Par Haidar Eid
Le peuple de Gaza a donné à la lutte palestinienne un nouvel élan, une nouvelle direction.
C’est encore Gaza ! Mais cette fois-ci, c’est différent ! Au lieu de réagir à l’une des attaques génocidaires régulières de l’Israël de l’apartheid, les mouvements de résistance ont fait le « premier pas » d’une action sans précédent.
Au lieu d’attendre la « générosité » d’Israël qui décide, par l’intermédiaire de médiateurs, d’ouvrir l’une des sept portes de la plus grande prison à ciel ouvert du monde, les détenus – ayant tiré les leçons du soulèvement de Varsovie en 1944 – ont décidé de l’enfoncer eux-mêmes.
Le siège médiéval mortel imposé à Gaza depuis 2007 – soutenu par l’Union européenne et les États-Unis – ainsi que les guerres génocidaires répétées lancées par Israël visent à faire disparaître les Palestiniens de Gaza, même si c’est lentement et douloureusement.
C’en est trop ! Trop c’est trop.
Les mouvements de résistance à Gaza, de droite comme de gauche, ont décidé de renverser la table. Ils ont donné à la lutte palestinienne un nouvel élan, une direction claire vers la libération et la décolonisation.
Une histoire palestinienne tronquée
Pour comprendre les événements d’aujourd’hui, il est important de se rappeler le contexte de la lutte palestinienne des 30 dernières années.
La décision des dirigeants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de faire ce qui était impensable auparavant – coexister avec le sionisme – a conduit aux désastreux accords d’Oslo qui, en fait, ont tronqué l’histoire palestinienne.
La Naksa – l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de Gaza, du plateau du Golan et du désert du Sinaï en 1967 – a été dissociée de la Nakba – l’expulsion massive des Palestiniens de leur patrie en 1948.
L’accent a été mis sur l’occupation et non sur le colonialisme qui la sous-tendait, tandis que les « négociations de paix » servaient de couverture à la violence israélienne et à la poursuite de la dépossession des Palestiniens.
Comme l’affirme l’historien israélien Ilan Pappe dans son livre The Biggest Prison on Earth : « Les stratèges israéliens ont découvert que si l’on veut mettre en œuvre un nettoyage ethnique par d’autres moyens, l’alternative à l’expulsion est de ne pas permettre aux gens de quitter l’endroit où ils vivent – et donc de les exclure de l’équilibre démocratique du pouvoir. Ils sont confinés à l’intérieur de leur propre zone, mais n’ont pas à être comptabilisés dans la démographie nationale globale puisqu’ils ne peuvent pas se déplacer librement, se développer ou s’étendre, et n’ont pas non plus de droits civils et humains fondamentaux ».
L’Israël de l’apartheid a clairement fait comprendre que, puisqu’il ne peut pas se débarrasser complètement de nous, nous devons devenir ses esclaves, des personnes sans aucun droit.
La majorité des juifs israéliens soutiennent la politique génocidaire de leur gouvernement parce que, en tant que sionistes vivant dans l’Israël de l’apartheid, ils sont endoctrinés dans la croyance qu’ils ont droit à certains privilèges qui doivent être refusés à la population indigène du pays.
En 1948, pour mettre en œuvre cette idéologie raciste, le nettoyage ethnique était la solution. Et en 1967, l’asservissement est devenu la seule option.
Face à cette réalité, les Palestiniens ont trouvé un terrain d’entente sur le fait que l’ennemi est le colonialisme de peuplement, mais ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la manière dont la décolonisation devrait être comprise et réalisée.
Ces dernières années, un changement radical s’est opéré dans la réflexion stratégique sur ce point, qui envisage les relations israélo-palestiniennes dans le cadre du colonialisme de peuplement et de l’apartheid.
Dans ce contexte, la véritable libération consiste à parvenir à une véritable égalité dans la Palestine historique après le retour de tous les réfugiés palestiniens dans les villes et villages d’où ils ont été ethniquement nettoyés en 1948.
Une vision de la libération
Il n’est pas étonnant que Gaza ait décidé de prendre cette mesure sans précédent. Les deux tiers des habitants de Gaza sont des réfugiés qui bénéficient du droit au retour, conformément à la résolution 194 de 1948 de l’Assemblée générale des Nations unies.
La rumeur veut que les résistants qui ont réussi à pénétrer dans Sderot soient les petits-fils de réfugiés du village de Huj, qui a fait l’objet d’un nettoyage ethnique par les milices sionistes en 1948 et qui a été rebaptisé Sderot. D’autres sont originaires du village de Hirbya, rebaptisé Zikim par les Israéliens.
Ils ont osé faire “l’impensable”, c’est-à-dire revenir, non pas en tant que visiteurs autorisés par le colonisateur, mais en tant que libérateurs défendant leur droit à la terre de leurs ancêtres.
Cet acte radical de retour indique l’avenir post-sioniste que nous devrions envisager et qui apportera la libération à tous.
Pour nous, la libération passe par le démantèlement des structures du colonialisme sioniste et de l’apartheid, et par la lutte contre les inégalités et les injustices qu’il nous a infligées, à nous, population autochtone de Palestine, au cours des cent dernières années.
Pour nous, la libération vise à transformer les relations entre Palestiniens et Israéliens en une relation fondée sur l’égalité et la justice totales. On attend de la société des colons qu’elle abandonne tous ses privilèges coloniaux et qu’elle fasse preuve d’une réelle volonté d’accepter la responsabilité des crimes et des injustices du passé.
Le compromis que les Palestiniens autochtones sont censés offrir consiste à accepter les colons en tant que citoyens égaux dans le nouvel État situé entre le Jourdain et la mer Méditerranée.
C’est la voie de la paix et de la sécurité, et la communauté internationale, qui a longtemps accepté les crimes de guerre d’Israël contre les Palestiniens et en a même été complice, devra s’y rallier.
N’ayant rien appris de l’histoire, le président américain Joe Biden a clairement indiqué, le jour où les combattants palestiniens ont franchi les barbelés pour se rendre en Israël [Palestine de 48], qu’il soutenait pleinement Israël, donnant à son armée le feu vert pour commettre de nouveaux crimes de guerre contre les civils de Gaza.
Trois jours après le début de la résistance à l’intérieur de la Palestine de 1948, Israël a tué plus de 770 personnes à Gaza, dont 140 enfants, et en a blessé 4000. Plus de 180 000 personnes ont dû fuir leurs maisons car leurs quartiers ont été violemment pris pour cible par les avions de guerre israéliens ; je suis l’une de ces personnes.
Des dirigeants comme M. Biden feraient bien de se souvenir des paroles de l’éducateur et philosophe brésilien Paulo Freire : « Avec l’établissement d’une relation d’oppression, la violence a déjà commencé. Jamais dans l’histoire, la violence n’a été initiée par les opprimés. Comment pourraient-ils être les initiateurs, s’ils sont eux-mêmes le résultat de la violence ? … Il n’y aurait pas d’opprimés s’il n’y avait pas eu au préalable une situation de violence pour établir leur assujettissement. La violence est initiée par ceux qui oppriment, qui exploitent, qui ne reconnaissent pas les autres comme des personnes – et non par ceux qui sont opprimés, exploités et non reconnus ».
À Gaza et à Jénine, nous refusons de marcher comme des moutons vers les chambres de la mort israéliennes. À Gaza et à Jénine – en fait, dans toute la Palestine historique – nous avons dit très clairement que nous résisterons au régime colonial et d’apartheid des colons entre le Jourdain et la Méditerranée.
Et nous attendons de la communauté internationale qu’elle soutienne notre lutte pour la justice et la liberté exactement de la même manière qu’elle a soutenu la résistance ukrainienne contre l’invasion russe.
La politique de deux poids deux mesures que nous avons observée nous a convaincus qu’il est de notre devoir, en tant que Palestiniens, de créer l’espace politique nécessaire à notre libération là où il n’y en a pas.
Nous ne pouvons pas transiger sur nos droits fondamentaux, y compris le droit à l’autodétermination et le droit au retour. Nous avons une voie claire vers la libération qui s’éloigne de la façade des discours sur l’indépendance et des solutions racistes camouflées.
Auteur : Haidar Eid
* Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger.Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.Son compte twitter.
10 octobre 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine