Gaza : un écocide flagrant devant un monde indifférent !!!

14 novembre 2024 - Dans le camp de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, les Palestiniens ramassent les ordures pour les vendre et utilisent ce qui peut encore être utile. Après plus d'un an de guerre génocidaire d'Israël contre Gaza, la grande majorité de la population est déplacée et confrontée à une crise humanitaire catastrophique, l'aide étant systématiquement entravée par Israël - Photo : Yousef al-Zanoun / Activestills

Par Ahmed Sadqi

La guerre de Gaza est considérée comme la plus destructrice de ce siècle, selon diverses sources spécialisées, écrit Ahmed Sadqi. En effet, l’utilisation des munitions durant ce conflit n’a jamais été égalée en termes de pouvoir destructeur et de densité géographique et temporelle.

A- Introduction

Il est bien connu que l’environnement est toujours l’une des victimes silencieuses et collatérales des conflits armés, et on ne peut pas imaginer une guerre dont il sortirait indemne. La situation devient encore plus dévastatrice lorsque ces guerres échappent à toutes règles et se transforment systématiquement en actes d’extermination et de génocide, sans limites ni préceptes, engendrant des conséquences très lourdes sur l’environnement, ainsi que des massacres tyranniques anéantissant et étouffant tous les aspects et les formes de vie. C’est ce que nous pouvons appeler un écocide.

L’écocide est une grave atteinte portée à l’environnement intentionnellement par l’homme, c’est un acte criminel pensé, volontaire et avec prémédité entraînant des dommages majeurs et des préjudices irréversibles, permanents et irréparables affectant un ou plusieurs écosystèmes.

Le concept d’écocide fait son apparition lors de la guerre du Vietnam, par le biologiste Arthur Galston, qui a soulevé les aspects de la dégradation de l’environnement et les répercussions néfastes des déversements de « l’agent orange », affectant les forêts locales durant cette guerre. Celui-ci alerte alors sur les risques causés par l’opération américaine Ranch Hand sur les milieux naturels et la santé des populations locales.

Cette opération visait à défolier les forêts où l’ennemi pouvait se cacher en utilisant 80 millions de litres de l’agent orange, un herbicide toxique défoliant.

D’autres actes écocidaires sont enregistrés par la suite dans divers pays, parmi lesquels, on enregistre l’assèchement de la mer d’Aral, causé par le détournement des deux fleuves qui l’alimentaient par les Soviétiques, qui ont décidé de cultiver les vastes steppes du Kazakhstan afin de produire du coton en masse.

Dans l’actualité brûlante, on repère la situation à Gaza qui s’inscrit dans ce même cadre et traduit une grave situation d’écocide, comme le révèlent et l’argumentent les faits manifestés sur le terrain et les données recueillies et interprétées par des experts et spécialistes.

Malheureusement, malgré cette réalité écrasante et poignante, tout le monde continue à ignorer ce désastre sans s’en soucier, y compris les activistes et les militants écologiques, comme si rien ne se passait.

Il est à noter que certains d’entre eux ne manquent jamais une occasion de susciter et soulever des situations écologiques, même subsidiaires, et de lancer, par exemple, des campagnes pour sauver une espèce menacée dans un fond océanique ou dans un coin d’une jungle. Tout cela est louable, mais, selon les règles de proportionnalité, cela ne vaut pas grand-chose comparé à l’horreur des actes génocidaires et écocidaires terrifiants qui se déroulent à Gaza.

Nous constatons également un grand manque de documentation sur ces actes, contrairement à la guerre en Ukraine, considérée comme la plus documentée de l’histoire en termes des données environnementales.

B- Les aspects du ravage écologique

On peut citer quelques aspects de ces actes, incluant ceux présentant les caractéristiques de crimes contre l’humanité et du nettoyage ethnique, ainsi que ceux illustrant des préjudices et des ravages touchant les infrastructures, l’environnement et les écosystèmes.

1- Le lourd bilan carbone de cette guerre

Dans un article précédent, j’ai déjà révélé l’ampleur et l’acuité de l’empreinte carbone de cette guerre. D’ailleurs, l’analyse des résultats recueillis confirme que son bilan carbone dépasse largement les 130 millions de tonnes d’équivalent CO2 au cours de sa première année. Il s’agit de la moindre estimation possible, basée uniquement sur les statistiques fiables disponibles pour quelques postes, en excluant ceux pour lesquels nous ne disposons pas de données crédibles.

Afin de rendre ce chiffre plus tangible, il correspond aux émissions de 80 pays réunis sur une année entière. Un bilan qui aura des répercussions néfastes sur le climat de notre planète, déjà sérieusement affecté. Mais malheureusement, la dernière conférence des parties de la convention climat, la COP 29, a négligé ce désastre génocidaire et écocidaire dans ses travaux et ses recommandations.

Dans le même article, j’ai souligné la rareté des travaux relatifs à l’évaluation de l’empreinte carbone réalisée à propos de la guerre de Gaza, la sous-estimation de cette empreinte et l’ignorance de plusieurs postes d’émission significatifs.

Cette guerre a également accéléré et intensifié la production d’armements dans les usines des pays fournissant l’entité occupante en munitions et équipements militaires. Il est à noter que l’industrie de l’armement représente l’une des principales sources d’émissions de gaz mondiales, en générant 5,5 % du total de ces émissions.

Ce constat révèle bien les dégâts causés par l’entité occupante, non seulement à Gaza, mais aussi au climat de notre planète.

2- La guerre la plus destructrice

La guerre de Gaza est considérée comme la plus destructrice de ce siècle, selon diverses sources spécialisées. En effet, l’utilisation des munitions durant ce conflit n’a jamais été égalée en termes de pouvoir destructeur et de densité géographique et temporelle.

Plus de 30 000 tonnes d’explosifs puissants ont été larguées au cours des quarante premiers jours de ce conflit, sur une surface très restreinte, fortement urbanisée et densément peuplée. Cela équivaut à la force explosive des deux bombes nucléaires larguées sur les villes d’Hiroshima et Nagasaki combinées.

3- Un écocide servant le génocide

L’Homme fait partie intégrante de l’écosystème et il est un élément de la biocénose. En fait, les actes génocidaires font normalement partie du processus écocidaire. Selon l’ONU, cette guerre présente les caractéristiques d’un génocide, avec plus de 45 000 morts, plus de 105 000 blessés et des milliers de disparus non recensés, sous l’effet des frappes meurtrières et impitoyables.

Même les animaux domestiques périssent à cause des attaques et de la faim. Des chiens et des chats affamés, dans une scène dégoûtante illustrée par des vidéos, se tournent vers les cadavres des personnes mortes lors des attaques et qui n’ont pas pu être enlevées. L’armée de l’État hébreu massacre aussi délibérément les animaux domestiques, notamment les chevaux de calèches, comme le révèlent d’autres vidéos.

4- Une énorme quantité de décombres contaminés

Cette guerre asymétrique touchant une des zones les plus urbanisée du monde a détruit, selon la revue scientifique The Lancet, 92 % des établissements éducatifs, 82 % des infrastructures sanitaires et plus des deux tiers des bâtiments dans la bande de Gaza. D’après le Programme des Nations unies pour l’environnement, à la fin du mois de juillet 2024, les décombres des bâtiments détruits atteignaient 42,2 millions de tonnes.

Les bombardements qui représentent un puissant facteur écocidaire contaminent les décombres à l’amiante, qui est, selon l’Organisation mondiale de la santé, un produit cancérigène grave pouvant aussi déclencher des maladies pulmonaires chroniques. Ainsi, ils sont contaminés par les éléments nocifs et polluants engendrés par les munitions, tels que le plomb, les radionucléides, le mercure, l’uranium appauvri, etc. Les aérosols sont générés continuellement, ce qui rend l’air très pollué et cause des maladies respiratoires et allergiques. Tous ces risques augmentent lorsqu’il s’agit de bâtiments industriels abritant des ateliers utilisant surtout des produits chimiques.

5- Une destruction systématique des cultures

Près de la moitié des terres agraires de la Palestine sont plantées d’oliviers, faisant de cette culture une activité économique névralgique. Une culture millénaire qui est systématiquement détruite à Gaza par l’entité occupante pour priver la population d’une source d’alimentation et rayer un symbole de l’identité palestinienne et de la biodiversité de cette région.

En outre, ces arbres présentent différents atouts écologiques et jouent un rôle dans la captation du dioxyde de carbone. Il ne faut pas négliger non plus l’effet des incendies, qui génèrent des émissions de CO2, détruisent les niches écologiques, ravagent la faune et la flore, dégradant la biodiversité et poussent les êtres non abattus à fuir. Par conséquent, l’équipe d’enquête numérique d’Al Jazeera a analysé les images satellites et a constaté que 60 % des terres agricoles de Gaza ont subi des dommages après seulement neuf mois de ce conflit.

En résumé, cette situation illustre bien la stratégie de la « terre brûlée », qui est mise en œuvre à Gaza de manière délibérée.

6- La soif et la pollution des eaux comme des armes de guerre

L’État hébreu vole un des droits fondamentaux de l’homme, qui est l’accès à l’eau, en détruisant intentionnellement les puits, les réservoirs, les canalisations d’eau, les unités de dessalement et les laboratoires de tests, avec l’application d’un blocus total, affectant les équipements nécessaires à la réparation des édifices ravagés.

Les individus qui cherchent de l’eau sont chassés et tués, tandis que les eaux domestiques sont intentionnellement contaminées par les eaux usées ainsi que par les éléments toxiques provenant des munitions et des explosifs. Les frappes profondes dans les sols, sans précédent, augmentent considérablement les risques de contamination durable des eaux souterraines et des structures phréatiques.

7- Une destruction totale des stations des eaux usées

Les cinq stations d’épuration des eaux usées de Gaza ont été totalement détruites, faisant remonter les eaux non traitées à la surface et créant des marécages qui favorisent la prolifération d’agents biologiques pathogènes, tout en entraînant une pollution à grande échelle par infiltration des substances chimiques.

Quant aux déchets solides, les quantités dispersées de manière aléatoire dans toutes les régions pendant les huit premiers mois de guerre ont été estimées à 330 000 tonnes, contribuant à la prolifération de rongeurs et d’autres vecteurs d’infections, de maladies contagieuses et d’épidémies diverses.

8- L’impact écologique de la migration et des déplacements forcés de masse

C’est en effet un sujet très préoccupant. La migration et les déplacements forcés de masse, comme ceux imposés aux populations de Gaza et du Liban, engendrent des afflictions humaines profondes, mais ils ont également des répercussions écologiques significatives. Le fait que plus de 90 % de la population de Gaza ait été déplacée au moins une fois illustre l’ampleur de la crise humanitaire, mais cela soulève aussi des questions sur l’impact environnemental de ces mouvements forcés.

Les déplacements massifs peuvent entraîner une augmentation de l’empreinte carbone, notamment à travers les transports et la nécessité de s’installer dans de nouveaux lieux, souvent sans services nécessaires ni infrastructures adéquates. De plus, les actes écocidaires liés aux conflits, comme la destruction des écosystèmes et des ressources naturelles, agacent cette situation en rendant les terres invivables et en forçant encore plus de personnes à fuir.

9- L’effet nocif des métaux lourds et du phosphore blanc

Les particules de métaux lourds provenant des munitions et des vols militaires, ainsi que les corpuscules d’armes interdites à l’échelle mondiale, comme le phosphore blanc, ont des conséquences environnementales graves, détruisant la biodiversité, appauvrissant la fertilité des sols (comme dans le cas du phosphore blanc), polluant les eaux superficielles et souterraines, provoquant différentes maladies aux êtres humains et aux autres organismes vivants, et ébranlant tous les milieux naturels et écologiques. Il est spécialement dangereux lorsque cette pollution s’étend aux eaux souterraines et aux chaînes trophiques. 

D’ailleurs, ces délits ne datent pas d’hier. En 2016, le ministre de la Défense de l’État hébreu a révélé que son armée pulvérise un assemblage de trois herbicides nocifs, dont le glyphosate, un cancérigène qui s’infiltre partout et c’est un produit phare d’une multinationale qui est poursuivie, avec d’autres, devant des tribunaux relativement au fameux écocide de l’agent orange perpétré au Vietnam.

10- Un environnement déjà en péril

Il est important de rappeler que ce processus destructeur subi par le territoire palestinien ne date pas d’hier, mais qu’il dure depuis plus de 76 ans, marqué par une longue et écrasante occupation, une colonisation extensive et un strict blocus, dont le plus frais est celui de Gaza, qui a duré 16 ans. Cela a engendré une fragilité et une vulnérabilité écologiques, augmentant la susceptibilité à la détérioration, notamment sous l’effet de ce type d’actes destructeurs sans précédent. 

A titre d’exemple, le territoire palestinien est connu pour sa grande diversité biologique, estimée à 3% de la biodiversité globale, ce qui est contemplé important compte tenu de la petite superficie du pays et de sa situation géographique (la latitude). Parmi cette biodiversité, on décèle 2959 plantes, plus de 30.000 invertébrés, 116 mammifères, 587 oiseaux, 1700 des poissons marins…

Cette diversité a été fermement affectée par les effets d’occupation et l’atrocité des actes coloniaux, y compris l’établissement du mur de séparation, achevé en 2021, d’une longueur de 65 kilomètres et d’une hauteur de six mètres en surface, bâti le long de la frontière avec la bande de Gaza, affectant non seulement la vie humaine, mais aussi la biodiversité indigène.

Selon des déclarations de responsables et experts palestiniens à Al-Monitor(2022), ce mur a des effets environnementaux dévastateurs, car il empêche l’échange biologique naturel au-dessus et au-dessous du sol et entrave le mouvement naturel des animaux sauvages et des reptiles. Il bloque également le mouvement naturel des micro-organismes souterrains qui restaurent la fertilité du sol et renforcent sa vitalité et sa capacité de culture. Une barrière qui empêche les animaux sauvages, tels que les cerfs, les renards et les loups,

Les problèmes de l’eau sont également aggravés par ce mur, qui empêche son écoulement vers la bande de Gaza et la prive ainsi d’une importante source d’eau estimée à des millions de mètres cubes. De même, le mur pollue aussi les eaux souterraines existantes.

C- Les possibilités de poursuivre les inculpés

Malgré tout cela et tous les efforts tenus, ce monde insensé reste toujours indifférent envers ces crimes d’écocides. Depuis des décennies déjà, des activistes et des organisations militent pour que la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye adopte une loi sur l’écocide et le criminalise. Certains pays ont déjà adopté des lois nationales relatives à l’écocide ; le Vietnam fut le premier, et la Belgique a récemment abouti à une telle législation.

Malgré l’absence d’une loi internationale spécifique destinée à ces crimes, il existe des possibilités juridiques pour poursuivre les acteurs des éco-crimes. Cependant, les militants et les activistes écologiques doivent se mobiliser davantage et plaider plus fortement.

Malheureusement, des instances qualifiées pour réagir à ce problème n’ont rien fait jusqu’à maintenant. On signale ici par exemple le Tribunal Monsanto, qui est un procès citoyen consultatif, sans reconnaissance officielle, cherchant à faire évoluer le droit international sur l’écocide, mais qui n’a pris aucune initiative en rapport avec l’écocide de Gaza. Cela dit, il existe des fondements et des règles de droit international permettant de poursuivre en justice ceux qui portent atteinte à l’environnement.

À titre d’exemple, je me réfère au Statut de Rome, adopté le 17 juillet 1998, lors de la Conférence plénipotentiaire des Nations unies sur la création de la CPI. Ce statut fait référence à la notion d’environnement et à la protection de la nature dans le contexte des conflits armés internationaux.

L’alinéa 2, b-iv de cet article énumère parmi les violations graves des lois et coutumes régissant cette catégorie de conflit: […] le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu.

On peut également évoquer le droit humanitaire international, fondé sur la Convention de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels, notamment le Protocole I de 1977, qui n’a jamais été ratifié par les États-Unis et dont la Russie s’est retirée. Ce protocole défend la protection de l’environnement lors des guerres; son article 55 stipule que la guerre doit être conduite en veillant à protéger l’environnement naturel des dommages durables. Cela découle d’une logique selon laquelle la protection de l’environnement est une condition cruciale pour la protection des humains.

En outre, les dispositions des textes portant sur le génocide peuvent être étendues aux actes d’écocide. D’ailleurs, des chercheurs suggèrent que l’écocide doit être considéré comme la variante écologique du génocide, comme l’a conseillé Céline Bimbenet (2022).

La question reste juste liée, d’une part, à la force du plaidoyer des militants écologistes pour activer ces poursuites judiciaires, et d’autre part, à l’existence d’une volonté internationale d’aller dans ce sens, ce que nous ne croyons malheureusement pas possible, compte tenu de ce que nous avons remarqué durant les phases de déroulement de cette guerre, ainsi que de la manière dont la communauté internationale l’a gérée, marquée d’injustice, de la logique des doubles standards et d’une soumission presque totale à la partie responsable de ces actes écocidaires et génocidaires.

Conclusion

Comme le dit le proverbe, « À quelque chose malheur est bon », la guerre contre Gaza avec ses aspects génocidaires et écocidaires flagrants présente une réelle opportunité pour la communauté internationale d’adopter un arsenal juridique affermi et contraignant portant spécifiquement sur les crimes d’écocide.

Mais en attendant, il faut avoir recours à ce qui est actuellement disponible pour poursuivre et punir les acteurs de ces crimes. Sinon, personne n’aura plus le droit de brandir des slogans environnementaux et de s’en vanter ou de prononcer des discours dans des forums et exprimer le soutien, qui n’est que fictif aux questions écologiques.

Entre ceci et cela, la question la plus déconcertante demeure : comment la majorité écrasante des activistes et des militants écologistes ignorent-ils ce flagrant écocide de Gaza et restent indifférents? J’espère qu’eux aussi ne tomberont pas dans la farce du double standard comme les puissants de ce monde insensé.

15 décembre 2024 – Transmis par l’auteur

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