L’air que respirent les Gazaouis pourrait mettre leur santé en danger pendant de nombreuses années à venir.
Gaza n’est plus reconnaissable. Depuis le début du génocide israélien l’année dernière, plus de 60 % des bâtiments ont été détruits ou endommagés, ce qui représente plus de 42 millions de tonnes de décombres.
Des images satellites prises avant et après octobre 2023 montrent les empreintes de bâtiments et de maisons sur une image et un paysage inondé de poussière brune sur l’autre. La quantité de poussière est l’élément le plus marquant de ces images, qui sont d’une couleur plus sépia.
Ce qui faisait autrefois partie d’une structure autonome a été pulvérisé, dispersé en aérosols et inhalé avant de se déposer sur le sol.
Le génocide a fait peser d’innombrables menaces sur la santé des habitants de Gaza. Mais cette poussière – les particules émanant des décombres qui recouvrent désormais toute la région – est une menace dont on ne parle pas beaucoup.
Nous devrions commencer à en parler davantage, car elle mettra en péril la santé publique à Gaza pour de nombreuses années à venir.
Lorsque nous pensons aux frappes aériennes, nous imaginons des blessures traumatiques – des membres déchiquetés, des os brisés, des rues pleines de sang. Mais l’impact d’une frappe aérienne va bien au-delà des dommages initiaux qu’elle cause.
Les survivants sont exposés aux matériaux de construction toxiques, à la fumée et aux produits chimiques, qui peuvent tous être absorbés par l’organisme de différentes manières.
Étant donné que certaines personnes restent piégées sous les décombres pendant des heures ou des jours, ils restent directement exposés à ces matières pendant une période prolongée.
Certains habitants de Gaza continuent de vivre dans les coquilles effondrées de leurs maisons, tandis que d’autres vivent dans des tentes probablement à quelques mètres des destructions.
Quels sont les effets sur la santé des civils en particulier ? L’année dernière, des chercheurs de l’université du Maryland ont examiné plusieurs études pour trouver une réponse.
Ils ont découvert que la grande majorité des recherches sur l’exposition aux produits chimiques toxiques en temps de guerre étaient axées sur l’impact sur le personnel militaire (tels que l’impact des puits de mine.) ou sur l’impact sur les personnes qui se trouvaient sur le site du World Trade Center ou à proximité pendant et après le 11 septembre 2001.
Il y a relativement peu de recherches sur les impacts de l’exposition aux produits chimiques liés à la guerre sur les civils, même s’il existe une documentation abondante sur, par exemple, les effets de l’agent orange au Viêt Nam ou les malformations congénitales dont souffrent les bébés à Fallujah.
Les bombardements israéliens continus ont empoisonné le sol et l’environnement de Gaza
Les recherches menées après le 11 septembre peuvent nous donner une idée de ce à quoi les habitants de Gaza peuvent être confrontés. Lorsque les tours se sont effondrées, des matériaux tels que des hydrocarbures aromatiques polycycliques, de l’amiante, des métaux et du verre ont été libérés dans l’air.
Par la suite, de nombreuses personnes ont développé des symptômes respiratoires – ce que l’on a rapidement appelé le « syndrome de la toux du World Trade Center ».
Les recherches montrent que le nombre de cancers a augmenté tant chez les secouristes que chez les civils exposés aux attentats du 11 septembre. Les cancers peuvent mettre longtemps à se développer, c’est pourquoi les chercheurs appellent à une surveillance continue, car la relation entre l’exposition et le développement du cancer pourrait devenir plus claire.
Mais le lien est suffisamment établi pour que le Congrès ait alloué des fonds aux intervenants du 11 septembre par le biais de la loi James Zadroga sur la santé et l’indemnisation des victimes du 11 septembre.
Si l’effondrement du World Trade Center a causé des dommages aussi étendus et durables, on ne peut qu’imaginer ce qu’une année de bombardements continus dans une zone bien plus dense que Manhattan peut faire aux gens, en particulier à ceux qui ont un accès limité (voire inexistant) aux soins de santé de base et qui se retrouvent privés de nourriture et d’eau potable.
Comme l’a révélé un rapport de Reuters en octobre, la présence d’amiante dans les matériaux de construction est particulièrement préoccupante. L’amiante peut être facilement inhalée et provoquer des mésothéliomes et des cancers du poumon.
Le programme des Nations unies pour l’environnement s’est également inquiété des fuites de métaux lourds et de plomb dans les eaux souterraines de Gaza, causées notamment par la destruction des panneaux solaires.
Comme Israël a pratiquement détruit les infrastructures sanitaires de Gaza, il est probable que les habitants boivent de l’eau contaminée par ces substances et d’autres polluants.
Comme nous le savons, l’exposition au plomb, même en petites quantités, est très préjudiciable au développement de l’enfant. Le plomb a également été associé à un poids inférieur à la naissance en cas d’exposition prénatale.
Il n’est pas difficile de conclure qu’il existe une crise sanitaire générationnelle dans la bande de Gaza. Même après la fin du génocide en cours, tôt ou tard, nous l’espérons, les habitants de Gaza subiront des conséquences à vie sur leur santé.
Alors que les responsables américains et israéliens discutent des plans pour un « Gaza d’après-guerre », peu d’attention est accordée à la santé et au bien-être des Palestiniens qui y vivent.
Les docteurs Almashat et McDiarmid, de l’université du Maryland, ont demandé que l’on accorde plus d’attention et que l’on étudie davantage les effets de l’exposition aux produits chimiques toxiques sur les civils dans les conflits armés.
Sans ces recherches, les victimes des conflits sont rendues encore plus invisibles et ceux qui participent à la négation des génocides ont encore plus de pouvoir.
Négliger de documenter ces impacts nous donne une fausse impression du nombre de personnes tuées et affectées, ce qui les prive du droit d’être soignées et, ce qui est tout aussi important, de la possibilité d’obtenir justice.
Ces personnes doivent être représentées dans la littérature et les défenseurs de la santé publique, où qu’ils se trouvent, doivent se mobiliser pour aider à documenter ce qui s’est passé.
Mais cela n’est pas possible car les travailleurs de la santé palestiniens continuent d’être pris pour cible et tués, et des chercheurs comme le Dr Khaled Asler et des médecins comme le Dr Hussam Abu Safiya, directeur de l’hôpital Kamal Adwan, ont été kidnappés par les forces israéliennes.
Le Dr Asler a été libéré après un tollé international, mais le Dr Abu Safiya est toujours détenu par les forces israéliennes sans que l’on sache où il se trouve.
On ne peut pas collecter des données au milieu de morts massives ; cela doit cesser maintenant.
Auteur : Abdullah Shihipar
* Abdullah Shihipar est un écrivain qui s'intéresse à la santé publique, à l'origine raciale, aux classes sociales et à d'autres questions de justice sociale. Il dirige les projets narratifs et les initiatives d'impact politique au sein du collectif People, Place & Health de l'université Brown.
9 janvier 2025 – The Nation – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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