Avant le 7 octobre, les hommes travaillant en mer étaient confrontés à de graves dangers de la part d’Israël. Depuis, les risques n’ont fait qu’empirer.
Opérant le long de la Méditerranée, l’industrie de la pêche de Gaza est un pilier du régime alimentaire et de la culture palestinienne. Le port de Gaza a été une bouée de sauvetage pour les pêcheurs, le principal marché aux poissons étant situé à proximité du rivage. Depuis le 7 octobre, cependant, la côte a été détruite par les attaques aériennes et navales israéliennes et le port a été réduit à l’état de ruines.
Néanmoins, les pêcheurs de Gaza doivent toujours pêcher pour subvenir aux besoins de leurs familles, et ils courent un grave danger lorsqu’ils le font malgré les attaques israéliennes. Comme l’a rapporté un pêcheur, le simple fait de jeter les filets déclenche des attaques extrêmes de la part de la marine israélienne, qui tire des coups de feu, bombarde avec des obus et des bombes assourdissantes.
Il ne se passe pas un jour sans que ces attaques ne se produisent.
Une situation qui n’est pas nouvelle
Ce que beaucoup de gens en dehors de Gaza ne réalisent pas, c’est que bon nombre des atrocités perpétrées par Israël à Gaza au cours des huit derniers mois n’ont pas commencé le 7 octobre. C’est le cas des attaques contre les pêcheurs de Gaza. Ceux-ci sont confrontés à des restrictions et à des dangers majeurs depuis qu’Israël a imposé son blocus de la bande de Gaza il y a 17 ans.
Jusqu’au 7 octobre, il y avait environ 4 000 pêcheurs gazaouis qui soutenaient plus de 50 000 personnes à charge. Les pêcheurs étaient arbitrairement limités à une zone d’environ six miles à partir du rivage et n’étaient pas autorisés à aller dans les zones plus profondes de la mer où le poisson est plus abondant.
Les attaques des forces d’occupation israéliennes contre eux et leurs bateaux étaient imprévisibles. Les Israéliens arrêtaient régulièrement les pêcheurs en mer, confisquaient leurs bateaux, leurs fournitures et leurs outils, et les emmenaient dans des lieux tenus secrets pour les détenir, les interroger et les torturer.
Les responsables du port de Gaza et Nizar Ayyash, responsable du Syndicat des pêcheurs, ont confirmé que les tirs aléatoires des canonnières israéliennes étaient violents et fréquents, en particulier en période de brouillard et de mauvais temps.
« Israël confisque délibérément les bateaux, blesse les pêcheurs et les prive de leurs moyens de subsistance », a déclaré M. Ayyash. « Ils veulent vider la mer de ses pêcheurs pour leurs propres intérêts stratégiques ».
Il a ajouté : « Quatre-vingt-quinze pour cent des bateaux des pêcheurs de Gaza sont usés. Plus de 300 bateaux ont besoin d’être remis à neuf, mais Israël empêche les pêcheurs d’obtenir ce dont ils ont besoin [par exemple, des moteurs et d’autres équipements] pour les réparer ».
Voici deux récits de ces pêcheurs, tirés d’entretiens réalisés avant le 7 octobre.
Nafez Salah
S’appuyant sur sa mère âgée de 60 ans, Nafez Salah, 23 ans, peine à traverser la pièce en raison des douleurs constantes causées par ses blessures aux pieds, au dos et à la tête.
Les forces israéliennes lui ont tiré dessus alors qu’il pêchait dans l’étroite zone maritime de la bande de Gaza où l’occupation israélienne autorise les Palestiniens à pêcher.
Salah pêchait depuis quatre ans lorsqu’il a acheté un nouveau bateau, enthousiasmé par l’augmentation de sa productivité. Pour l’acheter, il a vendu l’or de sa mère et de sa femme pour 40 000 shekels.
Muhammad Majid Bakr, pêcheur à Gaza, assassiné par les forces israéliennes d’occupation
Peu après, explique-t-il, « mon cousin et moi étions sur le bateau en train de nous préparer pour les prières de 4 heures du matin lorsque des canonnières israéliennes nous ont tiré dessus. Nous avons tenté de nous échapper, mais ils n’étaient plus qu’à quelques mètres de nous. Nous avons tous deux été gravement blessés ; nous avons été arrêtés pendant plusieurs jours et notre bateau a été pris et n’a jamais été rendu. »
Il poursuit : « Avant d’être blessés et arrêtés, mon cousin et moi assurions la nourriture à 100 personnes dans notre immeuble. Aujourd’hui, nous sommes handicapés et ne pouvons plus pêcher. »
Le père de Salah, qui est confiné dans un fauteuil roulant, a ajouté : « Salah était notre gagne-pain à tous et le pêcheur le plus habile parmi ses frères, mais maintenant il ne peut plus marcher et ne pourra peut-être plus jamais pêcher ».
Salah a déclaré : « Aujourd’hui, je n’arrive plus à garder l’équilibre, je ne peux plus me tenir debout et je tombe souvent. J’ai des douleurs constantes dans le dos, des vertiges et des nausées ». Avec des larmes refoulées et une voix tremblante, il poursuit : « Tout ce que je peux faire, c’est me rendre aux rendez-vous médicaux. On m’a tiré dessus parce que je gagnais ma vie ».
Le chef du syndicat des pêcheurs, Nizar Ayyash, a répété que l’expérience de Salah était typique. « Nous sommes habitués à des attaques et à supporter des blessures fréquentes. Trente-sept pêcheurs ont été arrêtés [en 2023, avant la guerre]. De nombreux pêcheurs ont été blessés presque quotidiennement et 13 bateaux ont été retenus à Ashdod. Nafez a subi une très grande perte. »
Khader Al-Saidi
Il y a cinq ans, Khader Al-Saidi, aujourd’hui âgé de 36 ans, a été attaqué par quatre canonnières israéliennes. Il explique : « J’essayais de m’échapper, mais ils ont continué à tirer jusqu’à ce qu’ils m’atteignent. »
« L’instant d’après, je me suis réveillé en me frottant les yeux. Un médecin m’a dit que je venais de subir une opération des yeux. J’étais sous le choc. Il m’a dit que je ne verrais plus jamais. »
Ce n’est pas la première fois qu’Al-Saidi est confronté à l’armée israélienne. En 2018, alors qu’il pêchait, il a été agressé et emprisonné pendant près d’un an et demi. Une fois libéré, il est retourné pêcher – c’est ainsi qu’il subvient aux besoins de sa femme, de ses quatre jeunes enfants et de ses parents.
Son plus jeune fils est né après qu’il a été rendu aveugle. Al-Saidi lui a donné son nom, Khader, pour qu’il puisse se reconnaître dans son enfant.
Sa mère, âgée de 66 ans, se lamente : « Que peut-il faire après qu’ils lui ont volé ses yeux ? Qu’est-ce que cela leur ferait s’il pouvait voir et continuer son travail ? Il est maintenant aveugle et son bateau est retenu en Israël ».
« Je ne demande pas mes yeux », a déclaré M. Al-Saidi. « Je veux juste que quelqu’un subvienne aux besoins de mes enfants. J’ai accepté ce qui m’est arrivé, mais je n’accepte pas que mes enfants aient faim ».
Le sort des pêcheurs
Les pêcheurs réclament depuis longtemps l’accès à des eaux plus profondes et la possibilité d’importer les moteurs et les équipements dont ils ont besoin.
Le Syndicat des pêcheurs a demandé à plusieurs reprises aux autorités israéliennes d’occupation et à la communauté internationale de mettre fin aux violations des droits de l’homme et d’assurer la protection des pêcheurs qui travaillent dans l’ « espace sûr » désigné par Israël.
Pourtant, depuis la guerre, le danger qui pèse sur ces pêcheurs s’est accru de façon exponentielle et c’est avec appréhension que nous envisageons leur sort dans un avenir prévisible.
Auteur : Nada Hazem Al Kahlout
* Nada Hazem Al Kahlout est étudiante en littérature anglaise et en éducation à l'université Al Aqsa. C'est une femme de Gaza qui a hâte de battre les records tout en portant le neqab. Elle est formatrice, rédactrice en arabe et travaille bien en équipe. « Le volontariat est mon souffle, et la Palestine est mon sang », dit-elle.
17 juin 2024 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine