Un film de Maha Haj, réalisatrice palestinienne, de Haïfa [Palestine de 48], avec Amer Hlehel [Walid] et Ashraf Farah [Jalal].
Le film (*) de Maha Haj (**) se situe à plusieurs niveaux, lesquels finissent pourtant par se confondre.
Il traite d’un fait universel, qui est de la difficulté de vivre et du choix explicite ou implicite d’y mettre fin ou non. Mais le cadre de ce dilemme est une communauté qui vit un enfermement, mental et physique, une situation de discrimination, de ségrégation, de spoliation, qui démultiplient cette difficulté existentielle.
Les Arabes israéliens, ou « Palestiniens de 48 » de la ville d’Haïfa, sont issus de la petite minorité qui a pu rester sur place en 1948, après le nettoyage ethnique de la Palestine historique qui a vu la très grande majorité de sa population arabe terrorisée puis expulsée de son foyer national par les milices de ce qui allait devenir l’Etat israélien.
Walid, est un père de famille entouré, soucieux de ses deux enfants, et dont l’épouse est assurément patiente et attentionnée. Il est déterminé malgré cela à mourir. Ses symptômes dépressifs sont bien identifiés et son mal-être fait depuis deux ans l’objet d’une thérapie, mais sans aboutir. On comprend qu’il a abandonné précédemment son emploi dans une banque, et qu’il a (ou a eu) le projet d’écrire un roman.
Sa famille vit de ses économies mais semble-t-il, avant tout du revenu régulier assurée par son épouse. Walid apparaît comme très autocentré, un peu « gâté » dirions-nous, mais ceci n’ôte rien à sa souffrance, et sa procrastination devant l’acte d’écrire est pour lui une source d’angoisse supplémentaire.
La Palestine apparaît très explicitement, entre autre, dans plusieurs cadrages sur les faits quotidiens de Walid : des portraits au mur de Ghassan Kanafani et Mahmoud Darwish lorsqu’il se met devant son ordinateur, où des scènes télévisées d’affrontements en Cisjordanie, de bombardements et destructions dans Gaza au moment où il s’étale sur son canapé dans l’espoir de dormir.
De ce fait, la souffrance de Walid n’est pas une métaphore, mais un élément d’une souffrance collective qui couvre toute la Palestine historique (« de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain ») et pour cette raison ce film doit être interprété au premier degré.
Sa rencontre avec Jalal, devenu son voisin de palier, père de deux fillettes, va bouleverser ce statu quo. Jalal apparaît comme l’antithèse de Walid ; il est expensif, bruyant, chaleureux, vivant d’expédients et avouant lui-même et sans honte « être entrenu par sa femme » … finalement comme l’est Walid.
En définitive, ce sont les femmes palestiniennes qui paraissent avoir un rôle central dans le fait de tenir à bout de bras une communauté dont les hommes ont tendance à apporter de [très] mauvaises réponses à des questions existentielles et de fond.
Pour Jalal, la Palestine est une lubie, ce qu’il dit crûment, même s’il est un érudit en poésie classique arabe. Cette érudition est chez lui vivante, et la poésie est un objet de son quotidien.
Jalal est aussi un délinquant, flirtant même avec le banditisme, ce qui est le reflet d’un problème récurrent dans la société arabe et palestinienne en Israël, laquelle a tenté ces dernières années de réagir à cette plaie, tolérée si ce n’est encouragée par la police israélienne.
Jalal et Walid se lient pourtant d’amitié, et c’est surtout à l’initiative de Jalal, lequel finit par s’imposer comme le personnage principal du film : il est plein de contradictions, apparemment sans inhibition et même parfois violent, mais d’une nature très généreuse et avec une vraie volonté de vivre.
Walid se laisse un peu emporter par la nature de Jalal, qui lui redonne une certaine « pulsion de vie », bien que l’idée du suicide reste bien présente. Et Walid est moins innocent qu’il n’y paraît.
La « réponse » que Jalal finit par apporter à Walid n’est sans doute qu’un sursis pour ce dernier, mais s’il faut à tout prix trouver une allégorie au film, ce balancement entre la vie et la mort est peut-être emblématique de la vie de la Palestine : spoliée, méprisée, enfermée, parfois désespérée mais toujours vivante et unie au fil du temps.
En résumé, en plus d’une mise en scène irréprochable et d’un casting de grande qualté, « Fièvre méditerranéenne » est un film sans concession et lucide, loin de toute réthorique militante et qui rend perceptible, à sa manière, toute la présence d’une Palestine condamnée à survivre.
Notes :
* Sortie en salle en France : 14 décembre 2022
** Lors de la projection du film « Fièvre méditerranéenne » à la 75e édition du Festival de Cannes, le 25 mai 2022, Maha Haj a dédié son film à la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, assassinée par les troupes israéliennes d’occupation à Jénine, le 11 mai 2022.
Auteur : Palestine Chronicle
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30 octobre 2022 – Chronique de Palestine