Par Lina Alsaafin, Maram Humaid
Un soldat israélien a délibérément abattu une volontaire médicale, Razan al-Najjar, alors qu’elle tentait d’évacuer un manifestant blessé.
Khan Younis, bande de Gaza – Trop épuisée pour verser encore plus de larmes, Sabreen al-Najjar se souvient du dernier moment où elle a vu sa fille en vie.
“Elle s’est levée et m’a souri en disant qu’elle allait se rendre à la manifestation”, a-t-elle déclaré Al Jazeera, à son domicile de Khuza’a, au sud de la bande de Gaza.
Cette manifestation était le 10e rassemblement tenu le vendredi par les Palestiniens depuis le 30 mars, près de la clôture avec Israël et surnommée la Grande Marche du Retour. La fille de Sabreen, Razan, âgée de 21 ans, avait toujours été présente, se portant volontaire comme ambulancière paramédicale pour aider ceux qui avaient été blessés par des snipers israéliens.
“Dans la seconde même, elle était dehors. J’ai couru vers le balcon pour l’apercevoir mais elle était déjà au bout de la rue”, a raconté Sabreen samedi, entourée de parents, d’amis et de femmes en deuil, ainsi que de blessés dont sa fille s’était occupée.
“Elle a volé comme un oiseau devant moi.”
Sur le site de rassemblement à Khuza’a, des témoins ont dit que Razan s’était approchée de la clôture vendredi portant sa veste d’infirmière d’infirmière et que ses deux bras étaient levés pour montrer aux soldats israéliens, à une centaine de mètres, qu’elle ne représentait aucune menace.
Son intention était d’évacuer un manifestant blessé allongé de l’autre côté de la clôture, après qu’il eut réussi à y percer un trou.
Au lieu de cela, Razan a été abattue d’un tir à balle réelle dans la poitrine, par une seule balle qui est ressortie par un trou au dos de sa veste.
Elle est devenue le 119ème Palestinien à être assassiné par les forces israéliennes depuis que les protestations populaires ont commencé à réclamer le droit des Palestiniens à retourner dans leurs foyers d’où ils ont été expulsés en 1948. Plus de 13 000 Palestiniens ont été blessés.
“C’était juste nous”
Rida Najjar, également une volontaire médicale, a déclaré qu’elle se tenait à côté de Razan quand elle a été tuée.
“Alors que nous entrions dans la clôture pour ramener les manifestants, les Israéliens ont tiré des gaz lacrymogènes sur nous”, a déclaré samedi à Al Jazeera la jeune femme âgée de 29 ans, qui n’est pas de la famille de Razan.
“Puis un tireur d’élite a tiré un coup de feu qui a directement touché Razan, les fragments de la balle blessant trois autres membres de notre équipe.”
“Au début, Razan ne s’est pas rendue compte qu’elle avait été blessée, mais elle s’est mise à crier: ‘Mon dos, mon dos !’ et ensuite elle est tombée à terre.”
“Nos uniformes, nos gilets et nos sacoches de matériel médical nous identifiaient clairement”, a-t-elle ajouté. “Il n’y avait pas d’autres manifestants autour, c’était juste nous.”
Sauver des vies et évacuer les blessés
Dans une interview accordée à Al Jazeera le 20 avril, Razan avait déclaré qu’elle estimait que c’était son “devoir et sa responsabilité” d’assister aux manifestations et d’aider les blessés.
“L’armée israélienne a l’intention de tirer autant que possible”, a-t-elle déclaré à cette occasion. “C’est fou et j’aurais honte si je n’étais pas là pour mon peuple.”
S’adressant au New York Times le mois dernier, Razan parlait de l’enthousiasme qui était le sien pour le travail qu’elle faisait.
“Nous avons un objectif : sauver des vies et évacuer les blessés”, disait-elle. “Nous faisons cela pour notre pays”, disait-elle encore, ajoutant que son travail était humanitaire.
Razan ne tenait nul compte du jugement de la société envers les femmes faisant ce travail, auquel elle contribuait elle-même en faisant des quarts de 13 heures, commençant à 7 heures du matin jusqu’à 20 heures.
“Les femmes sont souvent jugées mais la société doit nous accepter”, déclarait Razan. “Si elle ne veulent pas nous accepter par choix, elle sera néanmoins forcée de nous accepter parce que nous avons plus de force que n’importe quel homme.”
Sabreen nous dit aussi que sa fille était en première ligne pour soigner des manifestants blessés depuis le 30 mars – et pas seulement le vendredi. Elle était devenue un visage familier au camp de Khan Younis, l’un des cinq points de rassemblements installés le long de la clôture à l’est de la bande de Gaza.
“Elle ne s’est jamais souciée de ce que les gens pouvaient dire”, raconte Sabreen. “Elle s’est concentrée sur son travail sur le terrain en tant qu’infirmière bénévole, ce qui était la preuve de sa force et de sa détermination.”
“Ma fille n’avait pas d’arme, elle était infirmière”, ajoute-t-elle. “Elle a beaucoup donné à son peuple.”
Les médecins sur le terrain ont dit à plusieurs reprises à Al Jazeera que les forces israéliennes tiraient sur les manifestants avec un nouveau type de balle.
Connue sous le nom de “balle papillon“, elle explose lors de l’impact, pulvérise les tissus, les artères et les os, tout en causant de graves blessures internes.
“[Ma fille] a été délibérément et directement tuée par une balle explosive, ce qui est interdit par le droit international”, déclare Sabreen.
“Je demande une enquête de l’ONU pour que le meurtrier soit jugé et condamné”, dit-elle encore, qualifiant les soldats israéliens de “brutaux et impitoyables”.
Elle s’est ensuite tue.
Quand Sabreen a pu à nouveau parler, ses mots ont provoqué les pleurs des femmes autour d’elle.
“J’aurais aimé l’avoir vue dans sa robe blanche de mariée, pas dans son linceul,” dit-elle.
Infirmiers et ambulanciers pris pour cibles
Le ministère palestinien de la Santé a indiqué dans un communiqué que les forces israéliennes avaient pris pour cible un groupe de personnes non armées à l’est de Khuza’a vendredi, “une équipe de paramédicaux portant des blouses blanches pour évacuer les blessés”.
“L’équipe de paramédicaux a levé la main, montrant bien qu’ils ne représentaient aucun danger pour les forces d’occupation lourdement armées”, a déclaré le ministère de la Santé.
“Immédiatement, les forces d’occupation israéliennes ont tiré à balles réelles, touchant Razan Najjar à la poitrine et blessant plusieurs autres ambulanciers.”
Mohammed al-Hissi, directeur de l’équipe médicale d’urgence du Croissant-Rouge, a déclaré à Al Jazeera qu’ils avaient essayé de soigner Razan immédiatement après qu’elle ait été abattue, avant de la transférer à l’hôpital européen de Khan Younis.
“Le ciblage de Razan n’est pas la première violation du droit contre notre activité en tant que médecin sur le terrain, et ce ne sera probablement pas la dernière,” a-t-il dit.
“C’est un crime de guerre contre les intervenants de la santé et une violation de la quatrième Convention de Genève qui donne aux médecins le droit d’offrir leur aide en temps de guerre et de paix”.
Le porte-parole du ministère, Ashraf al-Qidra, a ajouté que plus de 100 manifestants avaient été blessés ce même vendredi, dont 40 par des tirs à balles réelles. Les autres ont souffert de blessures liées au gaz lacrymogène.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, 238 agents de santé et 38 ambulances ont été pris pour cible par les forces israéliennes depuis le début du mouvement de la Grande marche de retour.
Un ange de miséricorde
Les funérailles de Razan, samedi à Khuza’a, ont été suivies par des milliers de personnes.
Des vidéos montrant ses collègues en train de fondre en larmes à l’hôpital ont circulé sur les médias sociaux, un sentiment de choc et de chagrin gravé sur leurs visages.
Un hashtag en arabe se traduisant en “Un Ange de Miséricorde” en référence à Razan a été largement utilisé sur Twitter, des utilisateurs du monde entier condamnant son meurtre.
“Les travailleurs médicaux sont #NotATarget!”, a déclaré Nicolay Mladenov, coordinateur spécial des Nations Unies pour le Moyen-Orient, dans un post sur Twitter, ajoutant qu’Israël devait “mesurer son recours à la force”.
De retour à Khuza’a, avant que le corps de Razan n’arrive pour les funérailles, son père nous montre son gilet de médecin ensanglanté.
“C’était l’arme de Razan”, dit-il déclaré aux équipes de télévision locales rassemblées devant sa maison.
Il vida les poches du gilet, prenant de la gaze et des bandages.
“C’était son arme”, répéta-t-il.
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Ses comptes Twitter/X :@maramgaza et Instagram.Auteur : Lina Alsaafin
Auteur : Maram Humaid
1e juin 2018 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine