Par Shatha Hanaysha, Yumna Patel
Des frappes de drones israéliens ont tué neuf Palestiniens à Naplouse et à Tulkarem au cours d’une opération massive de l’armée en Cisjordanie. Un millier de Palestiniens ont été arrêtés dans le cadre de ce que les habitants appellent une campagne de « punition collective ».
Des opérations militaires israéliennes massives dans le nord de la Cisjordanie occupée ont tué au moins 11 Palestiniens depuis mercredi. Des milliers de Palestiniens sont coincés dans leurs maisons dans le camp de réfugiés de Tulkarem, alors que l’invasion du camp par l’armée israélienne entre dans sa deuxième journée.
Avant l’aube du mercredi 17 janvier, les forces israéliennes ont mené des raids simultanés et des frappes de drones dans les villes de Naplouse et de Tulkarem.
À Naplouse, les forces israéliennes ont effectué un raid sur le camp de réfugiés de Balata, dans l’est de la ville, provoquant des affrontements armés avec des groupes armés locaux. Peu après le début du raid, l’armée a effectué une frappe de drone sur un véhicule qui aurait transporté un certain nombre de combattants de la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa, la branche armée du mouvement Fatah.
Cinq Palestiniens ont été tués lors de l’attaque de drone à Balata. Trois d’entre eux ont été identifiés comme étant Mohammad al-Qatawi, et les frères Saif al-Najmi et Yazan al-Najmi, a rapporté Wafa.
Dans la ville de Tulkarem, qui se trouve près de la Ligne verte dans le nord-ouest de la Cisjordanie, l’invasion israélienne a commencé vers 3h30 mercredi. Un grand nombre de forces israéliennes, accompagnées d’au moins deux bulldozers de l’armée, ont fait une incursion dans la ville et ont encerclé ses deux camps de réfugiés, le camp de réfugiés de Nur Shams et le camp de réfugiés de Tulkarem.
Selon les rapports, les forces israéliennes ont positionné des tireurs d’élite et des troupes autour du camp de réfugiés de Tulkarem, ainsi qu’autour de deux hôpitaux de la région, empêchant les civils d’entrer et de sortir. Pendant ce temps, les bulldozers israéliens ont commencé à raser les routes et les infrastructures, y compris les entrées des maisons et les devantures des magasins.
Des affrontements intenses ont éclaté lorsque des groupes armés dans les deux camps de réfugiés ont riposté contre les troupes d’invasion. Peu après le début de l’invasion, l’armée israélienne a effectué une frappe aérienne dans le quartier d’al-Tammam du camp de réfugiés de Tulkarem, tuant quatre Palestiniens, dont deux enfants.
Les quatre Palestiniens ont été identifiés comme étant Ahmed Tariq Noman Faraj, 18 ans, Walid Ibrahim Muhammad Ghanem, 17 ans, Ahmed Musa, 17 ans, Ahmed Moin Deeb Mahdawi, 35 ans.
Le personnel médical et les sources du camp ont déclaré à Mondoweiss que les forces israéliennes avaient empêché les ambulances et les équipes médicales d’accéder au site de l’attentat, bien que les équipes aient finalement pu transporter les quatre martyrs et trois autres personnes blessées dans la frappe du drone à l’hôpital local.
Alors que le raid se poursuivait dans le camp de Tulkarem, des résidents ont déclaré à Mondoweiss que les forces israéliennes « tiraient partout et sur tout le monde ». Au moins deux autres Palestiniens ont été tués par des tirs réels israéliens, dont un jeune homme qui aurait été « assassiné » dans son véhicule à Ezbet Al-Jarad, dans la ville de Tulkarem. Il s’agit d’Ashraf Ahmed Yassin, 22 ans.
Des sources médicales ont indiqué à Mondoweiss que le frère de Yassin, âgé de 13 ans, a également été blessé par des tirs à balles réelles lorsque les forces israéliennes ont attaqué leur véhicule, mais qu’il se trouve dans un état stable.
Le sixième martyr du camp de réfugiés de Tulkarem aurait été abattu par un sniper israélien et identifié comme Abuldrahman Othman Turk. Selon des sources locales, Turk aurait été laissé sur le sol en train de se vider de son sang pendant 12 heures, les ambulances n’ayant pas pu l’approcher. Les forces israéliennes l’auraient attaché avec une corde et traîné sur quelques mètres avant de le laisser par terre pendant des heures.
Mondoweiss a vu une photo qui montre un corps sur le sol avec une longue corde aux pieds, mais on ne voit pas à quoi le corps est attaché.
Des sources ont déclaré à Mondoweiss qu’après que les forces israéliennes l’ont laissé mourir sur le sol, un groupe de femmes d’une maison voisine est sorti pour le recouvrir d’une couverture et a placé un oreiller sous sa tête. Les ambulances n’ont pas pu l’approcher et ont essuyé des tirs à chaque fois qu’elles ont tenté de pénétrer dans la zone. Son corps a été transporté chez un voisin, où des femmes de la région l’ont veillé et ont lu le Coran avant que les médecins ne finissent par l’évacuer.
Selon des sources locales dans le camp, au moins deux autres Palestiniens auraient été tués dans le camp de Tulkarem, dont un dont le corps aurait été emmené par les forces israéliennes, ce qui porterait à huit le nombre total de morts dans le camp de réfugiés de Tulkarem. Au moment de la publication, le ministère de la santé n’avait toujours pas confirmé le meurtre d’un septième ou d’un huitième Palestinien dans le camp de Tulkarem.
Dans le même temps, un Palestinien a été tué dans le camp de réfugiés de Nur Shams, situé à proximité. Il s’agit de Mohammad Faisal Dowwas Abu Awwad.
Radwan Bleibleh, chirurgien à l’hôpital de Tulkarem (hôpital Thabet Thabet), a déclaré à Mondoweiss qu’il était extrêmement difficile d’identifier le nombre de blessés en raison du siège israélien sur les camps et de l’impossibilité pour les ambulances et les équipes médicales d’accéder aux camps.
« Nous ne pouvons pas connaître le nombre de blessés ou de victimes car les familles des blessés ne les emmènent pas de peur d’être arrêtées en sortant du camp », a déclaré M. Bleibleh, ajoutant que de nombreux blessés sont soignés dans des cliniques de fortune dans le camp, ou reçoivent les premiers soins par les résidents eux-mêmes.
« Nous ne connaîtrons le nombre exact de blessés que lorsque les forces d’occupation [israéliennes] se seront retirées et que les blessés commenceront à arriver [à l’hôpital] », a-t-il ajouté.
Au moment de la publication, l’invasion de l’armée israélienne se poursuivait à Tulkarem, approchant les 48 heures, l’une des plus grandes invasions dans la région depuis la seconde Intifada. L’armée a quitté certaines parties du camp de réfugiés de Nur Shams, ce qui a permis aux journalistes d’y accéder, mais le camp de réfugiés de Tulkarem est toujours complètement assiégé, les affrontements armés avec les groupes de résistance locaux se poursuivant.
Au moment où cet article était publié, le dernier communiqué du Croissant-Rouge palestinien indiquait que ses équipes avaient soigné six martyrs à Tulkarem et 34 blessures, dont six par balles réelles, quatre par éclats d’obus et 24 par coups et blessures.
Le ministère palestinien de la Santé a indiqué qu’avec les morts de Naplouse et de Tulkarem, le nombre de Palestiniens tués en Cisjordanie depuis le début de l’année 2024 s’élevait à 41. Depuis le 7 octobre, 360 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie occupée.
Des ambulances prises pour cible
Tout au long de l’invasion de l’armée à Tulkarem, les ambulances et les équipes médicales palestiniennes ont été prises pour cible et attaquées, ce qui les a empêchées de soigner et d’évacuer les blessés.
Le Croissant-Rouge palestinien a communiqué que l’une de ses ambulances avait été endommagée et que les intervenants avaient été blessés par une « explosion » lors du raid militaire israélien dans le camp de réfugiés de Tulkarem, en Cisjordanie occupée – Photo : Shatha Hanaysha
Selon le Croissant-Rouge palestinien, dès le début de l’invasion, ses équipes ont été bloquées par les forces israéliennes et empêchées d’accéder au site de la frappe de drone qui a tué quatre personnes et en a blessé plusieurs autres.
Le porte-parole du Croissant-Rouge, Ahmed Jibril, a déclaré qu’il avait fallu deux heures aux ambulances pour évacuer les morts et les blessés en raison de « mesures arbitraires et de fouilles incessantes des véhicules », ajoutant que plus les blessés doivent attendre pour recevoir un traitement médical, plus cela affecte le pronostic ou leur capacité à survivre.
Selon Jibril, l’une des ambulances a été touchée par une « explosion » alors qu’elle sortait du camp, provoquant des éclats d’obus sur l’ambulance et des blessures à l’équipage. Jibril a déclaré qu’il a fallu environ une demi-heure pour qu’une autre ambulance parvienne sur les lieux et évacue l’équipe blessée, et qu’on a dû laisser l’ambulance endommagée à l’intérieur du camp parce que l’équipe ne pouvait pas la récupérer en raison du siège des forces israéliennes.
Les forces israéliennes prennent régulièrement pour cible les ambulances et les équipes médicales palestiniennes en Cisjordanie occupée et les empêchent d’accéder aux blessés lors des raids militaires israéliens. Lors de l’assaut israélien à Gaza, des médecins palestiniens ont déclaré avoir été délibérément pris pour cible par des frappes aériennes israéliennes.
Une politique de punition collective
Tout au long de l’invasion des camps de réfugiés de Nur Shams et de Tulkarem, les forces israéliennes se sont lancées dans une campagne de destruction, utilisant des bulldozers pour raser les rues et les infrastructures essentielles du camp, dans une pratique considérée comme une « punition collective » par les résidents.
Selon des sources locales dans les deux camps, les forces israéliennes ont partiellement ou entièrement détruit un certain nombre de maisons et de bâtiments avec des bulldozers. Dans le camp de Tulkarem, au moins trois maisons ont été dynamitées par les forces israéliennes. Dans le camp de Nur Shams, au moins une maison aurait été incendiée par les forces israéliennes.
Faisal Salama, directeur des services du camp de Tulkarem et porte-parole des factions du camp, a déclaré à Mondoweiss que les rues, les égouts et les réseaux électriques du camp, qui avaient déjà été endommagés lors de raids israéliens antérieurs, ont été à nouveau pris pour cible et détruits, causant des dommages irréparables.
« Les magasins entourant le camp ont été détruits au bulldozer et vandalisés. Les institutions du camp et les sites particuliers du camp ont été vandalisés et détruits au bulldozer », a déclaré M. Salama, ajoutant que des destructions similaires avaient eu lieu dans le camp de Nur Shams.
« Les habitants des camps sont punis sous le prétexte de la présence des brigades [ici] », a-t-il déclaré, faisant référence aux groupes de Palestiniens armés, connus sous le nom de Brigade de Tulkarem, qui opèrent à l’intérieur des camps.
« Ils [Israël] mettent en œuvre une politique de punition collective de tous les résidents des camps : ils détruisent nos services publics, comme l’électricité, l’eau, ils arrêtent énormément de gens et ils ciblent les jeunes », a-t-il déclaré, ajoutant que l’objectif de l’armée est de causer des dommages importants à l’infrastructure du camp et à la vie civile.
Ils veulent « pousser à bout » la population locale pour qu’elle se retourne contre les combattants de la résistance.
« Les jeunes ont le droit de se défendre et de défendre les habitants du camp contre les exactions de l’occupation », a déclaré M. Salama.
« L’occupation israélienne mène des raids quotidiens à Tulkarem et attaque les infrastructures de Nur Shams et des réfugiés de Tulkarem pour tourmenter les habitants du camp et les empêcher d’embrasser la résistance », a déclaré un combattant du camp de Nur Shams à Mondoweiss.
« Mais tous leurs efforts sont vains », a déclaré le jeune combattant. « La résistance tient toujours, et rien ne brise le moral des gens ».
Arrestations et interrogatoires de masse
Tout au long du raid sur les deux camps, les forces israéliennes ont rassemblé des centaines de résidents du camp, pour faire des « interrogatoires sur le terrain », mener des descentes dans leurs maisons, les mettre à sac, et transformer les maisons et les bâtiments du camp en « centres d’interrogatoire sur le terrain ».
Des vidéos et des photographies du camp de réfugiés de Tulkarem montrent de grands groupes de civils attachés, les yeux bandés et encerclés par les forces israéliennes. Une image circulant sur les médias sociaux, qui aurait été prise à l’intérieur d’un bâtiment du camp de Tulkarem, montre une salle bondée de jeunes hommes, certains assis et d’autres allongés sur le sol, les mains attachées et les yeux bandés, certains ayant leur carte d’identité à la main.
Une autre vidéo montre des soldats israéliens assis dans une pièce, souriant et parlant à la caméra, à côté de Palestiniens assis et attachés au sol, les yeux bandés.
Faisal Samala a déclaré à Mondoweiss que les forces israéliennes étaient positionnées dans « chaque ruelle » du camp, faisant des descentes dans les maisons et regroupant les gens sous surveillance. Au cours de ces raids, alors que les hommes et les adolescents sont regroupés sous surveillance, « les femmes sont placées dans une pièce, tandis que le reste de la maison est occupé [par les soldats], son contenu est utilisé, vandalisé et pillé ».
Salama a déclaré que les soldats avaient volé leurs téléphones portables à des jeunes hommes et à des femmes qu’ils surveillaient chez eux, et qu’ils avaient cassé des téléphones, des télévisions et des radios. « Les portes, les fenêtres et les cadres ont également été cassés et vandalisés par les soldats israéliens », a-t-il déclaré, ajoutant que les soldats avaient vidé le contenu des réfrigérateurs de certaines familles, pour détruire la nourriture et salir la maison.
Selon Salama, l’armée a transformé le centre communautaire du quartier en « centre d’interrogatoire » et endommagé les portes, les fenêtres et les murs. Les forces armées libèrent certains résidents après les interrogatoires et en arrêtent d’autres qu’ils emmènent vers des lieux inconnus.
Un résident du camp de Tulkarem, qui a demandé à rester anonyme, a déclaré à Mondoweiss qu’il avait été arrêté en même temps qu’un millier de jeunes hommes du camp.
« Ils sont entrés dans ma maison, ont tout cassé et m’ont arrêté », a-t-il déclaré, décrivant les soldats comme « déments » et agressifs, ajoutant qu’il croyait qu’ils allaient le tuer. Selon l’homme, les affrontements se poursuivaient à l’extérieur et, lors de son arrestation, les forces israéliennes l’ont utilisé comme bouclier humain alors qu’elles se déplaçaient dans son quartier.
L’homme a déclaré qu’on lui avait bandé les yeux et qu’on l’avait emmené dans une maison avec un groupe d’autres détenus, où il a été interrogé pendant des heures, du début de la matinée jusqu’à 19 heures le soir.
« Ils nous interrogeaient sur le camp et les résistants et nous demandaient si nous laissions entrer les résistants chez nous ou non », a-t-il raconté. Il a ajouté que son frère et ses neveux avaient également été arrêtés, mais qu’il ne savait pas où ils se trouvaient ni ce qu’il leur était arrivé.
Selon l’homme, après son interrogatoire, il a été libéré dans une zone située à l’extérieur du camp, et les soldats israéliens l’ont menacé de le tuer s’il retournait chez lui.
« La situation est très difficile. C’est une zone de guerre », a-t-il déclaré. « Ils n’ont pitié de personne ».
* Yumna Patel est directrice de l'information sur la Palestine pour la publication américaine Mondoweiss.
Elle est basée à Bethléem, en Cisjordanie occupée et fait des reportages sur le territoire depuis plusieurs années.
Son compte twitter.Auteur : Shatha Hanaysha
Auteur : Yumna Patel
18 janvier 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet