Par Rasha Abu Jalal
Avec le soutien de plus d’une douzaine de groupes de défense des droits de l’homme, une femme qui dit que avoir été battue par son mari fait appel de sa condamnation à mort.
GAZA – En 1984, le téléfilm “The Burning Bed” [Le lit en feu] avait ouvert les yeux des Américains sur la réalité de la violence domestique, longtemps dissimulée. Il a aidé à établir dans l’esprit des Américains la validité du désespoir comme circonstance atténuante dans certaines affaires criminelles.
Plus de 30 ans plus tard, dans une déclaration publiée le 18 décembre, un groupe d’ONG palestiniennes appelle le pouvoir judiciaire palestinien à se pencher sur les effets de la violence domestique alors qu’une femme fait appel de sa condamnation à mort pour le meurtre de son mari.
C’est la première fois qu’une Palestinienne est condamnée à mort depuis que l’Autorité Palestinienne a été créée en 1994.
L’alliance Al Muntada, qui regroupe 14 organisations de défense des droits des femmes et des droits de l’homme, craint que l’exécution de la peine n’ouvre la voie à d’autres peines de mort contre des femmes palestiniennes, y compris celles qui souffrent du phénomène croissant de violence domestique et sociale.
Le 5 octobre, le tribunal de première instance de Khan Yunis a jugé Nahla Abu Anzeh, âgée de 26 ans, coupable d’avoir tué son mari en janvier dernier, et l’a condamnée à mort par pendaison.
Le mari d’Anzeh la battait, selon Zeinab al-Ghonaimi, la directrice du Centre pour la recherche et le conseil juridiques des femmes de la bande de Gaza (CWLRC).
Des médias, comme France 24 le 13 décembre, ont indiqué que le procureur de Gaza Ismail Jaber avait dit, selon l’AFP: “Le jour où il a été tué, [Anzeh] avait proposé à son mari d’aller prendre l’air près de leur petite maison dans le quartier pauvre de Khan Yunis, au sud de la bande de Gaza. Ils ont parcouru une petite distance en charrette à âne puis son mari a voulu se soulager. Elle a alors sorti le couteau qu’elle avait acheté quelques jours auparavant et l’a poignardé dans le dos à plusieurs reprises”.
L’avocat Bakr al-Turkmani, coordinateur des enquêtes et des plaintes à la Commission indépendante pour les droits de l’homme (CIDH) à Gaza, a dénoncé le jugement et a exigé son réexamen, arguant que la peine de mort n’est pas une sanction dissuasive et qu’elle “n’est pas en accord avec la philosophie moderne de la punition, qui a comme base de ne pas nuire à des tiers innocents”. Il a dit à Al-Monitor qu’Anzeh “a un enfant de 2 ans qui a déjà perdu son père … qui a été assassiné, et pourrait maintenant aussi perdre sa mère. Cela mettrait en péril son avenir étant donné qu’il n’y a pas d’institutions officielles pour s’occuper des enfants à Gaza”. Une peine réduite permettrait de limiter les dégâts, a-t-il indiqué.
Il a ajouté que cette affaire inquiétait beaucoup le CIDH, car ce jugement établit un précédent historique dans les territoires palestiniens.
“Nous suivons l’affaire de près pour nous assurer que [Anzeh] soit jugée de manière équitable et pour essayer d’alléger la sentence. La peine de mort a été prononcée par le Tribunal de première instance et est contestée devant la Cour d’appel, qui entrera en session en janvier 2017 pour examiner l’affaire”, a déclaré Turkmani.
Ghonaimi a dit à Al-Monitor qu’Anzeh était abandonnée par sa propre famille, qui n’a pas embauché d’avocat pour la défendre.
Elle a poursuivi: “Cela a obligé le tribunal à nommer un avocat d’office qui ne s’est pas bien occupé de son affaire. La rapidité avec laquelle l’acte d’accusation a été émis contre elle par le tribunal en est la preuve. Il est clair que [Anzeh] n’a pas eu un procès équitable”.
Ghonaimi a dit à Al-Monitor que selon la tradition du tribunal tribal, la famille d’Anzeh avait la possibilité de régler l’affaire en compensant financièrement la famille de son mari, mais sa famille a refusé. Selon Ghonaimi, c’est parce qu’Anzeh est une femme.
“Si le meurtrier avait été un homme, sa famille aurait payé la compensation à la famille de la victime pour qu’il échappe à la punition et à la sentence de mort. Cela prouve qu’il y a une discrimination entre les femmes et les hommes”, a-t-elle dit.
“C’est pourquoi le CWLRC a décidé d’aider [Anzeh] et de lui payer un avocat pour essayer d’obtenir une réduction de peine”, a déclaré Ghonaimi. Même si Anzeh a avoué le crime, le CWLRC s’efforce de rouvrir la procédure, accusant le tribunal de ne pas avoir pris en compte les circonstances atténuantes, a-t-elle expliqué.
« L’accusée était victime des mauvais traitements que lui infligeait la victime, son mari, qui avait l’habitude de la battre », a déclaré Ghonaimi.
Elle a également dit que le CWLRC prendrait différentes mesures pour réduire la peine, soit en demandant à la Cour d’appel de prendre en considération ses motivations soit en faisant pression sur la famille d’Anzeh pour qu’elle règle le problème avec la famille de la victime, et que les charges soient levées.
Amal Siyam, la directrice du Centre des affaires des femmes à Gaza, a déclaré que l’absence de lois dévolues à la protection des femmes contre les violences domestiques avait pu pousser Anzeh à commettre son crime.
“Les femmes à Gaza sont marginalisées et maltraitées à la maison. Nous ne prétendons pas que [Anzeh] n’ait rien fait de mal. Nous demandons que les tribunaux tiennent compte des conditions difficiles dans lesquelles elle vit, ce qui pourrait entraîner une réduction de la peine”, a déclaré M. Siyam.
Une étude réalisée en 2012 par le Bureau central palestinien des statistiques a révélé que 37% des femmes palestiniennes ont été victimes de violences domestiques du fait de leurs maris. Près de 51% de ces femmes vivent dans la bande de Gaza.
Nafez al-Madhoun, président de l’Institut supérieur de la magistrature au ministère de la justice et secrétaire général du Conseil législatif palestinien (PLC), a souligné que la peine de mort est prévue dans Le Code pénal de 1936. Il a dit à Al-Monitor, “Nous, en tant que société palestinienne, ne faisons pas de distinction entre un homme et une femme en termes de sanctions ; elles s’appliquent à tout le monde. Il n’est pas logique que les organisations de droits de l’homme et de femmes réclament l’égalité entre les hommes et les femmes, et en même temps exigent une peine réduite pour [Anzeh]”.
Madhoun a dit qu’il est très peu probable que le PLC abolisse la peine de mort, car la société palestinienne est une société tribale, où les gens commettent encore des actes de vengeance. “Si les autorités locales ne font pas régner la justice et ne punissent pas correctement les meurtriers, cela nuira à la sécurité”, a-t-il déclaré.
Anzeh place maintenant son espoir dans l’aide des organisations de droits humains et de femmes pour la sauver de la potence. Ghonaimi a déclaré que si la famille de la victime, Rabie Abu Anzeh, décidait de renoncer à son droit légal, la peine d’Anzeh pourrait être réduite à cinq ans de prison. Mais on en est encore loin.
Auteur : Rasha Abu Jalal
* Rasha Abou Jalal est auteure et journaliste à Gaza. Elle couvre les événements politiques et les questions humanitaires et elle a produit des reportages sur des questions sociales pour le journal local Istiklal pendant six ans. Rasha a également été membre du jury de l'événement annuel sur la liberté de la presse dans la bande de Gaza, Press House, en 2016. Son compte Twitter.
27 décembre 2016 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet