
20 mars 2025 - Les Palestiniens inspectent le site d'une frappe aérienne israélienne où 13 personnes ont été tuées au cours d'une autre journée dévastatrice de bombardements israéliens. Pendant ce temps, à l'hôpital européen, les Palestiniens pleurent leurs proches. Depuis l'aube, au moins 110 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza. Depuis mardi, date à laquelle Israël a rompu le cessez-le-feu, au moins 506 Palestiniens, dont 200 enfants, ont été tués et 909 blessés. À ce jour, 49 617 Palestiniens ont été confirmés morts et 112 950 blessés dans la guerre génocidaire d'Israël contre Gaza, des milliers de personnes étant toujours portées disparues sous les décombres, présumées mortes. Le refus d'Israël d'autoriser l'entrée de l'aide humanitaire ne permet à aucun hôpital de Gaza de faire face au nombre écrasant de blessés - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Avec la reprise de l’offensive israélienne à Gaza, des centaines de personnes ont été assassinées, des milliers d’autres déplacées et l’aide humanitaire a été bloquée. Selon les analystes, il s’agit par tous les moyens d’expulser les Gazaouis de force.
La reprise de la campagne génocidaire d’Israël à Gaza, qui a mis fin à l’accord de cessez-le-feu du 19 janvier et tué des centaines de civils, a ravivé les craintes des Palestiniens, qui redoutent que l’objectif ultime de la guerre soit le nettoyage ethnique.
Pour de nombreux habitants de Gaza, les bombardements incessants, les incursions terrestres et les conditions de siège dépassent de loin l’objectif d’éliminer le groupe militaire et politique du Hamas qui dirige l’enclave depuis 2007 et a mené les attaques contre Israël le 7 octobre 2023, ils font partie d’une stratégie plus large visant à rendre le territoire inhabitable, à forcer des déplacements massifs en poussant les 2,1 millions d’habitants de Gaza à s’enfuir pour ne pas mourir.
Depuis qu’Israël a repris ses attaques aériennes et terrestres lundi, au moins 1000 personnes ont été tuées, dont un grand nombre d’enfants et de femmes, tandis que quelque 35 000 personnes ont été chassées de leurs villages. L’aide humanitaire continue d’être bloquée sur ordre de Benjamin Netanyahu depuis le 2 mars.
Selon les Gazaouis et les analystes, les actions israéliennes correspondent à la vision du président américain Donald Trump – qu’il a depuis rétractée – de vider Gaza de ses habitants pour en faire une sorte de Riviera. Après que les dirigeants arabes ont rejeté la demande des Etats-Unis d’accueillir les habitants de Gaza et que les dirigeants du monde entier ont condamné ce projet, Trump a déclaré qu’il n’était pas question de les déplacer.
Mais pour les habitants de Gaza, il n’y a pas d’autre explication à la violence généralisée qu’ils subissent actuellement que la détermination de les éradiquer définitivement.
Quelques semaines après avoir retrouvé les ruines de sa maison à Deir al-Balah, au centre de Gaza, Saleh al-Sumeiri, 63 ans, a été contraint de fuir à nouveau. L’armée israélienne a intensifié ses bombardements sur les zones proches de la frontière après l’expiration, le 1er mars, de la première phase de 42 jours de l’accord de cessez-le-feu.
Sumeiri a démonté les tentes de fortune qu’il avait installées, et il a emmené sa famille de 17 membres, dont ses petits-enfants, à al-Mawasi, à l’ouest de Khan Younis. Il se doutait qu’il allait y avoir une nouvelle vague de déplacements, comme cela s’était produit dans des villes telles que Khuza’a et Abasan, à l’est de Khan Younis, et Beit Hanoun, au nord.
« Nous avons encore plus peur que d’habitude », a-t-il déclaré. « Les mesures prises par l’occupation sont plus dévastatrices, et nous sommes déjà épuisés, physiquement et mentalement. Personne ici ne peut supporter davantage de bombardements, de déplacements ou de pression ».
Sumeiri, comme beaucoup d’habitants de Gaza, pense que la récupération des captifs détenus par le Hamas n’est qu’un prétexte pour reprendre l’agression militaire. Il y voit plutôt une campagne délibérée de destruction et de déplacement forcé, aggravée par un blocus quasi total qui bloque l’aide humanitaire.
« La guerre a repris avec une férocité qui annonce une nouvelle phase d’extermination », a-t-il déclaré. « Nous sentons la mort s’approcher, qu’elle soit due à la famine ou aux bombardements. L’avenir est terrifiant. Il se peut que nous n’ayons d’autre choix que de fuir, même si nous sommes déterminés à rester ».
La dernière escalade d’Israël suit un schéma familier : des bombardements aériens intenses, suivis d’incursions terrestres, accompagnées de la fermeture des frontières et un blocus quasi-total de l’aide. La catastrophe humanitaire croissante – marquée par la famine, le manque de fournitures médicales et les déplacements – renforce la conviction que ces conditions sont conçues pour pousser les Palestiniens à l’exil permanent.
Une nouvelle offensive toujours plus violente
Israël a présenté ses dernières opérations militaires à Gaza comme une incursion terrestre « précise et limitée » visant à étendre les zones de sécurité et à établir une zone tampon entre les parties nord et sud de la bande de Gaza.
Parallèlement, le ministre israélien de la défense, Yisrael Katz, a adressé de sévères mises en garde aux habitants de Gaza, leur demandant de « rendre les soldats enlevés et de se débarrasser du Hamas. Sinon cela vous coûtera très cher. Ce qui vous attend sera bien pire », a-t-il déclaré.
Les analystes suggèrent que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu poursuit un plan à long terme, qui va au-delà des simples objectifs militaires. Selon l’expert en affaires israéliennes Ismat Mansour, tout le monde s’attendait à une escalade. Selon lui, Netanyahu n’a jamais eu l’intention de passer à la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu et a attendu le bon moment pour le faire capoter.
« Israël veut que les négociations se déroulent sous les bombes », a déclaré Mansour. « L’objectif est soit de forcer le Hamas à se soumettre, soit de poursuivre la campagne d’extermination ».
Mansour souligne également les facteurs géopolitiques plus larges qui entrent en jeu. « Toutes les conditions sont réunies pour une guerre prolongée : une armée israélienne restructurée, un establishment sécuritaire favorable, le soutien du gouvernement et le feu vert de Washington », a-t-il expliqué. « Il ne s’agit pas seulement des intérêts personnels de Netanyahu, des objectifs stratégiques sous-tendent la prolongation de la guerre ».
L’analyste politique Abdel Nasser Ferwana partage cet avis. Il pense que Netanyahu ne veut pas mettre en œuvre la deuxième phase du cessez-le-feu, qui prévoyait le retrait israélien de la bande de Gaza et des discussions sur la reconstruction. Il préfère escalader la guerre, en pariant que cela renforcera sa position politique et préservera sa coalition.
« Israël a recours aux frappes aériennes les plus intenses depuis le début de la guerre », note Ferwana. « L’objectif est de prendre le Hamas à revers, d’éliminer ses dirigeants et d’exercer une pression maximale pour obtenir un accord déséquilibré ».
Netanyahu exige que le Hamas et les autres factions remettent tous les captifs qu’ils détiennent, avant d’entamer des pourparlers en vue de la deuxième phase du cessez-le-feu, tout en refusant d’accorder la moindre concession aux Palestiniens.
Selon les analystes, les décisions de Netanyahu s’expliquent aussi par des calculs de politique intérieure. En reprenant la guerre, il s’assure le soutien de personnalités extrémistes comme le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir, qui avait conditionné son maintien à la reprise de l’action militaire.
Des préoccupations démographiques
Selon les analystes la stratégie militaire d’Israël est guidée par des considérations démographiques à long terme. L’historien politique Mohammed al-Astal décrit la phase actuelle comme un « processus brutal de déplacement de population », destiné à dépeupler systématiquement Gaza.
« L’objectif ultime d’Israël n’est pas seulement la victoire militaire, mais aussi l’ingénierie démographique », a déclaré al-Astal. « La guerre vise à réduire la présence palestinienne entre le fleuve et la mer, le déplacement forcé étant le mécanisme clé ».
Il affirme que la stratégie d’Israël suit toujours le même principe sioniste : « plus de terres, moins d’Arabes ». Les bombardements incessants et la famine délibérée de la population de Gaza servent d’outils pour pousser les Palestiniens à l’exil, par la force ou le désespoir.
« Occuper Gaza sans expulser sa population ne modifie pas l’équilibre démographique », explique-t-il. « C’est pourquoi ils déploient tous les moyens possibles – bombardements, famine et destruction systématique des infrastructures – pour pousser les Palestiniens à partir. »
Deux autres facteurs influencent également la stratégie à long terme d’Israël, selon al-Astal : le contrôle des réserves de gaz offshore de Gaza et le développement d’une nouvelle route commerciale entre la mer Rouge et la Méditerranée. Cette dernière, le plan du canal de Ben Gourion, est une alternative au canal de Suez égyptien et pourrait générer des dizaines de milliards de dollars de revenus pour Israël.
Une guerre sans fin
La guerre fait rage et les analystes prévoient qu’elle se poursuivra encore longtemps, à moins qu’une médiation internationale ne change la donne. L’armée israélienne semble déterminée à généraliser le modèle du « corridor de Netzarim », dans lequel les troupes découpent la bande de Gaza en sections isolées, rendant la gouvernance et les déplacements impossibles pour les Palestiniens.
Selon Al-Astal, l’avenir de Gaza s’annonce de plus en plus sombre. « Les Palestiniens de Gaza ne disposent d’aucun filet de sécurité régional ou international », a-t-il déclaré. « Pendant ce temps, Israël et son gouvernement d’extrême droite bénéficient du soutien illimité des États-Unis ».
Pour de nombreux habitants de Gaza, la survie elle-même est devenue un acte de résistance. « Préserver la présence de deux millions de Palestiniens ici est un exploit national », a souligné al-Astal. « Le coût sera énorme, mais il est bien moindre que la catastrophe d’un exil forcé ».
Alors qu’Israël se prépare à une guerre prolongée, la population de Gaza est confrontée à un choix existentiel : endurer des souffrances inimaginables ou partir pour toujours. Sans aucune solution en vue et sans aucune protection de la communauté internationale, ils sont pris au piège, entre le cauchemar de la guerre et le spectre de l’expulsion.
Auteur : Mohamed Solaimane
* Mohamed Solaimane est un journaliste basé à Gaza qui a signé des articles dans des médias régionaux et internationaux, se concentrant sur les questions humanitaires et environnementales.
20 mars 2025 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
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