Par Haidar Eid
Les Palestiniens doivent commencer à débattre de solutions radicales pour mettre fin à l’occupation israélienne, à l’apartheid et au colonialisme.
L’amère réalité pour les Palestiniens de Gaza est que nous sommes seuls, assiégés et abandonnés, même par ceux qui sont censés être nos frères.
Près de neuf mois de massacres barbares ont coûté la vie à plus de 37 000 Palestiniens, dont un grand nombre de femmes et d’enfants. Parmi les victimes, on compte des médecins et des infirmières en service dans les hôpitaux, des étudiants d’universités et des personnes effectuant des tâches ménagères.
Des familles entières ont été massacrées devant les yeux de tous, alors qu’Israël détruit systématiquement des milliers de maisons à Gaza. Dix mille autres personnes sont portées disparues, considérées comme mortes et enterrées sous les décombres.
Et pourtant, les États-Unis continuent d’accuser les Palestiniens, tout en critiquant les tribunaux internationaux qui tentent d’obliger Israël à rendre des comptes pour le génocide en cours.
Les Palestiniens ont été laissés seuls pour se défendre contre les assauts d’un État soutenu par la plus grande armée du monde. Les États-Unis ont fourni à Israël des milliards de dollars d ‘armement, notamment des bombes et des avions de chasse, afin de prolonger la guerre.
Entre-temps, la tragédie humanitaire à Gaza a atteint des niveaux inimaginables. Les quelques hôpitaux restants peinent à faire face à l’afflux de civils blessés. Les régimes arabes voisins n’ont rien fait d’autre que d’émettre de timides déclarations de condamnation, tout en jouant les médiateurs entre l’oppresseur et l’opprimé.
Enréalité, les régimes arabes ont laissé tomber les Palestiniens depuis 1948, dans un mélange de lâcheté et d’hypocrisie. Ils ont échoué à mettre fin au siège israélien de Gaza, qui dure depuis 17 ans, ni même à offrir une véritable solidarité au peuple palestinien, qui subit de plein fouet l’offensive militaire brutale d’Israël.
Du côté de l’oppresseur
Depuis Gaza, nous nous demandons comment, en l’absence de démocratie, les timides expressions de soutien dans les rues et les capitales des nations arabes peuvent se transformer en actions concrètes.
Nous nous demandons si les peuples arabes qui vivent sous la coupe de régimes autoritaires peuvent changer ces régimes par des moyens non violents.
Nous nous sommes épuisés à essayer de trouver les moyens possibles de parvenir à un changement politique démocratique. Alors que le génocide de Gaza s’éternise, nous n’avons pas vu de traduction concrète par les Etats arabes de la solidarité de certains de leurs peuples avec la Palestine.
L’archevêque sud-africain Desmond Tutu a déclaré un jour : « Si vous restez neutre dans les situations d’injustice, vous avez choisi le camp de l’oppresseur. »
Une fois de plus, la communauté internationale, les Nations unies, l’Union européenne et les dirigeants arabes sont restés largement silencieux face aux atrocités commises par Israël. Ils se rangent ainsi du côté d’Israël.
Des milliers de cadavres de femmes et d’enfants n’ont pas réussi à les convaincre de la nécessité d’agir. Les Palestiniens ont compris qu’ils n’avaient qu’une seule option tenable : le pouvoir populaire, qui est la seule force capable de s’attaquer à l’énorme asymétrie de pouvoir dans le conflit israélo-palestinien.
Au cours des 17 dernières années, les Palestiniens de Gaza ont eu le choix entre mourir lentement sous le blocus étouffant d’Israël ou se battre pour leur dignité, la leur et celle des générations futures. Nombreux sont ceux qui ont choisi de se battre, s’éloignant ainsi d’années d’auto-illusion qui présentaient l’assujettissement à l’occupant comme un fait accompli.
Dans ce contexte, les initiatives de cessez-le-feu proposées ne tiennent pas compte des objectifs d’Israël dans la guerre de Gaza : éliminer le plus grand nombre possible de Palestiniens en ciblant les habitations et les infrastructures civiles, et supprimer toute source potentielle de résistance à l’occupation israélienne dans le camp d’extermination à ciel ouvert que nous connaissons sous le nom de Gaza.
Les causes profondes
Au lieu de cela, les initiatives proposées tirent un trait d’égalité entre la résistance palestinienne et le régime israélien d’oppression systématique, d’apartheid et de colonialisme de peuplement. Il semble que le monde s’attende à ce que les Palestiniens acceptent simplement leur mort lente sans aucune forme de rébellion.
Mais les Palestiniens, à Gaza et ailleurs, ne se laisseront pas faire.
Tout accord qui ne conduirait pas à un cessez-le-feu immédiat, à la levée du blocus dévastateur d’Israël et à la réouverture permanente de tous les points de passage de manière à permettre l’entrée de carburant, de médicaments et d’autres produits de base, ne serait pas acceptable pour la population de Gaza.
L’accord doit également prévoir le retrait sans délai des forces israéliennes.
La guerre actuelle ne peut être considérée indépendamment des causes profondes de la situation à Gaza : l’entreprise coloniale d’Israël, l’occupation, l’apartheid et le nettoyage ethnique.
Ce conflit doit s’inscrire dans le cadre de notre revendication du droit au retour des Palestiniens sur les terres dont des centaines de milliers d’entre eux ont été chassés en 1948. Les deux tiers des habitants de Gaza sont des réfugiés qui jouissent de ce droit en vertu du droit international.
De Rafah à Nuseirat, en passant par Jabalia et le reste de la bande de Gaza, nous sommes arrivés à un moment charnière de l’histoire palestinienne. Gaza attend un leadership à la hauteur de l’événement, reconnaissant l’idée de la Palestine du fleuve à la mer.
Toute discussion sur l’amélioration de nos conditions d’oppression – et même cela est considéré comme trop pour nous – à la lumière des grands sacrifices qui ont été faits, est une trahison des martyrs de Gaza. Nous devons commencer à discuter de solutions radicales pour dépasser le statu quo et adopter un slogan clair : mettre fin à l’occupation, à l’apartheid et au colonialisme.
Si cela se produit, toutes les vies perdues à Gaza ne l’auront pas été en vain.
Auteur : Haidar Eid
* Haidar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger.Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.Son compte twitter.
28 juin 2024 – Middle-East Eye – Traduction : Chronique de Palestine