamique. Qu’ils prennent leur responsabilité à cet égard.
Les régimes arabes aujourd’hui sont préoccupés de se maintenir au pouvoir et de briser leurs oppositions – et ils n’ont que faire de prendre une quelconque position vis-à-vis de notre cause, que ce soit sur une base nationaliste, islamique ou morale. Mais ils finiront tous par se faire jeter dehors. Si tout va bien, ce qu’ils appellent « le printemps arabe » mènera tout cela à bonne fin.
Quant aux régimes occidentaux, il n’y a rien de pire. Puisqu’ils connaissent la vérité, et que ce n’est pas comme s’ils étaient ignorants. Regardez le Royaume-Uni. Ils savent ce qui s’est déroulé ici et il savent qu’ils sont la première cause de notre situation si pénible. Les Etats-Unis eux aussi connaissent tout, et jusque dans le détail, ce qui se passe ici, peut-être mieux que les Palestiniens eux-mêmes. Mais c’est eux qui ont intérêt à ce que la situation demeure ce qu’elle est.
Naturellement, à tous ceux qui parlent de civilisation et de Droits de l’Homme et qui demandent qu’il soit mis un terme à l’injustice dans le monde, nous demandons qu’ils se tiennent aux côtés de ceux dont la terre, l’identité nationale et les ressources sont volées chaque jour. Nous demandons qu’ils se tiennent avec nous, afin d’aider à notre libération. Car nous sommes le dernier peuple sur terre à vivre sous occupation. Ils doivent entendre cela et adopter une position ferme pour qu’il y soit mis fin.
1e mai 2012 – Samidoun.net – Traduction : Info-Palestine.eu