Par Heba Gowayeb
Israël a clairement annoncé son intention de forcer les Palestiniens à quitter Gaza et l’Égypte serait en train d’aménager un espace pour les accueillir. Les Palestiniens ont besoin d’être protégés de la brutalité d’Israël, mais leur déplacement massif dans le Sinaï serait une catastrophe.
L’Égypte construit un mur de six mètres de haut dans le Sinaï, près de la bande de Gaza, autour d’une zone de huit kilomètres carrés pour y confiner les Palestiniens de Gaza en cas d’exode massif.
Même si cela permettrait aux habitants de Gaza d’échapper temporairement aux incessants et iniques bombardements israéliens, leur déplacement massif dans le Sinaï serait une catastrophe en matière de droits humains.
Au cours des quatre derniers mois, Israël a entièrement détruit Gaza, assassiné plus de 29 000 personnes sous les bombes et privé sa population de deux millions d’habitants de nourriture et de médicaments.
Des manifestations au Caire et ailleurs ont appelé l’Égypte à ouvrir le point de passage de Rafah, la seule frontière de Gaza qui ne soit pas directement contrôlée par Israël.
Les autorités égyptiennes ont longtemps contribué au blocus israélien de Gaza en maintenant fermé le point de passage de Rafah plus souvent qu’il n’était ouvert, en expulsant et en démolissant les maisons et les entreprises des habitants du Sinaï pour créer une « zone tampon », et en inondant les tunnels qui constituaient une bouée de sauvetage pour les habitants de Gaza.
Depuis le 7 octobre, une quantité « terriblement insuffisante » d’aide a été autorisée à entrer et un nombre limité de personnes a pu sortir. Les gens collectent désespérément des fonds pour payer les milliers de dollars de pots-de-vin exigés par les autorités égyptiennes pour passer la frontière.
Il ne fait aucun doute que les habitants de Gaza devraient, comme tous les autres habitants de la planète, avoir le droit de de se déplacer librement pour se mettre à l’abri des bombardements. Or, l’enceinte construite à la frontière égyptienne ne leur apportera ni la sécurité, ni la liberté de mouvement.
La nouvelle de sa construction coïncide avec l’annonce par Netanyahu d’une offensive terrestre à Rafah, où vivent actuellement 1,1 million de Palestiniens qui sont arrivés dans cette soi-disant « zone de sécurité » après avoir été ordonnés de quitter le nord de la bande de Gaza sous 24 heures.
Le 13 octobre, au cours de ces mêmes 24 heures, le ministère israélien de l’intérieur a rédigé un document qui planifie la dernière étape du processus de nettoyage ethnique : le déplacement des deux millions d’habitants de Gaza vers le Sinaï égyptien.
À l’époque, Netanyahu a minimisé l’importance de ce document en le qualifiant de simple « document de réflexion ».
Le président égyptien Abdelfatah El-Sissi a également nié avec véhémence que l’Égypte accepterait de participer à un projet pareil, tout en suggérant que les Palestiniens pourraient être déplacés dans le désert du Néguev « jusqu’à ce qu’on en ait fini avec les combattants ».
Cependant, des rapports indiquaient que ce déplacement vers le Sinaï faisait l’objet d’entretiens diplomatiques secrets.
On ne peut pas savoir si l’Égypte construit le camp emmuré pour accueillir temporairement des réfugiés au cas où les habitants de Gaza prendraient la frontière d’assaut, comme cela est déjà arrivé une fois, ou si elle a l’intention d’obéir à une énième injonction sioniste au détriment de vies palestiniennes.
Ce que l’on sait, c’est que la frontière est fortement fortifiée et surveillée et que personne n’a réussi à la franchir de force depuis plus de dix ans.
Nous savons également que les Israéliens n’attachent aucune importance aux désirs ou aux protestations des autorités égyptiennes. Après tout, l’Égypte est farouchement opposée à l’offensive terrestre à Rafah. Elle a renforcé sa propre présence militaire à la frontière, et menace même de suspendre les accords de Camp David (ce qui est peu probable) si Israël va jusqu’au bout.
