Par Tareq S. Hajjaj
Israël a commencé à envahir Rafah, ordonnant l’évacuation de centaines de milliers de personnes. « Je ne me sens en sécurité nulle part à Gaza », déclare Saadi Salem à Mondoweiss alors qu’il tente de fuir Rafah. « La tuerie est présente dans tous les coins de la bande de Gaza. »
C’est une scène qui se répète sans cesse dans la ville de Rafah, au sud de Gaza, depuis le début de la guerre : des mères au visage triste et pâle portent leurs enfants sur leurs épaules, avec dans leurs mains ou sur leur dos de nombreux sacs, entourées d’autres enfants portant des sacs et des effets personnels… des hommes et des personnes âgées tirant des charrettes et des bagages volumineux.
Le peu qu’il reste de leurs maisons et de leurs biens les suivent maintenant tout au long de leur exode. Même s’ils n’ont nulle part où aller, ils sont descendus dans la rue à la recherche d’un endroit plus sûr à Rafah. Le seul endroit prétendument sûr restant.
Aujourd’hui, les mêmes scènes se déroulent à nouveau à Rafah, cette fois-ci, alors que les gens tentent de fuir le seul endroit qu’ils croyaient protégé. Alors que les gens descendent précipitamment dans les rues, les frappes aériennes israéliennes sont incessantes et touchent de multiples cibles dans la ville de Rafah.
Le 6 mai, Israël a lancé sa méthode habituelle de déplacement des civils à Gaza, cette fois-ci à Rafah. Les avions de guerre ont commencé à larguer des tracts au-dessus de la tête des gens, leur ordonnant de quitter leurs maisons et de se rendre dans des zones que l’armée présente comme sûres.
Et une fois de plus, lorsque les gens se sont tournés vers les zones dites moins dangereuses, ils ont vu des personnes et des maisons bombardées et prises pour cible.
L’armée d’occupation a commencé à ordonner à une grande partie de Rafah, toute la partie orientale de la ville, de quitter leurs maisons et de se rendre à l’ouest. Les tracts n’étaient pas le seul avertissement. Des bombes ont également été larguées dans la partie orientale de Rafah, terrorisant les habitants et semant la peur dans leur cœur, les forçant à fuir.
En outre, l’hôpital Muhammad Al-Najjar, situé à l’est de Rafah, a été l’une des zones dont l’armée a ordonné l’évacuation, les patients et le personnel médical étant évacués vers des hôpitaux de campagne situés dans d’autres parties de Rafah.
Au cours des derniers jours, les Palestiniens ont évacué la partie orientale de Rafah, où vivent au moins 250 000 Palestiniens, locaux ou déplacés, arrivés à Rafah depuis le début de la guerre. Ils sont venus sur ordre de l’armée qui leur demandait de se mettre prétendumet à l’abri et en sécurité à Rafah.
Bien qu’elle ait provoqué le déplacement immédiat d’environ 250 000 personnes, dans une ville qui compte aujourd’hui environ 1,5 million d’habitants, l’armée israélienne affirme que ses opérations à Rafah sont limitées et de faible ampleur.
Quelques heures à peine après le début de l’invasion, l’armée israélienne a également pris le contrôle du côté palestinien du point de passage de Rafah, le seul pont entre Gaza et le monde extérieur, l’un des seuls points d’entrée pour l’aide humanitaire, et de sortie pour l’évacuation des blessés et, pour certains, le seul moyen d’échapper au génocide.
Au moment de la publication de cet article, l’armée a imposé la fermeture complète du point de passage de Rafah pendant trois jours consécutifs, et des rapports indiquent qu’une fois ses « opérations » terminées, Israël « remettra » le point de passage à une société privée américaine.
Avec les tracts qui volent, les bombes qui tombent, les nouvelles « zones de sécurité » et les « itinéraires d’évacuation » qui se dessinent, et la fermeture du seul lien de Gaza avec le monde extérieur, plus d’un million de personnes, rien qu’à Rafah, se demandent une fois de plus : où irons-nous ?
Les gens s’enfuient vers nulle part
Saadi Salem, ses deux filles mariées, leurs enfants, sa femme et son fils marchent dans la rue Al-Awdah à Rafah, chacun portant un petit enfant, l’un de ses petits-enfants. Ils ont des sacs et des affaires – toute leur vie et leurs biens à l’intérieur. Ils vont avec tout ce qu’ils possèdent, essayant d’atteindre la zone d’Al-Mawasi à Rafah Ouest, sans savoir s’il y aura de la place pour eux lorsqu’ils y arriveront.
Trouveront-ils une place pour une tente et la monteront-ils à nouveau, ou resteront-ils exposés à l’air libre, comme des centaines de familles qui se trouvaient dans leurs maisons et qui ont été forcées de les quitter aujourd’hui ?
Al-Mawasi, qui est devenu un village de tentes surpeuplé dans le sud-ouest de Rafah depuis le début de la guerre, grossit de minute en minute. À chaque nouvel ordre d’évacuation, de nouvelles familles, comme les Salem, viennent chercher refuge dans la zone, même s’il n’y a pratiquement plus d’espace pour installer une nouvelle tente.
« Partout où nous allons, l’armée nous menace à nouveau, largue des tracts au-dessus de nos têtes et nous oblige à partir. Il n’y a plus d’espace pour vivre dans la bande de Gaza à cause de l’armée israélienne. Toutes les zones qu’ils disent être sûres aujourd’hui deviennent des zones de bombardement après un jour ou deux. Il n’y a donc nulle part où aller, et nous ne savons pas où aller maintenant », a déclaré Salem à Mondoweiss.
Salem et sa famille se dirigent vers un endroit qu’ils ne connaissent pas. Ils n’ont pas encore établi de plan précis, mais il pense qu’ils devraient au moins essayer la zone d’Al-Mawasi. S’il trouve de la place, lui et son fils pourront apporter le nécessaire pour monter une tente dans ce secteur.
« J’ai été déplacé de Khan Younis la première fois lorsque l’armée a averti les habitants, et si je n’avais pas été évacué, ma maison aurait été bombardée au-dessus de nos têtes », explique-t-il. « Je sais qu’il n’y a pas d’endroit sûr dans la bande de Gaza, et je sais que l’armée d’occupation nous trompe et nous ordonne de nous rendre dans une zone, puis la bombarde et nous ordonne de nous rendre dans une autre, mais nous faisons au moins une tentative pour la protection de nos familles et nous nous rendons aux endroits indiqués par l’armée », a-t-il ajouté.
« Je ne me sens en sécurité nulle part à Gaza ; la tuerie est présente dans tous les coins de la bande de Gaza. »
Le village de tentes d’Al-Mawasi déborde
L’armée israélienne a ordonné aux habitants de l’est de la bande de Gaza d’évacuer vers la zone d’Al-Mawasi, sur la côte méditerranéenne. Elle s’étend sur 12 km de long et un kilomètre de profondeur, depuis la zone de Deir al-Balah au centre de la bande de Gaza, en passant par la bande côtière de Khan Younis au sud, puis par la ville de Rafah.
Cette zone est divisée en deux régions géographiques. La première région appartient à la ville de Khan Younis, et la seconde à Rafah. La zone d’Al-Mawasi est une zone ouverte, non résidentielle. Elle est dépourvue d’infrastructures, de rues pavées, de réseaux d’égouts, d’eau, d’électricité, de communication et même d’Internet.
Avant la guerre, il s’agissait d’une zone de sable destinée à l’agriculture et à des serres. Avant la guerre, elle était habitée par 9 000 personnes travaillant dans la pêche et l’agriculture. Aujourd’hui, cette zone compte plus de 400 000 personnes déplacées.
Depuis le début de la guerre, les habitants du secteur d’Al-Mawasi vivent dans des conditions difficiles en raison de la proximité et de l’entassement de personnes et de personnes déplacées et de l’accumulation de déchets sur leurs lieux où ils sont installés.
Les conditions de vie à Al-Mawasi, les maladies qui s’y propagent rapidement et l’absence de toute forme de santé publique et de sécurité incitent de nombreuses personnes à ne pas aller s’y installer. Au milieu de la panique et de la peur qui règnent parmi les habitants de Rafah et de leur fuite vers des zones qu’ils souhaitent plus sûres, certains préfèrent rester pour des raisons qu’ils expliquent avec fierté.
Les familles prennent des décisions impossibles
Mahmoud Salim, 51 ans, vit avec sa famille et ses fils mariés dans sa maison du quartier Al-Salam de Rafah, où ils ont vécu toute leur vie. Il se trouve que c’est aussi l’un des quartiers dont les habitants ont reçu l’ordre de partir par l’armée. Mais Salim et sa famille ont décidé de rester.
La famille de Salim se compose principalement de femmes et d’enfants, et après avoir vu les conditions de vie des personnes déplacées vivant dans des tentes, il a estimé que ce n’était pas quelque chose qu’il serait capable de faire subir à sa famille.
Il est difficile pour une famille composée essentiellement de femmes et d’enfants de vivre pendant une période indéterminée dans une tente, dans un environnement malsain, plein de maladies, et sans les nécessités de base de la vie. Comme le dit Mahmoud, cela reviendrait à passer d’une mort à l’autre.
« Quitter sa maison pour la première fois signifie un voyage sans fin de déportation d’un endroit à l’autre, sans aucune garantie de pouvoir un jour rentrer chez soi », a-t-il déclaré à Mondoweiss.
Il sait cependant qu’en restant dans sa maison, entouré de bombardements incessants et de la nouvelle que d’autres qui ont décidé de rester ont été tués, cela pourrait aussi signifier la fin de sa famille. Mais après avoir été témoin des horreurs de ces sept derniers mois, c’est un choix qu’il est prêt à faire.
« Nous pourrions être pris pour cible et tués n’importe où dans la bande de Gaza, que ce soit chez moi ou dans la tente où l’armée d’occupation nous ordonne d’aller, mais je resterai chez moi », a-t-il déclaré. « Si nous survivons, je serai chez moi, et si je ne survis pas, je mourrai en défendant ma terre et ma maison, et il n’y a rien de plus honorable pour une personne que de mourir en défendant son pays. »
Il ajoute aux raisons qui le motivent à rester, qu’il ne croit pas aux mensonges de l’armée israélienne. Pour lui, que vous évacuiez ou non, Israël vous poursuivra.
Des bombes pour terroriser, en guise d’avertissement
Dans la ville de Rafah, les organisations humanitaires dirigées par les Nations Unies ont depuis longtemps mis en garde contre l’invasion israélienne désastreuse de la ville.
Malgré cela, l’armée israélienne a procédé aux premières étapes de l’invasion de Rafah, qui est habitée par environ 1,5 million de personnes, dont la plupart sont déplacées de l’ensemble de la bande de Gaza, et même à l’intérieur de Rafah.
La première phase de l’invasion, outre les ordres d’évacuation de la partie orientale de la ville, a également donné lieu à des bombardements intensifs de ces mêmes zones.
Les images qui nous parviennent de ces zones montrent des bâtiments dont les toits se sont effondrés les uns sur les autres, et des enfants morts coincés sous les décombres et entre les niveaux de ciment écrasé.
Cette semaine, une photo tragique est devenue virale sur les réseaux sociaux, montrant deux enfants écrasés entre deux niveaux d’une maison bombardée à Rafah. Sur la photo, il semble que l’un des enfants étende sa main sur la tête de son frère, comme s’il essayait de le protéger. Mais le plafond est tombé sur leurs corps, et tout ce qui est resté visible était la main du frère essayant d’aider son frère.
Ces scènes ont semé l’effroi dans tout Rafah, et beaucoup savent que c’est là le but de ces bombardements : créer des scènes tellement horribles que les gens sont obligés de fuir, de peur de subir le même sort.
Alors que l’armée affirme que le premier jour, elle a visé plus de 50 cibles militaires et du Hamas à Rafah, la réalité sur le terrain est que la majorité de ces raids visaient les maisons de civils, comme celle des deux enfants sur la photo.
L’armée israélienne s’empare du point de passage de Rafah et le verrouille
Les méthodes d’« alerte » à l’évacuation utilisées par l’armée israélienne comprennent également des tirs d’artillerie continus et aléatoires sur les zones qui ont reçu l’ordre d’être évacuées, ainsi que des « avions de reconnaissance » qui lancent des missiles sur des cibles mobiles.
Bien que l’incursion dans la ville n’ait pas encore commencé, l’armée israélienne a réoccupé la ligne Philadelphie, qui est la ligne frontalière entre la bande de Gaza et l’Égypte et qui s’étend sur 14 kilomètres.
Les chars ont pris d’assaut la ligne Philadelphie, ainsi que le point de passage de Rafah, et ont mené de vastes opérations de sabotage et de tir à l’intérieur du côté palestinien du point de passage de Rafah.
Les soldats israéliens ont publié des scènes provocantes dans lesquelles on les voit prendre d’assaut le point de passage de Rafah avec des chars, renverser un petit ferry sur lequel est inscrit le nom de Gaza, abattre des drapeaux palestiniens et hisser le drapeau israélien sur le point de passage de Rafah.
Depuis que l’armée israélienne a commencé son invasion de Rafah, le point de passage de Rafah a été complètement fermé, et le mouvement des passagers et l’entrée des camions d’aide humanitaire dans la bande de Gaza ont été stoppés.
La porte-parole de l’UNRWA à Gaza, Enas Hamdan, a déclaré que « le point de passage de Rafah représente le principal point d’entrée pour l’approvisionnement en nourriture, en médicaments et en carburant. Le maintien de sa fermeture entravera l’action humanitaire des équipes de l’UNRWA travaillant dans la bande de Gaza, qui contribuent à atténuer les conditions de vie difficiles de la majorité de la population de la ville de Rafah ».
« La plus grande inquiétude pour les prochains jours est que le passage ne soit pas rouvert ou que d’autres moyens d’acheminer l’aide ne soient pas trouvés », ajoute M. Enas.
Alors que des informations circulent sur l’intention d’Israël de faire appel à une société de gardiennage américaine pour gérer le point de passage, les responsables palestiniens ont déclaré qu’ils rejetaient cette proposition, contestant sa légitimité. La partie palestinienne considère toute force ou présence à la frontière avec l’Egypte – autre que les Palestiniens et les Égyptiens – comme une force d’occupation.
Les organisations palestiniennes de la bande de Gaza ont déclaré dans un communiqué commun : « Les organisations [de la résistance] n’accepteront d’aucune partie qu’elle impose une forme quelconque de tutelle sur le point de passage de Rafah et considéreront cela comme une forme d’occupation, et tout plan de ce type sera traité de la même manière que l’occupation israélienne. »
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
8 mai 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine