Par Hanan Abukmail
Des semaines se sont écoulées depuis la fin de la quatrième guerre israélienne contre Gaza. Et bien que le monde soit passé à autre chose, nous, à Gaza, devons ramasser les morceaux. Et moi ? Je me retrouve à remettre en question ma décision de devenir médecin. Lisez un seul extrait de mon journal intime et vous comprendrez peut-être pourquoi…
Ces jours-ci, mon hôpital est imprégné de l’odeur du sang et de la mort. Comment puis-je la décrire, si vous n’y avez jamais été confronté ? L’odeur est comme une sorte de fumée, elle pénètre dans mes cellules sans permission, me donnant la nausée et me faisant me sentir faible.
A certains moments, je suis obligée de me réfugier dans une autre pièce jusqu’à ce que je puisse revenir.
Je reviens brutalement à 2014, lorsque j’ai commencé mon parcours pour devenir médecin. La plus longue des attaques militaires israéliennes a été dévastatrice, mais elle m’a poussée à poursuivre mon rêve d’enfant d’être un ange vêtu de blanc.
Maintenant, me voici sept ans plus tard, devenue un médecin qui a survécu à une autre des attaques brutales d’Israël, et se posant ces questions : combien de temps encore mon cœur pourra-t-il supporter d’être témoin de toutes ces vies massacrées ? Pourquoi suis-je née dans ce pays ? Pourquoi ai-je choisi cette profession ?
L’inimaginable se reproduit
Au milieu de la nuit du 15 mai, l’aviation israélienne a attaqué un immeuble résidentiel appartenant à la famille Abu Hatab. Un enfant de 5 mois est le seul survivant d’une famille entière disparue dans ce génocide.
Un jour après cette destruction, la pire nuit de bombardement a commencé. Une étudiante en troisième année de médecine dentaire, âgée de 21 ans, Shimaa’ Abu Alaouf, a été tuée. Elle avait prévu de célébrer son mariage le mois prochain avec l’homme qu’elle aimait, Anas.
Elle rêvait probablement du jour de sa remise de diplôme, de travailler comme dentiste, d’élever des enfants dans sa propre maison. Mais au lieu de cela, la future mariée, ainsi que son amour et ses passions, ont été enterrés par les frappes aériennes israéliennes qui ont détruit sa maison.
Nos hôpitaux sont submergés par les morts et les blessés. L’hôpital Al-Shifa, qui est l’hôpital central de la bande de Gaza, n’a qu’une capacité de 250 lits. Mais ces derniers jours, nous avons largement dépassé cette capacité. Nous avons une grave pénurie dans notre réserve centrale de sang. Nous n’avons pas assez de lits et nous n’avons pas assez de sang.
Mon magasin de fleurs préféré de la rue Al-Wehda a été bombardé. Toutes les fleurs que j’offrais à ceux que j’aime ont été achetées ici, avec un message écrit à la main : “Prends bien soin de toi, toi que j’aime”. J’y allais souvent, simplement pour regarder les fleurs. Maintenant, il n’y a plus de fleurs à contempler, plus de fleurs à offrir et plus de messages d’amour à envoyer.
Plus de 10 familles ont été rayées de l’état civil. Permettez-moi de le répéter… Plus de 10 familles entières ont disparu…
J’avais l’habitude de m’endormir tôt et j’attendais avec impatience de me rendre au travail. Je veillais alors à chaque pas à me libérer de mes pensées et à soulager mon cœur. Respirant profondément dans la lumière du matin, j’arrivais à l’hôpital joyeuse, comme neuve et prête à entamer ma journée.
Mais maintenant, mes sanglots étouffent le bruit des missiles tombant sur la tête de mon peuple.
J’ai peur pour ceux qui survivent
Quelques heures plus tard, je regarde et j’attends que les gens soient extraits des décombres.
Les vivants et les morts attendent d’être retrouvés. La plupart des blessés que je soigne à l’hôpital ont du mal à croire qu’ils sont en vie. Ils ont le cœur brisé et le visage reflète leur état de choc.
J’ai peur pour mes patients. J’ai peur pour les survivants trouvés dans les décombres. J’ai peur pour leurs familles.
Les dommages psychologiques causés par le traumatisme d’être littéralement enterré vivant avant d’être finalement secouru sont énormes : accélération du rythme cardiaque, inhalation de poussière et de toxines, peau déchiquetée par les éclats d’obus et peur constante d’être piégé et de ne jamais être retrouvé.
Certains survivants se vident lentement de leur sang et meurent quelques minutes après avoir été réanimés. Comment leurs familles, qui les attendaient, peuvent-elles surmonter cette épreuve ?
Pour nous, qui vivons sous l’occupation israélienne et la menace d’un bombardement à tout moment, ce ne sont que quelques minutes qui séparent la vie de la mort.
Encore et encore, Israël viole nos droits les plus élémentaires et les conventions internationales en prenant pour cible des civils non armés et des établissements de santé. Nous savons que la guerre reviendra, si ce n’est l’année prochaine, l’année suivante ou celle d’après.
J’ai peur et je fais tout ce que je peux pour survivre et servir mon peuple.
Pourtant, au-delà de ma peur, nous avons vu et ressenti la solidarité et l’espoir d’une communauté internationale de militants et autres sympathisants. Cela nous donne l’espoir dont nous avons besoin pour aller de l’avant et poursuivre la lutte.
Auteur : Hanan Abukmail
* Hanan Abukmail est médecin et chercheuse dans la ville de Gaza, ainsi qu'une participante à Global Shapers Community - Gaza Hub. Le fait d'avoir survécu à trois guerres en Palestine occupée et d'être confrontée quotidiennement à des patients lui a appris la véritable signification de l'empathie, c'est-à-dire à maintenir le noble idéal de toujours traiter les gens avec gentillesse. "J'admets que la vie à Gaza ne m'a pas donné ce que je demandais", dit-elle. "Cependant, elle m'a donné les personnes, les lieux et les situations qui me permettent de recevoir encore plus. J'espère que mes écrits et ma profession de médecin scientifique peuvent être un moyen de servir notre mère, la Palestine. Ici, redonner est un devoir, pas une charité."
28 juin 2021 – WeAreNotNumbers.org – Traduction : Chronique de Palestine