Par Yara Asi
Dans leur lutte contre le brutal régime d’occupation israélien qui les emprisonne injustement et les prive de leur autonomie physique, les prisonniers palestiniens ont recours à des grèves de la faim individuelles et collectives, écrit Yara M. Asi.
Ahmed Manasra n’avait que 13 ans lorsqu’il a été arrêté en 2015 et accusé d’avoir participé à une attaque à l’arme blanche dans une colonie israélienne de Jérusalem-Est. Il a été interrogé sans ses parents et sans avocat, et les rapports montrent qu’il a subi des « mauvais traitements » au cours de la procédure.
Bien que les tribunaux aient estimé qu’Ahmed n’avait pas participé à l’attaque, il a tout de même été reconnu coupable de tentative de meurtre en 2016, et il est en prison, parfois à l’isolement, depuis novembre 2021.
Par voie de conséquence, Ahmed souffre maintenant de dépression et de schizophrénie. « Il aurait dû être libéré il y a longtemps, et pourtant il continue de souffrir dans les prisons israéliennes », a déclaré le directeur d’Amnesty International pour la région MENA.
Ahmed est l’un des quelque 12 000 enfants palestiniens emprisonnés par Israël depuis 2000, et l’un des 4500 Palestiniens actuellement détenus dans les prisons israéliennes. Parmi ces prisonniers, plus de 500 sont en détention administrative (ce qui signifie qu’ils sont détenus sans procès ni même inculpation).
Les conditions de détention de tous ces prisonniers, indépendamment de leur âge ou de l’infraction commise, sont connues pour être cruelles et inhumaines.
Les rapports font état de torture (comme l’isolement et l’enchaînement prolongés, l’intimidation, les menaces, et la privation de sommeil), de fouilles à nu punitives, de cellules sales et surpeuplées, d’absence d’accès à un avocat ou à des membres de la famille, sans même toujours savoir pourquoi ils sont détenus.
Certes, beaucoup de ces rapports proviennent d’organisations palestiniennes ou internationales, comme Addameer (une association de soutien aux prisonniers palestiniens), Amnesty et Human Rights Watch, mais ils ont été confirmés par de multiples sources et groupes israéliens, y compris le Bureau de la défense publique d’Israël.
Pourtant, comme pour tous les aspects de l’occupation asphyxiante d’Israël, à part les appels lancés par des organisations de défense des droits de l’homme et les habituelles déclarations formelles de politiciens étasuniens, européens, ou autres, pour exprimer leur « préoccupation », les Palestiniens n’ont aucun recours contre ce système inique.
Selon les Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus de l’Assemblée générale des Nations unies, « Tous les prisonniers doivent être traités avec le respect dû à leur dignité et à leur valeur intrinsèque en tant qu’êtres humains », mais c’est loin d’être le cas des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui vivent sous occupation israélienne.
Ces Palestiniens ne peuvent pas voter pour changer les politiques israéliennes. Ils sont jugés par des tribunaux militaires israéliens (y compris les enfants), qui les condamnent presque toujours. Les familles doivent demander des permis israéliens pour rendre visite à leurs proches et ils se les voient souvent refusés.
En fait, l’emprisonnement de Palestiniens qui ne sont pas citoyens d’Israël dans les prisons israéliennes s’apparente à des transferts de population, en violation flagrante de l’article 49 des Conventions de Genève IV. En effet, il s’agit d’un système entièrement israélien, sur lequel les Palestiniens n’ont aucun contrôle, et illégal de surcroît.
La seule chose sur laquelle ces prisonniers ont un certain contrôle, c’est leur corps.
Ainsi, depuis des décennies, les prisonniers palestiniens se lancent dans des grèves de la faim individuelles ou collectives, une forme de résistance non violente, afin de protester contre leur traitement inhumain, d’attirer l’attention du public sur leur situation critique et de forcer leurs geôliers à respecter quelques-uns de leurs droits, telles que les visites de leur famille et de leurs avocats, les soins de santé et la relaxation.
Une telle action – porter atteinte à son intégrité physique pour obtenir de l’aide ou un sursis – est une conduite extrême, un acte de désespoir.
Bien sûr, les Palestiniens ne sont pas les seuls à avoir fait des grèves de la faim, de nombreux groupes marginalisés au cours de l’histoire y ont eu recours.
La différence, c’est qu’elles font partie intégrante de la résistance palestinienne du fait de la violence particulière que subissent les Palestiniens et de l’impunité dont jouit Israël malgré des décennies de violations bien documentées.
Comme l’a expliqué au New York Times un ancien prisonnier qui a fait une grève de la faim de 131 jours en 2021, « Il s’agit d’une vraie bataille, sauf qu’on se bat avec son estomac. »
Tout comme celles qui ont eu lieu tout au long de l’histoire, il est clair que les grèves de la faim sont à peu près les seules armes dont les Palestiniens emprisonnés disposent contre Israël.
Au début du mois, Khalil Awawdeh a mis fin à la grève de la faim de près de six mois qu’il avait entamée pour protester contre sa détention administrative.
Sa santé s’est considérablement détériorée. Les médecins ont signalé des lésions neurologiques et affirmé qu’il était en danger de mort.
Israël a finalement accepté de le libérer en octobre. Là encore, Awawdeh n’a jamais été accusé de quoi que ce soit.
Il est l’un des nombreux Palestiniens dont la grève de la faim s’est terminée par une libération, mais c’est au prix de leur santé que ces prisonniers ont gagné leur bataille, une santé qu’ils ne retrouveront jamais, notamment en raison de carences vitaminiques dues à la privation de nourriture.
Bien que le gavage soit reconnu comme une forme de torture, une loi israélienne adoptée en 2015 permet à un juge d’autoriser le gavage des prisonniers dans certains cas.
Cette politique a été largement condamnée, y compris en Israël, mais elle est soutenue par de multiples responsables militaires et politiques israéliens et même par des universitaires israéliens réputés, dont beaucoup se présentent comme des experts en santé et en éthique.
Cependant, selon un membre de la branche israélienne de Médecins pour les droits de l’homme, « ils ne se soucient pas du bien-être des prisonniers. Ils veulent juste qu’ils ne deviennent pas un symbole ou un martyr ».
Le sort des prisonniers palestiniens maltraités dans les prisons israéliennes n’est qu’un aspect de l’asservissement et de la violence que subissent les Palestiniens sous la botte de leur occupant.
Bien qu’une grève de la faim puisse amener les médias à parler d’un prisonnier particulier et puisse même aboutir à ce que ce prisonnier reçoive un meilleur traitement ou même soit libéré, en fin de compte ces grèves n’ont pas le pouvoir de changer le système qui contrôle leurs vies et auquel ils sont entièrement assujettis.
La première étape concrète qui permettrait à ces prisonniers, leurs familles et tous les Palestiniens d’obtenir justice serait que toute la structure israélienne de domination et de contrôle sur les Palestiniens, reconnue par un nombre croissant d’experts et d’entités juridiques et des droits de l’homme comme un apartheid, soit enfin obligée de rendre des comptes.
Auteur : Yara Asi
* Dr Yara M. Asi est une chercheuse post-doctorale à l'Université de Central Florida, où elle a enseigné au département de gestion de la santé et d'informatique pendant plus de six ans.Elle est une boursière américaine Fulbright 2020-2021 en Cisjordanie. Ses recherches portent sur la santé mondiale et le développement des populations fragiles et touchées par les conflits. Son compte Twitter.
23 septembre 2022 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet