Par Marie Schwab
Les symboles protègent-ils des bombes ? De la famine ? Quand on est face à l’horreur absolue, un geste symbolique n’est que cynisme et médiocrité. Les Palestiniens attendent le cessez-le-feu… Pas trois mots couchés sur le papier par 158 pays votant une résolution qui restera lettre morte !
Une manière simple, pour ces États, de faire bonne figure à peu de frais et de se donner bonne conscience. Quelle hypocrisie. Les mots ne suffisent pas à se ranger du côté du droit. Nous attendons de ces 158 pays des actes, maintenant, un embargo sur les armes et des pressions concrètes, drastiques, sur Israël. Maintenant. Chaque heure qui passe à Gaza est une heure de génocide de trop ; une heure de massacres, de souffrance, de dévastation, de faim. L’humanité perd deux enfants toutes les heures à Gaza. Les enfants comme leurs parents survivent avec 240 calories par jour.
Les Palestiniens n’ont que faire d’une faveur de papier. Ils ne demandent pas la charité, mais le respect du droit. Le cessez-le-feu est un impératif catégorique, mais aussi juridique. « Aucun endroit au monde n’a connu des violations du droit international et du droit humanitaire international aussi outrancières qu’à Gaza. Ce qui se passe à Gaza montre qu’il n’y a pas de droit international. Le droit international obéit aux puissants », dénonce Mustafa Barghouti.
Israël n’a pas le droit de réduire à néant toute une société. Israël n’a pas le droit de transformer Gaza en cimetière – cimetière pour enfants, cimetière du droit. Quelles que soient les excuses qu’on lui trouve. Riyad Mansour : « Rien ne peut ni ne pourra jamais justifier un génocide. Il n’existe aucun droit – ni celui à la légitime défense, ni aucun autre – qui autorise le massacre et la destruction d’un peuple. »
Pour imposer le droit, il existe un moyen simple : la fin de l’impunité, des sanctions envers l’État génocidaire.
Mais voilà : les dirigeants occidentaux ont besoin d’être appuyés par les groupes d’influence pro-israéliens, ils ont envie d’être plébiscités par les lobbys sionistes. Ils veulent continuer à collaborer avec Israël au sein d’un même complexe militaro-industriel ; ils veulent oeuvrer à toujours plus de convergence idéologique et d’intérêts avec Israël.
Israël a réussi à faire accepter les attaques sur les civils, y compris les médecins et les humanitaires, la famine organisée, la destruction massive et délibérée de toutes les infrastructures civiles, le déplacement forcé de masse, la torture systématique et la colonisation comme des agissements légitimes tant qu’ils sont commis par Israël.
« Les Palestiniens n’attendent plus rien des Occidentaux. Ils attendent la mort », exprime le poète palestinien Mosab Abu Toha. (1)
Un administrateur du Programme de Développement des Nations Unies, témoignant d’une longue expérience de situations de désastre, déclare n’avoir « jamais vu un tel niveau de dévastation qu’à Gaza dans toute [sa] carrière. »
Mais quand les médias daignent évoquer Gaza, c’est pour justifier tel massacre de civils par telle « cible militaire ». Les médias répètent ad nauseam la fable des « boucliers humains ». Or la présence de combattants dans des zones peuplées de civils ne fait pas de ceux-ci des boucliers humains.
À ce propos, qui a son QG militaire en plein centre de Tel Aviv ? En outre, la présence de combattants dans des zones civiles n’annule pas le statut protégé de ces zones, en d’autres termes elle n’en fait pas une cible militaire légitime. Heureusement pour Israël, dont les hôpitaux civils, tout comme les quartiers et les écoles regorgent de soldats armés…
D’autre part, si les rapports successifs émanant de différentes ONG au fil des années, ainsi que les témoignages recueillis depuis quatorze mois [2], ont tous démenti l’usage de boucliers humains par la résistance palestinienne, tous ont aussi conclu au recours systématique à cette pratique illégale par l’occupant depuis 1967 au moins.
De toute façon, quoi qu’il en soit, les principes élémentaires de précaution, de distinction et de proportionnalité doivent toujours prévaloir, au regard de la 4e Convention de Genève.
« Le problème n’est pas ce que nous faisons ; le problème est que nous existions », résume un autre poète palestinien, Mohammed al Kurd.
Imaginons un court instant, avec Susan Abulhawa, une inversion des rôles : « Si depuis 80 ans, les Palestiniens volaient les maisons des Israéliens ; s’ils les emprisonnaient, les empoisonnaient, les torturaient, les tuaient, les violaient ; si les Palestiniens avaient assassiné 300.000 Israéliens en un an, ciblant leurs journalistes, leurs intellectuels, leurs soignants, leurs artistes ; si les Palestiniens avaient bombardé chaque hôpital, chaque université, chaque bibliothèque, musée, centre culturel ; si les Palestiniens bombardaient les Israéliens dans des zones désignées comme sûres, les brûlaient vifs, leur coupaient la nourriture, l’eau, les biens médicaux ; si les enfants israéliens étaient contraints de recueillir dans des sacs en plastique les restes de chair de leurs parents, d’enterrer leurs frères et sœurs, leurs cousins, leurs amis ; si nous les terrorisions tant que leurs enfants en perdent les cheveux, la mémoire, la raison et que des enfants de 4 ou 5 ans meurent de crise cardiaque ; si nous condamnions les bébés à mourir dans leurs couveuses, privés d’oxygène et de chaleur, les laissant seuls jusqu’à leur décomposition ; si nous ouvrions le feu sur la foule israélienne affamée ; si un sniper palestinien se vantait d’avoir ciblé quarante-deux rotules en un jour [comme l’a fait un sniper israélien en 2018] ; si un Palestinien se vantait sur CNN d’avoir écrasé des centaines d’Israéliens avec son tank ; si nous violions systématiquement les médecins, les patients et les autres prisonniers avec des tiges de métal brûlant et des baguettes électrifiées, parfois à mort comme le Dr. Adnan al-Bursh et d’autres ; si nous décorions nos tanks avec les jouets des enfants israéliens que nous aurions massacrés ; si le monde assistait en live au génocide des Israéliens, il n’y aurait pas de débat pour savoir s’il s’agit de terrorisme ou de génocide. »
Je voudrais terminer par une pensée pour Said Jouda, le dernier chirurgien orthopédiste de Gaza, assassiné jeudi lors d’un trajet entre l’hôpital Kamal Adwan et l’hôpital al-Awda. Il s’agit du 1057e soignant assassiné par l’occupant à Gaza. Il avait perdu son neveu la veille et son fils la semaine précédente.
Une pensée pour la journaliste Iman al-Shanti, 36 ans, assassinée chez elle, à Sheikh Radwan, mercredi, avec son mari et trois de ses enfants. Son dernier tweet : « Comment se fait-il que nous soyons encore en vie ? Que Dieu accorde sa miséricorde aux martyrs. » [3]
Une pensée pour Shadi al-Salafati et Wassim al-Shawa, photojournalistes assassinés hier par l’occupant à Nuseirat. Pour Mohammed al-Balusha, journaliste assassiné ce matin à al-Saftawi. Il s’agit du 195e journaliste assassiné à Gaza par l’occupant. C’est lui qui avait révélé au monde les prématurés décomposés dans les couveuses de l’hôpital al-Nasser, auxquels fait allusion Susan Abulhawa.
Une pensée pour ces deux petits garçons très dignes, priant à travers leurs larmes, à côté des linceuls alignés de leur famille.
Une pensée pour cette vieille femme, courant, seule, courbée sur un nouveau-né qu’elle serre contre elle. Puissent ces quatre vies fragiles, à la merci des bombes et de la famine, traverser saines et sauves le génocide.
Notes :
- [1] Mosab Abu Toha, 17.11.2024. Source : probablement Al Jazeera, Live updates (pages non archivées après clôture). Désolée pour cette approximation.
- [2] Cf. notamment Alain Gresh, Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir, Les Liens qui libèrent, 2024, p. 19
- [3] Palestinian Information Center, 11.12.2024
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
14 décembre 2024 – Transmis par l’auteure
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