Par Haidar Eid
L’agression d’aujourd’hui contre Gaza pourrait avoir les mêmes conséquences que le massacre de Sharpeville. Elle pourrait enclencher le début de la fin du régime d’apartheid d’Israël.
En 2019, j’ai écrit un article pour Al Jazeera, dans lequel je répétais que nous, Palestiniens de Gaza, avons déjà fait notre choix. J’écrivais alors : “Nous ne mourrons pas d’une mort lente et déshonorante en disant merci à nos assassins et en acceptant comme un fait accompli notre statut d’esclave de l’occupant.”
Notre lutte n’est pas sectaire, elle s’inscrit dans les principes universels de la Déclaration internationale des droits humains, quels que soient les efforts déployés par les médias occidentaux hypocrites pour prétendre le contraire.
Et maintenant, l’Israël de l’apartheid a décidé de lancer une nouvelle campagne sanglante de bombardements contre l’une des zones les plus densément peuplées de la planète, la bande de Gaza.
Une fois encore, les victimes sont des civils innocents : enfants, femmes et hommes. Quelque 200 Palestiniens ont été tués, dont 40 enfants. Le 15 mai, des dizaines de Palestiniens ont été massacrés dans la seule rue Al Wehda, dans le centre-ville de Gaza.
Le personnel médical n’a pas non plus été épargné. Le 16 mai, le docteur Ayman Abu Alouf, chef du département de médecine interne du complexe médical Al-Shifa a été tué avec sa famille.
Avec des avions de chasse F-16 de fabrication américaine, Israël a bombardé et rasé des dizaines de bâtiments résidentiels et des centaines de maisons.
Les ambulances et les équipes de la défense civile tentent depuis plusieurs jours de retrouver les Palestiniens ensevelis sous les décombres, dont certains ont appelé au secours sur leur téléphone portable avant de rendre leur dernier soupir.
Le message est très clair pour nous : ce sont les civils qu’Israël veut tuer !
Une fois de plus, l’Israël de l’apartheid a appliqué sa doctrine Dahiya – un modèle de massacre et de destruction conçu par Gadi Eisenkot, chef de la division nord de l’armée, après la guerre israélienne de 2006 contre le Liban.
Après avoir réduit en cendres le quartier de Dahiya de Beyrouth par un monstrueux bombardement aérien de 34 jours, Eisenkot a déclaré : “Ce qui est arrivé au quartier de Dahiya à Beyrouth en 2006 arrivera à chaque village d’où partiront des tirs vers Israël… Pour nous, ce ne sont pas des villages civils, ce sont des bases militaires.”
En d’autres termes, chaque habitant de Gaza, même un bébé d’un jour, est une cible militaire légitime pour Israël.
L’objectif ultime des Israéliens est de soumettre les Palestiniens par la force. Ils les martyriseront jusqu’à ce qu’ils abandonnent toute résistance, toute prétention sur leur propre terre.
Comme l’a déclaré l’ancien ministre de la défense Moshe Yaalon en 2002, pour l’armée israélienne, la victoire consisterait à “enfoncer dans la tête des Palestiniens et des Arabes” que “le terrorisme et la violence (c’est à dire la résistance) ne nous vaincront pas”.
Comme pour les massacres précédents, cette fois encore, Israël et les Palestiniens – l’oppresseur et l’opprimé – sont considérés comme les “deux camps d’un conflit”, et ce qui constitue une résistance légitime au regard du droit international est mis sur le même plan qu’une violente occupation illégale.
Le président américain Joe Biden affirme que l’Israël de l’apartheid a le droit de se défendre. Le fait qu’Israël dispose d’une véritable armée, d’une puissance de feu infiniment supérieure, et que ce soit la puissance occupante n’entre jamais en ligne de compte, ni du reste la différence flagrante du nombre de morts.
Biden, Boris Johnson, Angela Merkel, d’autres dirigeants occidentaux, et leurs larbins Arabes, sont tout simplement incapables de voir les Palestiniens comme des êtres humains.
Malgré toutes les preuves, ils refusent d’admettre qu’ils ont affaire à une occupation imposée par une puissance coloniale qui a pour but de nettoyer ethniquement toute la population autochtone afin de renforcer et de légitimer sa colonisation.
Ce qui se passe à Gaza est un génocide lent, pas une “opération sécuritaire”. Et pourtant, on demande aux Palestiniens d’accepter leur lente et arbitraire disparition sans se révolter, et de souscrire à l’idée que s’ils meurent en résistant, ce sera de leur faute.
La question qui taraude l’esprit des Palestiniens est la suivante : Pourquoi le monde laisse-t-il perdurer une telle iniquité, 27 ans après la chute du régime d’apartheid en Afrique du Sud ? Nous savons pourquoi Israël agit ainsi – nous sommes les goyims indésirables, les réfugiés dont l’existence même est un rappel constant du péché originel commis en 1948, le crime prémédité de nettoyage ethnique du peuple palestinien.
Il ne faut jamais oublier que deux tiers des résidents de Gaza sont des réfugiés qui ont droit au retour, comme le stipule la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies.
À Gaza, nous savons qu’Israël va s’en tirer, tout simplement parce qu’il n’a jamais eu à rendre des comptes sur les massacres qu’il a commis. Nous savons également qu’il commettra encore des crimes, toujours plus nombreux et plus graves.
Les Nations unies, l’Union européenne, la Ligue arabe, la soi-disant “communauté internationale”, ont lâché le peuple palestinien, et cela ne changera pas de sitôt.
On peut se demander ce qu’il faudrait que les personnes éprises de liberté voient de plus, en termes de mort et de destruction, pour passer des paroles de soutien à l’action.
De plus que les cadavres de centaines d’enfants palestiniens… Aucun enfant, qu’il soit juif, hindou, musulman, chrétien ou de toute autre religion, ne devrait subir ce que les enfants palestiniens subissent en ce moment.
Les Palestiniens n’accepteront plus les diktats de la soi-disant “communauté internationale” qui continue à soutenir Israël et à couvrir ses crimes de guerre. À la lumière des grands sacrifices consentis par notre peuple, tout discours visant à simplement améliorer les conditions de notre oppression est une trahison des victimes palestiniennes des crimes de guerre israéliens.
Nous ne voulons pas de miettes. Nous voulons retourner sur nos terres et nous voulons y vivre avec tous nos droits, en vertu du droit international.
Il est de la responsabilité morale de chaque personne qui croit que tous les êtres humains ont droit à la liberté d’empêcher que les génocides et les apartheids se reproduisent.
C’est pourquoi nous disons maintenant que le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions contre Israël sont la responsabilité non seulement des organisations de la société civile, mais aussi de chaque individu. Car cela nous pouvons tous le faire.
Nous pouvons tous boycotter les produits israéliens et les institutions israéliennes, arrêter d’investir dans des entreprises israéliennes et exiger des sanctions contre le gouvernement israélien.
Si nous le faisons ensemble et solidairement, alors Israël sera obligé de modifier son comportement envers les Palestiniens.
Gaza pourrait être l’étincelle qui donne naissance à une Palestine différente entre le Jourdain et la Méditerranée, au cœur du Moyen-Orient. Le soulèvement actuel en Cisjordanie et dans les villes palestiniennes d’Israël pourrait être le point de départ d’une nouvelle réalité, en renonçant à la solution raciste à deux États et en établissant un État démocratique et laïc sur la terre historique de la Palestine, un État inclusif comme l’Afrique du Sud.
Souhaitons que la guerre de Gaza en 2009 soit aux Palestiniens ce que le massacre de Sharpeville en Afrique du Sud en 1960 a été aux Sud-Africains ! En ouvrant le feu sur des manifestants noirs non armés, à Sharpeville, la police blanche de l’apartheid a déclenché un mouvement de protestation internationale qui a mis fin à l’apartheid.
Souhaitons que le massacre de 2021 à Gaza soit le début d’un nouveau Moyen-Orient plus démocratique, avec un État de Palestine laïc et démocratique qui traite également tous ses citoyens, indépendamment de leur religion, de leur race et de leur sexe !
Auteur : Haidar Eid
* Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger.Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.Son compte twitter.
17 mai 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet