Par Alex Foley
La tragédie de l’épidémie de polio à Gaza réside dans le fait qu’elle peut être évitée; mais l’exploitation militaire par Israël des besoins en eau et en vaccins est impitoyable, écrit Alex Foley.
Dans la salle de repos de l’école de pathologie Dunn de l’université d’Oxford se trouve une bibliothèque remplie de répliques de bassines en céramique.
Ces bassines sont un hommage aux travaux menés par Howard Florey, Ernst Chain et leurs collègues dans les années 1940 au département chargé de la fabrication de la pénicilline et de la démonstration de son efficacité dans la lutte contre les infections bactériennes.
Ils utilisaient des bassines comme énormes flacons pour cultiver la moisissure Penicillium notatum.
Lorsque j’étais doctorante au département, j’avais l’habitude de contempler ces simples récipients beiges et de ressentir la gravité des recherches menées par mes collègues.
Même si j’étais, il est vrai, un peu dilettante en comparaison, je passais mes journées entourée de scientifiques engagés dans l’une des plus hautes vocations humaines : la prévention et le traitement des maladies.
L’éradication mondiale du virus de la variole dans les années 1980 est sans doute l’une des réalisations les plus prometteuses de l’histoire de l’humanité.
Pendant des années, le poliovirus a été la cible d’une campagne d’éradication similaire qui se rapprochait lentement du succès. Aujourd’hui, Israël menace de réduire à néant une grande partie de ce travail en terrorisant le peuple palestinien.
La poliomyélite a été détectée dans des échantillons d’eaux usées à Gaza et le ministère de la santé de Gaza a déclaré une épidémie de polio. Hautement infectieuse, la maladie se transmet habituellement par voie fécale-orale, mais elle peut aussi se propager par l’intermédiaire d’un véhicule commun, comme l’eau contaminée dont la présence a été largement signalée à Gaza.
Une fois ingéré, le poliovirus se réplique dans l’intestin, d’où il peut se propager au sang, à d’autres tissus tels que la graisse et les muscles, et surtout, dans de rares cas, au système nerveux central.
Dans environ 1 % des cas, le poliovirus provoque la mort des cellules nerveuses, ce qui entraîne soit la paralysie, soit la mort. Bien qu’aucun cas de poliomyélite paralytique n’ait été signalé à l’heure actuelle, l’effondrement du système de santé de Gaza ainsi que le nombre et la variété des blessures et des maladies qui surviennent rendent la détection difficile.
Il n’existe pas de traitement pour la polio, mais seulement une prévention par la vaccination.
Le poliovirus détecté à Gaza n’est pas une souche sauvage, mais un poliovirus dérivé d’un vaccin. Lorsque la vaccination est effectuée à l’aide d’un virus vivant affaibli, la personne vaccinée peut encore excréter le virus pendant des semaines.
Des niveaux élevés de vaccination au sein de la population empêchent généralement cette excrétion de se traduire par une transmission.
La poliomyélite et la destruction de l’infrastructure sanitaire de Gaza
Avant le 7 octobre, les taux de vaccination contre la polio à Gaza étaient supérieurs à 95 %; aujourd’hui, il est probable que le taux soit inférieur à 89 %, ce qui permet la propagation du virus dérivé du vaccin.
Dans le contexte de cette crise émergente, il a été rapporté qu’Israël a détruit plus de 30 puits d’eau à Gaza au cours du mois de juillet. À la fin du mois, les troupes israéliennes se sont filmées en train de faire exploser le réservoir du quartier Tel al-Sultan de Rafah et l’ont diffusé sur les médias sociaux, « en l’honneur du shabbat ».
Une sale arme de guerre
Le 18 juillet, Oxfam a publié un rapport intitulé Water War Crimes (Crimes de guerre liés à l’eau), qui décrit ce qu’il considère comme une utilisation systématique de l’eau à des fins militaires contre les Palestiniens.
Le rapport détaille la destruction complète des usines de traitement des eaux usées et la destruction de 70 % des pompes à eaux usées ; l’endommagement ou la destruction de cinq sites d’infrastructures d’eau et d’assainissement tous les trois jours ; la réduction de la capacité de production d’eau de 84 % ; et la réduction de l’approvisionnement en eau à partir des lignes de Mekorot de 78 %.
Cette campagne de destruction des infrastructures d’eau a entraîné des « menaces sanitaires inévitables, immédiates et à long terme ». Les experts en santé et les organisations humanitaires ont commencé à tirer la sonnette d’alarme dès qu’Israël a annoncé un blocus total, deux jours seulement après le 7 octobre, interdisant l’électricité, la nourriture, le gaz et l’eau.
La peste suit la guerre comme un chien après des restes. Elle surgit de manière opportuniste dans les trous de renard et les cratères, attendant d’abattre ceux qui ont survécu aux bombes et aux balles.
Pourtant, il est temps de considérer que la propagation des maladies à Gaza n’est pas un sous-produit malheureux de l’agression israélienne, mais un choix politique réfléchi. Les hauts gradés israéliens ont déjà lancé l’idée… En novembre 2023, un général israélien à la retraite a déclaré que la propagation de maladies mortelles à Gaza « rapprochera la victoire ».
Alors que certains se sont consacrés à l’utilisation de la science pour lutter contre les maladies humaines, d’autres ont essayé d’exploiter leur pouvoir destructeur.
Depuis des millénaires, l’homme semble avoir tenté d’utiliser la maladie comme arme de guerre.
L’empereur du Saint-Empire romain germanique Barberousse a jeté des cadavres humains dans des puits lors de sa conquête de l’Italie en 1155 – pour le parallèle israélien, voir Operation Cast Thy Bread.
Il existe des preuves que les Mongols ont jeté les corps des victimes de la peste par-dessus les murs des villes lors de leur siège de la ville de Caffa [colonie génoise située en Crimée] dans les années 1340, ce qui a eu des conséquences dévastatrices pour les Génois.
Ce qui s’apparente le plus à la situation de Gaza, cependant, c’est l’utilisation par Napoléon d’eau contaminée pour propager des maladies parmi les troupes ennemies.
À deux reprises au cours de ses « exploits » militaires, lors du siège de Mantoue (1976) et à Walcheren (1809), Napoléon a utilisé la rupture de barrages et de digues pour provoquer des inondations autour de ses ennemis et propager des maladies à partir des eaux saumâtres.
À Walcheren, il aurait déclaré : « Nous ne devons opposer aux Anglais que la fièvre, qui les dévorera bientôt tous. »
Très vite, la « fièvre de Walcheren », probablement un mélange explosif de malaria, de typhus, de typhoïde et de dysenterie, a infecté 40 % des troupes britanniques présentes sur l’île, tuant près de 4 000 hommes et faisant de Walcheren un véritable désastre pour les Britanniques.
Gaza risque la vie et l’intégrité physique
Avec l’avènement de la théorie des germes et les courses aux armements attisées par les guerres du début du XXe siècle, de nombreux pays ont mis en place des programmes d’armes biologiques.
Toutefois, après les horreurs de la Première Guerre mondiale, le protocole de Genève a été signé en 1925 pour interdire de manière générale les armes chimiques et biologiques.
Il a été complété par la Convention sur les armes biologiques en 1992 et la Convention sur les armes chimiques en 1993.
Les autorités sanitaires mettent en garde contre une épidémie de polio catastrophique à Gaza
Ironiquement, aucun de ces traités ne semble capable de faire face au scénario Napoléon (c’est-à-dire la situation à Gaza), dans lequel une armée en état de siège favorise la propagation d’un virus endémique.
Israël n’est même pas signataire de la Convention sur les armes biologiques.
En tant qu’étudiante de la maladie, il m’est intolérable que les progrès de l’éradication de la polio puissent être annulés sans conséquences. Il existe toutefois un mécanisme de droit international permettant de demander des comptes à Israël.
L’attaque concertée contre les infrastructures hydrauliques de la Palestine semble violer plusieurs articles de la résolution de l’Association de droit international sur la protection des ressources en eau et des installations hydrauliques en période de conflit armé, adoptée en 1976.
Il s’agit du droit international coutumier, qui lie tous les États, y compris Israël.
L’article III interdit le détournement des eaux à des fins militaires « lorsqu’il est susceptible de causer des souffrances disproportionnées à la population civile ou des dommages substantiels à l’équilibre écologique de la zone concernée ».
L’article V interdit également de provoquer des inondations qui portent atteinte à l’équilibre écologique, tandis que l’article VI interdit de « saisir, détruire ou endommager intentionnellement des installations hydrauliques […] vitales pour la santé et la survie de la population civile ».
Entre-temps, les forces d’occupation ont annoncé le lancement d’une campagne de vaccination contre la polio pour les soldats de Gaza le 21 juillet.
Naturellement, cette campagne ne s’étend pas aux civils de Gaza.
Ceux-ci devront compter sur l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a annoncé l’envoi de plus d’un million de vaccins contre la polio.
Musa Abed, directeur des soins de santé au ministère palestinien de la santé, a rapidement annoncé qu’Israël n’autorisait pas l’entrée des vaccins dans la bande de Gaza.
Tant que les vaccins ne seront pas autorisés, la nouvelle arme de guerre d’Israël continuera à se propager, avec des conséquences inconnues pour l’ensemble de la région en cas de débordement.
La poliomyélite, une maladie autrefois sur le point d’être éradiquée dans le monde entier, pourra infecter les enfants de Gaza, volant les membres que les bombes auront épargnés.
Auteur : Alex Foley
* Alex Foley est éducatrice et peintre vivant à Brighton, au Royaume-Uni. Ses recherches portent sur la biologie moléculaire de la santé et de la maladie. Elle travaille actuellement à la préservation de matériaux numériques fragiles liés aux atrocités de la mort de masse dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Suivez-la sur X
15 août 2024 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine>