Par Bahassou Reda
Le 22 février 1942, dans sa villa de Petrópolis, au Brésil, Stefan Zweig se suicida en avalant une fiole de véronal. Il se sentait traqué jusqu’à dans son exil forcé par la Gestapo, d’autant plus que rien ne semblait arrêter la percée irrésistible de la Wehrmacht.
Quelque temps auparavant, désemparés, ses amis intimes Ernst Weiss, Erwin Rieger, Ernst Toller et Walter Benjamin..passèrent également à l’acte.
Pourtant, si l’écrivain était bercé par l’espérance et qui au contraire de l’espoir ne s’éteint jamais comme formulé par Bernanos, il aurait assisté à la chute du III Reich à peine 2 à 3 ans plus tard. Ainsi sera donc le destin funeste d’Israël, car il n’y a pas de sommet sans profond précipice.
Admettons que le Hamas ait fait une énorme bourde, une erreur irréparable ce 7 octobre, en investissant le passage d’Eretz, qui soit dit en passant comporte son lot d’humiliations et de vexations pour les travailleurs palestiniens qui le franchissent tous les matins pour subvenir à leur besoin, c’est aussi le lieu privilégié par le Shin Bet pour recruter de potentiels informateurs.
Qu’est ce qui empêche en toute objectivité Bibi de dresser une nouvelle liste Golda Meir, laquelle comporterait les noms des principaux chefs dont la tête est mise à prix.
« The Most Wanted criminals » : Sinwar, Abu Obeida, Deif, Ismaël Haniyeh..), comme au lendemain des attentats commis par des membres de l’organisation palestinienne Septembre noir à Munich contre les athlètes israéliens ?
Après tout, le Mossad ne se targue-t-il pas d’avoir une expérience très fournie, en matière d’opérations « Homo » pour homicide ou assassinant ciblé, comme en atteste, l’élimination de Mahmoud al-Mabhouh dans un hôtel à Dubaï ?
Au lieu de cela Israël cible directement des femmes et des enfants, comme si finalement l’objectif était de s’emparer de Gaza et reprendre son contrôle en la vidant de ses forces vives.
En outre, Le Quai d’Orsay parle d’une quarantaine de français tués par le Hamas.
Or sont-ils des bi-nationaux, des engagés volontaires dans les rangs de la brigade Golani, celle de Gaza qui gère l’enclave, l’unité Shayetet 13, Givati, les « Moustaaribines » qui parlent l’arabe et qui procèdent aux interpellations, ou alors les fameux gardes frontières réputés par leur intransigeance et auxquels s’est joint Arno Klarsfeld ?
Oui Arno, vous savez de qui je parle, le baveux, l’avocat bi national, l’ancien président de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Des djihadistes juifs, il en existe aussi.
Les fedayins révèlent simplement le degré de soumission de nous gouvernants au « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » pour reprendre l’expression de Charles De Gaulle.
En visite à Jérusalem, Macron a suggéré l’idée d’une coalition internationale contre le Hamas, à l’image de celle fondée en 2014 contre Daesh, feignant d’ignorer que le premier est un mouvement de libération nationale (voir mon précédent article sur le sujet: Le Hamas ou le Prométhée moderne).
Slava Ukraini, proclait-il auparavant, mais Circulez y’a rien à voir lorsqu’il est question de la Palestine.
Personne n’est libre, si tout le monde n’est pas libre, martèle Susan Sarandon, militante et actrice.
L’on invoque solennellement l’alliance judéo chrétienne et la lutte contre l’antesmistime pour sonner le tocsin et ameuter les ouailles en faveur d’un soutien inconditionnel à Israël ?
Seulement, Israël a pactisé avec l’Azerbaïdjan chiite pour liquider l’Arménie chrétienne, afin de disposer d’une base arrière en cas d’un raid éclair sur l’Iran (cas précédent : l’opération Babylone sur l’Irak qui a consisté à pulvériser le réacteur nucléaire Osirak, que les israéliens nomment ironiquement Ochirak, car construit par la volonté de l’ancien président).