Au cours des quatre derniers mois, nous avons vu Israël classer systématiquement les civils qui ne voulaient ou ne pouvaient pas quitter leurs maisons, comme ceux qui sont restés dans le nord de Gaza après l’ordre de partir, dans la catégorie des « terroristes » convaincus de meurtres indiscriminés.
Si des Gazaouïs sont évacués vers le Sinaï égyptien pour être enfermés dans une nouvelle prison à ciel ouvert de l’autre côté de la frontière, rien ne garantit que ceux qui refusent de partir ou qui sont dans l’incapacité de le faire ne subiront pas le même sort.
Il est presque certain que l’Égypte, confrontée à sa propre crise financière et à des problèmes dans le Sinaï, n’a ni l’intention ni la capacité d’accepter de manière permanente les Palestiniens déplacés, mais Israël a toujours refusé avec véhémence le droit au retour des Palestiniens.
Selon l’UNRWA, il y a au moins 5,9 millions de réfugiés palestiniens dans le monde, les descendants de ceux que les milices sionistes ont chassés de leurs maisons entre 1946 et 1948 à coup de massacres et de déplacements forcés, pendant ce que les Palestiniens appellent la Nakba ou « catastrophe ».
En novembre, commentant le déplacement forcé des Palestiniens du nord de la bande de Gaza, un ministre israélien s’est vanté : « Nous sommes en train de mettre en œuvre la Nakba 2023 ».
Quand on a appris l’existence du « document de réflexion » portant sur le déplacement massif de Palestiniens, un porte-parole de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a déclaré que le déplacement des Palestiniens en dehors de la Palestine était une « ligne rouge » et que « ce qui s’est passé en 1948 ne sera pas autorisé à se reproduire ».
Le campement construit en Égypte, avec ses hauts murs de béton, n’a rien de chaleureux ni d’accueillant. Le déplacement, dont de nombreux habitants de Gaza ont déjà souffert au cours de leur vie, est une violence en soi.
Le gouvernement Sissi a systématiquement refusé aux réfugiés palestiniens de son pays les droits que son prédécesseur, le président déchu Mohamed Morsi, leur accordait, comme l’éducation et les soins de santé gratuits.
Bien qu’ils vivent en Égypte depuis des décennies ou même qu’ils y soient nés, ils sont soumis à des restrictions en matière de travail et n’ont pas droit à la citoyenneté.
La stabilité de l’Égypte est également en jeu. Le président Abel-Fatah El Sissi a bénéficié d’une grande popularité dans les années qui ont suivi son accession au pouvoir par un coup d’État en 2013, mais les Égyptiens seraient de plus en plus mécontents de lui, car ses dépenses somptuaires dans des mégaprojets destinés à satisfaire l’élite militaire et économique ont plongé le pays dans une grave crise économique.
La réticence de Sissi à défier l’État sioniste et son apparente complicité dans le blocus de Gaza qu’il serait en capacité de briser, irrite beaucoup d’Egyptiens qui n’apprécient pas d’être perçus comme participant au nettoyage ethnique des Palestiniens.
Quatre mois se sont écoulés depuis le début d’une campagne militaire qui compte parmi les plus destructrices de l’histoire récente. Elle a été marquée par une violence sans égale à l’encontre des civils, faisant de Gaza l’endroit le moins sûr au monde pour les enfants.
Les gouvernements du monde entier, y compris le gouvernement égyptien, doivent agir immédiatement pour que pas une vie de plus ne soit perdue. Que pas une personne de plus ne soit tuée ou déplacée de force. Que les Palestiniens aient le droit à l’autodétermination lors de la reconstruction, droit que seule la fin de l’occupation peut leur garantir.
Aucun de ces objectifs n’est atteint par le déplacement massif des Palestiniens de Gaza vers un camp ceinturé de béton armé dans le Sinaï égyptien.
Auteur : Heba Gowayeb
19 février 2024 – Mondoweiss – traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet