Famine, survie, et le Massacre de la Farine

Photo postée sur Instagram par Ahmed Dremly - « Nous avons commencé à utiliser nos vêtements, nos meubles, nos documents et tout ce qui est possible pour faire du feu, car nous manquons de bois après la longue absence de gaz de cuisine dans le nord de Gaza. »

Par Ahmed Dremly

Une mère a refusé de laisser son fils risquer sa vie en allant au camion d’aide alimentaire apportant de la farine. Son intuition s’est avérée juste.

Le 29 février, 2024, nous avions entendu aux informations que des camions d’aide alimentaire arrivaient dans le nord de Gaza. Ma mère, cependant, a refusé de me laisser y aller pour essayer d’obtenir un sac de farine. Je n’étais pas d’accord parce qu’à la maison nous étions à court de farine depuis plus d’un mois.

Nous n’avions même pas réussi à trouver de la nourriture pour bétail (fourrage d’orge et de maïs) que nous pourrions moudre et qui pourrait remplacer la farine pour faire du pain ; soit ce n’est pas disponible, soit son prix est exorbitant. La situation était désespérée et chaque jour, les enfants de notre foyer réclamaient du pain. Ils ont toujours tellement faim.

Gaza : un carnage sur fond de famine

Elle était inflexible. « Je préfère mourir de faim que de te laisser y aller et mourir là-bas, » me dit-elle. Je lui rappelai que nous mourons partout et à tout moment dans cette guerre contre Gaza. Beaucoup de personnes étaient tuées alors qu’ils étaient chez eux, et certaines dans leur sommeil.

D’autres étaient abattues en essayant d’apporter de l’eau à leur famille, ou de rendre visite à leurs proches, ou en convalescence à l’hôpital. « Aussi laisse-moi aller chercher de la farine pour nous – ou essayer de trouver quelque chose à manger – pour les enfants, » insistai-je.

Elle se mit à pleurer. Elle me supplia de rester à la maison. J’ai finalement consenti, bien que réticent. Mais beaucoup de mes cousins, parents, amis, et voisins sont allés à Al-Rashid street, vers où les camions se dirigeaient. Ils les attendirent là. Pendant ce temps, je décidai de chasser cette idée de mon esprit et m’allongeai pour faire une sieste.

Quand je me suis réveillé, j’ai été horrifié d’apprendre ce qui s’était passé, le Massacre de la Farine. Tout le monde à la maison était très inquiet pour le reste de la famille, car tous n’ont qu’une chose en tête chaque jour : trouver de la nourriture pour la famille.

Ma mère m’embrassa mi inquiète, mi soulagée et me dit, « Tu vois, Ahmed ? Je ne t’ai pas laissé aux camions. Si tu y étais allé, tu aurais pu être l’un de ceux qui ont été tués. Alhamdulillah, Dieu soit loué. » Elle me serra fort dans ses bras.

Je regardai par la fenêtre la maison en face de chez nous. Chaque jour, nos voisins s’assoient dans leur jardin et allument un feu pour faire bouillir l’eau du thé. Aujourd’hui les femmes pleuraient. Visiblement, elles étaient toutes très inquiètes. Il était certain qu’elles attendaient leur fils ou mari, parti en quête de nourriture.

Les Israéliens affament les Palestiniens pour les soumettre

Plus tard dans la journée, j’appris qu’un homme de ce foyer avait été tué alors qu’il attendait l’arrivée des camions d’aide alimentaire. Il était l’un des massacrés. J’étais tellement désolé pour lui et sa famille. Nous pleurons toujours, avec les mères et les épouses, les fils et époux qui ont perdu la vie tandis qu’ils bravaient le danger pour trouver de la nourriture à rapporter aux enfants affamés à la maison.

Ma propre famille est constamment inquiète. Notre situation me rend malade, je n’en peux plus. Je suis épuisé physiquement et mentalement. Combien de temps encore allons-nous vivre dans ces conditions précaires et effrayantes, où le massacre et le carnage nous pourchassent partout ? Quelle est notre limite humaine ?

J’aurais très bien pu être l’une des victimes du Massacre de la Farine, l’une des personnes gisant dans une mare de sang et serrant un sac de farine dans les bras. Notre situation est si difficile ; il est vraiment incroyable – inadmissible, en réalité – qu’Israël affame délibérément la population de Gaza.

8 mars 2024 – We are not numbers – Traduction: Chronique de Palestine – MJB

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