Parfois, je m’interroge sur ces fameux « territoires perdus de la République », sinon sur la notion de « L’Archipel français » suggérée par Jérôme Fourquet, selon laquelle la nation serait multiple et divisée.
Ma question : Si tel est le cas, pourquoi les peuplades qui y habitent n’organisent rien en solidarité prétendument avec leurs « frères » sous le joug de l’occupation israélienne ?
Alors qu’un petit groupe bien décidé peut déloger toute l’équipe BFM TV et suspendre la diffusion en direct comme dans un putsch militaire.
George Habache du FPLP avait dit quelque chose comme quoi, les pays arabes devaient se libérer d’abord de leurs tyrans avant de libérer la Palestine. Il n’avait pas tort.
Prenez l’exemple de l’Arabie saoudite, c’est un pays obscurantiste, façonné par les Britanniques, dans la même symétrie qu’Israël. Ils y ont insituté le wahhabisme comme religion d’Etat, un courant rétrograde, qui prône un islam infirme, dépourvu de sa dimension révolutionnaire.
La plupart des savants estiment que c’est une hérésie que de considérer le wahhabisme comme une école de jurisprudence parmi les 4 préexistantes, avant que les pétrodollars ne changent la donne.
Les pays arabes avaient vocation à devenir socialistes, laïques, progressistes, bercés par les idéaux de la gauche prolétarienne, le panarabisme et pas le moins du monde portés sur un islam qui s’attache à la forme plutôt que le fond, l’écorce plutôt que la sève .
Comment des gens peuvent encore aller à la Mecque ? N’est ce pas l’Arabian light qui brûle dans les réservoirs des Merkavas israéliennes ?
Chaque penny apporté à la famille Al Saoud alimente la machine de guerre israélienne.
Pire, il en résulte, un fichage systématique et la collecte de données biométriques à la faveur de l’octroi du marché de la sécurité à des firmes implantées dans la Silicon Wadi.
Le titre de Hajj n’est rien d’autre aujourd’hui qu’un habitus, ou un capital symbolique comme formulé par Bourdieu. On est plus du tout dans une élévation spirituelle, d’aucune sorte, ni dans les sensations éprouvées par Malcolm X lors de sa première visite dans les lieux saints: « Jamais je n’ai connu d’hospitalité aussi sincère, de fraternité aussi bouleversante que celles des hommes et de femmes de toutes races réunis sur cette vieille Terre Sainte, patrie d’Abraham, de Mohamed et des autres prophètes des Saintes Écritures. Jamais je n’ai été honoré comme ici. Jamais je ne me suis senti plus humble et plus digne….»
Du reste, le calcul politique du Hamas ce 7 octobre est hautement symbolique, il intervient 50 ans après le déclenchement de la guerre du Kippour, dans la perspective de mettre un coup de grâce à ce mariage raison, à cette convergence d’intérêts entre Israël et l’Arabie Saoudite qui aurait une fois pour toute liquidé la question palestinienne.
A l’inverse, l’Iran se donne pour mission depuis la chute du Chah d’exporter sa Révolution islamique de 79, et par là même renforcer l’arc chiite qui s’étend de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas.
Par conséquent, elle ne laissera point tomber Gaza, elle y dispose des leviers des branches militaires affiliées au Hamas et au Djihad. Plus Israël resserra l’étau sur l’enclave et plus l’Iran accentuera la pression par l’intermédiaire de l’Axe de la résistance.
Quant au Hezbollah, il a acquis la conviction que c’est le prochain sur la liste. Seule consigne qui vaille « Pas un pas en arrière ! » dans les mêmes proportions que l’ordre n° 227, décrété par Staline: ( « Nié chagou nazad ! »), pendant les moments forts de la bataille de Stalingrad.
Le porte-parole du Hamas le réaffirme sans détour: c’est un Djihad, la victoire ou la mort.
Par ailleurs, le conflit en Palestine montre que même la notion du djihad moderne a été usurpée.
Bien que réactualisé par certains groupes musulmans au début et même avant le XIXe siècle dans des contextes très locaux, le Djihad moribond a été revivifié par des orientalistes allemands afin de fragiliser les empires français et britanniques, par le truchement des Ottomans, estime l’islamologue allemand Reinhard Schulze.
Ou alors comment expliquer les appels au Djihad tous azimuts en Syrie et pas en Palestine occupée par exemple ? C’est bel et bien une notion soumise aux contingences de l’histoire et à la Realpolitik.
Tenez au Maroc par exemple, c’est un mouvement d’obédience islamiste (PJD) qui a ratifié le pacte de normalisation des relations avec Israël, ignorant visiblement qu’il comporte un volet de non agression (les Accords d’Abraham).
Or Israël ne peut se livrer à une offensive qu’en sécurisant ses flancs, ce fut le cas lors de l’invasion du Liban au lendemain des accords de Camp David avec l’Egypte.
Leur foutue compréhension de l’islam est surannée, elle vous fait prendre le parti de l’oppresseur, et même ceux qui se disent conservateurs ou adeptes du traditionalisme, ils ne font que se livrer en dernière instance à un travail d’herméneutique.
« Si tu n’es pas sur le champ de bataille, peu importe que tu sois à la mosquée ou au bar », dixit Shariati, le théoricien de la théologie de la libération à l’iranienne.
Les Israéliens sont en train de commettre les mêmes erreurs que la Wehrmacht sur le front de l’est.
Ils ont une approche de la guerre selon des considérations purement territoriales, mus par une vision biblique de la chose militaire, aux dépens de l’aspect stratégique voire clausewitzien.
Il faut conquérir par la force ce que dieu leur a prétendument donnée du « Nil à l’Euphrate », sans tenir compte de la réalité du théâtre d’opération. L’hybris.
Pendant ce temps-là, le feu couve aux confins des frontières d’Israël, selon qu’il s’agisse de la Galilée, la Cisjordanie, le Golan, Gaza…
« La guerre est semblable au feu, lorsqu’elle se prolonge elle met en péril ceux qui l’ont provoquée », Sun Tzu, L’art de la guerre.
Ce round ne se terminera pas avec un énième plan de paix, ni avec un cessez-le-feu, et encore moins avec un plan de partage etc., il se terminera par la défaite affligeante d’Israël.
Pour la première fois et contrairement à Yom Kippour, à la guerre des Six jours, à l’invasion du Liban en 82, Israël doit combattre à l’intérieur de la ligne verte.
Le projet sioniste s’articule sur deux éléments clés : la colonisation et l’invincibilité supposée de Tsahal et à l’évidence ces mythes fondateurs ont du plomb dans l’aile. Qui vaudra sincèrement s’installer à portée de canons des activistes du Hamas ou à un jet de pierre de la frontière chaude du Liban ?
Tout indique que c’est une guerre de libération nationale, comparable à bien des égards avec les « événements en Algérie » ou à la libération de Saïgon.
Tsahal cible intentionnellement les hôpitaux, un degré dans l’horreur jamais vu. J’ai visité les tranchées de 14-18 au saillant de Saint-Mihiel et même là dans l’antichambre de l’enfer, les Allemands avaient mis leur bloc opératoire à l’abri sous terre.
La meilleure stratégie pour mettre fin à l’occupation de plus en plus sanglante est de faire d’Israël la cible du même genre de mouvement mondial que celui qui a mis fin à l’apartheid en Afrique du Sud. Naomi Klein, journaliste, essayiste, réalisatrice canadienne.
Auteur : Bahassou Reda
* Bahassou Reda est écrivain franco-marocain. Il a fait des études de sociologie à l'Université de Lorraine et il est l'auteur de l'essai Nass El-Ghiwane, les Rolling Stones de l’Afrique, paru à "La Croisée des Chemins" au Maroc.
12 novembre 2023 – Transmis par l’auteur