Gaza : chronique de la pandémie, entre rumeurs et vérités

19 août 2020 - Des enfants palestiniens font leurs devoirs à la lueur des bougies, dans leur maison à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza - Photo: Activestills / Mohammed Zaanoun

Par Asmaa Rafiq Kuheil

Le 25 août était prévu mon entretien pour l’emploi dont je rêve : enseigner l’anglais à l’UNRWA, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

J’ai travaillé à fond pour cet entretien. Pendant près d’un mois, je me suis refusée à consulter les sites de médias sociaux, qui ne sont souvent que des pertes de temps ! Je n’ai ouvert Facebook que cinq minutes par jour pour prendre connaissance des mises à jour de We Are Not Numbers et pour vérifier les courriers importants sur Messenger.

La veille de l’entretien, je me suis couchée à 22 heures, pour me réveiller à 1 heure du matin pour continuer à me préparer. L’électricité était coupée. Mon ventilateur était à court de batterie cette nuit très chaude et tous les gens de ma famille dans notre maison «dans le noir», dormaient. J’ai fait une tasse de café soluble, j’ai prié deux Rakaat (prières islamiques), puis j’ai allumé la lampe de poche de mon téléphone portable et j’ai commencé à étudier dans notre grand salon.

Comme à l’habitude, j’étais seule, avec le petit faisceau de lumière sur mon cahier au milieu de l’obscurité. Le seul bruit était la voix des grillons qui m’arrivait de notre fenêtre.

Je ne sais pas pourquoi j’ai soudainement pensé, à 4h20, que je pourrais jeter un œil sur Facebook en utilisant une carte internet achetée par mon frère. La connexion n’était pas fameuse, mais je voulais vérifier quelques conseils relatifs à mon entretien, car il existe un groupe sur Messenger qui sert à cela.

Je me suis connectée et j’aurais vraiment préféré ne pas l’avoir fait ! Tout le monde était impatient de parler des dernières nouvelles: quatre personnes au fond de la bande de Gaza avaient été testées positives pour le coronavirus que nous craignions depuis si longtemps. (Je pensais vraiment que nous y avions échappé, «grâce» au blocus serré sous lequel nous vivons.)

Sur le coup, je n’ai pas voulu croire ce que je lisais… jusqu’à ce que je reçoive un message de l’UNRWA disant que tous les entretiens, y compris le mien, avaient été annulés. Je me suis sentie tout d’abord très mal, mais j’ai ensuite été attirée pour en savoir plus sur la façon dont le coronavirus était entré dans Gaza, et j’ai vite mis de côté mes propres problèmes.

J’ai lu l’histoire de Heba Abu Nadi, une Gazaouie qui avait traversé le barrage d’Erez pour se rendre à Jérusalem avec sa jeune fille malade, qui devait être opérée à l’hôpital El-Makassed dans la même ville.

Tout d’abord, les autorités israéliennes d’occupation lui ont refusé la permission de passer ce point de contrôle, et elle a fini par retourner chez elle après avoir passé quatre heures à tenter d’accompagner sa fille.

Imaginez-vous à quel point elle a pu se sentir désespérée ?

Le lendemain, elle a essayé à nouveau de passer le barrage, et cette fois-ci elle a été autorisée à sortir. Elle a ensuite été testée et elle a alors appris qu’elle avait le coronavirus…

Cette malheureuse femme s’est retrouvée partout sur les sites de médias sociaux. Certaines personnes disent du mal à son sujet pour avoir infecté les membres de sa famille et ainsi mis tout Gaza en danger. D’autres prient pour elle. D’autres encore font de mauvaises plaisanteries !…

Quant à moi, je me mets à sa place. Comment va sa fille malade maintenant ? Que ressent Heba, alors que tout le monde la critique comme si elle était la cause de la situation désastreuse à Gaza ? Ou comme si c’était un complot israélien pour détruire Gaza dont elle elle ne serait alors qu’une victime ?

Oh, Gazaouis! Arrêtez de vous en prendre à cette pauvre mère ! Nous ne savons pas tout ce qui a pu se passer. Elle doit être très malheureuse, s’inquiéter pour sa fille et peut-être s’en vouloir terriblement d’avoir mis en danger quatre membres de sa famille.

Même avant cette dernière catastrophe, la vie était devenue bien pire à Gaza. Nous n’avons que quatre heures d’électricité par jour, et maintenant nous sommes tous mis en quarantaine, ce qui ajoute l’insulte à la blessure.

Un message sur Facebook était comme appliquer du sel sur une blessure ouverte : une jeune fille à l’extérieur de Gaza nous disait que le COVID-19 était courant maintenant et qu’il n’y avait pas de quoi s’affoler.

Mais Gaza ne ressemble à aucun autre endroit ! Gaza, cet endroit minuscule sur la carte avec 2 millions de personnes, n’a qu’un seul hôpital important, où plus de personnes infectées ont été récemment identifiées, forçant l’évacuation de tout un département.

Savez-vous que nos médecins risquent leur vie pour un salaire mensuel de seulement 300 dollars US par mois ? Oui, mes lecteurs, 300 dollars, pas 3000. Et des milliers d’autres ne reçoivent en cette période aucun salaire.

Le premier jour qui a suivi, mon père a dit à mon petit frère Hamza de sortir acheter de l’eau en bouteille, car nous étions à court. (L’eau du robinet n’est pas sûre.) Mais mon père a ordonné à Hamza de rester ensuite à l’intérieur, disant qu’il refuserait de le laisser sortir s’il le lui demandait à nouveau. Comprenant que c’était notre dernière occasion avant longtemps, nous avons tous écrit une longue liste d’autres produits dont nous avions besoin, et qui se trouvaient dans le seul supermarché ouvert de notre secteur.

Hamza n’a vu que des policiers dans les rues, qui y stationnaient pour empêcher les déplacements non urgents.

Pendant ce temps, mon père écoutait sa minuscule radio portative allumée, guettant les nouvelles du COVID. Ma sœur Walaa’, étudiante en Tawjihi [certificat d’enseignement secondaire général] et qui continue d’étudier pour ses examens finaux, a peur des jours à venir. Elle ne sait pas si elle doit étudier, s’asseoir avec nous ou parler à ses amis de la façon dont ils ont passé leur journée.

Cependant, mes frères et sœurs plus jeunes sont ravis que l’école soit fermée. Ils sont encore trop jeunes pour comprendre en quoi consiste le couvre-feu.

Quant à ma mère, elle cuisine du manakish (notre version de la pizza, garnie de thym et d’huile d’olive). Elle le fait toujours pendant les guerres et autres situations urgences. (Et je parie qu’elle n’est pas la seule… chaque maison a des tonnes de thym et le manakish est peu coûteux à fabriquer en grande quantité.) Les deux sont devenus synonymes.

Je me souviens soudain de l’essai – qui avait emporté le prix – que j’avais écrit pour le concours d’écriture We Are Not Number COVID-19. Dans cet article, j’affirmais que Gaza s’est avéré être l’endroit le plus sûr au monde en ce qui concerne la pandémie. Quand je l’ai écrit, je pensais paradoxalement que l’horrible blocus israélien de Gaza, qui empêche la plupart des voyages à l’intérieur et à l’extérieur, nous garderait pour une fois «en sécurité» pendant que d’autres devaient souffrir de l’épidémie.

Mon essai était sur le point d’être publié, mais mérite-t-il de l’être maintenant ? Et si oui, sera-t-il lu ? Ou vais-je être moquée ou ridiculisée comme la pauvre Heba ?

Dans tous les cas, je me fierai à ma conviction que ces jours misérables finiront – non pas simplement à cause de l’espoir, mais plutôt par ma foi profonde en notre Dieu et que tout ce qu’il «écrit» est pour notre bien, aussi misérable que cela puisse paraître au premier abord !

27 août 2021 – WeAreNotNumbers – Traduction : Chronique de Palestine