Par Maram Humaid
Nawal Abu Hajeela, âgée de 58 ans, est connue sous le nom de Khansaa de Gaza, d’après une poétesse arabe du 7ème siècle qui a perdu quatre fils au combat.
Quatre photos encadrées de quatre hommes sont accrochées au mur au milieu du salon de Nawal Abu Hajeela, dans le quartier de Shujayea, dans la bande de Gaza.
Trois sont marqués des mots “l’héroïque martyr” devant leurs noms.
“Ce sont mes fils qui ont été tués”, nous dit Nawal, appelée également Umm Iyad.
Son fils aîné, Iyad, était âgé de 41 ans et père de quatre enfants lorsqu’il est mort après une bataille contre le cancer il y a un an.
Ses trois autres fils ont été tués dans des attaques ou des opérations armées contre l’occupant israélien.
“C’est Adham, 21 ans, qui était membre des Brigades al-Qassam [la branche militaire du mouvement Hamas] et qui a été tué dans une opération contre des soldats israéliens en décembre 2004″, a déclaré Umm Iyad, montrant sa photo.
“C’est Ziad, 26 ans, qui faisait partie de la patrouille de nuit de al-Qassam et qui a été tué dans un bombardement israélien en 2007. Je me préparais pour ses fiançailles à l’époque.”
“La plus grande photo est celle de Mohammed, 31 ans, qui a été tué la semaine dernière [le 12 avril] dans un bombardement israélien à la frontière de Gaza.”
“Même si je savais que mes fils avaient choisi délibérement la voie de la résistance, leur perte est toujours difficile…”
En hommage à ses fils, Umm Iyad, qui a 58 ans, est connue localement sous le nom de “Khansaa de Gaza”, d’après une poétesse arabe du septième siècle dont les quatre fils ont été tués lors de la bataille de Qadisiyah.
“C’est un grand honneur d’être nommée la Khansaa de Gaza”, nous dit Umm Iyad, et elle rappelle ce que Khansaa a dit lorsqu’elle a appris la mort de ses fils : “Louange à Allah qui m’a honorée de leur martyre.”
“J’ai l’espoir que Dieu me réunira avec eux au paradis.”
Umm Iyad a eu une lourde charge à supporter dès son plus jeune âge.
Elle était mariée à l’âge de 15 ans et avait 10 fils et une fille qu’elle a élevée en grande partie seule.
“Quand mes enfants étaient jeunes, mon mari travaillait comme ouvrier en Israël toute la journée, ce qui ajoutait plus à mon fardeau”, a-t-elle dit.
Après 22 ans de mariage, Umm Iyad a divorcé. Elle a emménagé avec ses 11 enfants dans un appartement loué à Shujayea.
“Ce fut la période la plus difficile de ma vie”, se souvient-elle.
“En plus d’élever mes enfants seuls, j’ai dû surmonter beaucoup d’obstacles que la société place sur le chemin d’une mère célibataire et divorcée.”
La vie après le divorce
Avec l’aide de ses deux fils aînés et de sa famille, Umm Iyad a réussi à s’en sortir.
Malgré le divorce, nous dit-elle, elle faisait attention à ne pas laisser cela affecter la relation de ses enfants avec leur père, qui s’était remarié.
“Mes fils respectent leur père et ils lui rendent toujours visite, ce qui était en particulier le cas de Mohammed, et son père a été dévasté quand il a appris sa mort”, raconte Umm Iyad.
Elle poursuit : “J’avais rêvé d’envoyer mes enfants à l’université pour leur permettre de suivre des études supérieures, mais nos conditions de vie trop difficiles ne l’ont pas permis.”
“Mes fils aînés travaillent comme maçons pour joindre les deux bouts, et peu de temps avant sa mort, mon aîné, Iyad, a travaillé comme employé du gouvernement auprès de l’Autorité palestinienne.”
Umm Iyad, qui fait partie du comité social de sa mosquée locale, est farouchement patriote.
“J’ai élevé mes enfants en les faisant aimer leur patrie et je participe toujours à toute activité, manifestation ou événement lié à la Palestine”, dit-elle.
Elle a participé aux deux premiers vendredis des manifestations de masse lancées le 30 mars, appelant au droit au retour des réfugiés palestiniens.
“Toujours présents dans mon esprit”
Umm Iyad a dit qu’elle approuvait ses fils Adham, Ziad et Mohammed dans la voie qu’ils avaient choisi “pour résister contre Israël” malgré, comme elle l’a admis, la difficulté de réconcilier son instinct de mère avec les sacrifices que ses enfants ont dû endurer pour leur patrie.
La mort de Mohammed est survenue très récemment le 12 avril, alors qu’un raid aérien israélien prenait pour cible un groupe de militants des brigades al-Qassam.
Mohammad, qui faisait partie du groupe, a succombé à ses blessures à l’hôpital Shifa de Gaza.
“Même si je m’attendais à entendre cette nouvelle un jour, je craignais toujours de le voir mourir”, nous dit Umm Iyad.
Mohammed a consacré sa vie à la résistance et croyait profondément au droit de retrouver sa patrie volée. Il a été blessé trois fois et a participé à trois guerres, en particulier contre l’offensive israélienne de 2014″.
“Ma plus grande préoccupation”
Mohammed a laissé derrière lui cinq enfants. L’aîné, Asem, n’a que six ans.
“Je suis une grand-mère de 29 enfants, dont neuf sont orphelins, et pour ces derniers, leur avenir après la mort de leur père est ma plus grande préoccupation aujourd’hui”, avoue Umm Iyad.
Umm Iyad vit maintenant avec ses fils célibataires Raed et Karam. Ses quatre autres fils vivent avec leurs familles à proximité.
Luttant pour retenir ses larmes alors qu’elle regardait les photos de ses quatre fils disparus, Umm Iyad conclut : “Ils sont toujours dans mon esprit, et ils me manquent à chaque minute. Je prie sans cesse pour les revoir dans mes rêves”.
Auteur : Maram Humaid
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Son compte Twitter :@maramgaza.
22 avril 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine