Par Farah Najjar
L’implication de l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen n’a fait qu’aggraver la crise humanitaire, selon les analystes.
L’intervention militaire de l’Arabie saoudite au Yémen s’est révélée être un “échec stratégique”, mais un retrait complet et officiel de ce pays est peu probable, disent les analystes.
La semaine dernière, une série de courriers électroniques divulgués a révélé que le prince héritier et ministre de la défense de l’Arabie Saoudite, Mohammed bin Salman bin Abdulaziz Al Saud, avait exprimé le désir de mettre fin à la guerre au Yémen lors de discussions avec d’anciens responsables américains. Dans les courriels fuités, Mohammed bin Salman a déclaré qu’il “voulait sortir” de la guerre de deux ans qu’il a lancée au Yémen et qu’il n’était pas contre un rapprochement des États-Unis avec l’Iran pour mettre fin au conflit.
Adam Baron, un analyste du Yémen, affirme qu’une sortie saoudienne ne sera pas “complète” puisque la sécurité du royaume dépend en grande partie de la sécurité du Yémen.
“Oui, les Saoudiens aimeraient sortir de la guerre, mais seulement selon à leurs propres conditions”, estime Baron.
“Ce qui est en gros souhaité, ce serait un accord qui garantisse les intérêts saoudiens au Yémen, que l’armement lourd soit livré, la fin des attaques transfrontalières et que toute influence iranienne naissante n’ait pas le droit de perdurer, et encore moins de s’élargir”, explique Baron à Al Jazeera.
“Il est dans l’intérêt du royaume d’empêcher le Yémen de s’enfoncer encore davantage dans un abîme de chaos”.
A ce jour, le conflit a tué plus de 10 000 personnes et en a blessé plus de 40 000.
Mercredi, une attaque aérienne sur un hôtel près de la capitale du Yémen, Sanaa, a tué au moins 35 personnes, a déclaré un médecin local.
L’ONU accuse l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis
de soutenir des groupes armés au Yémen
Le Yémen a longtemps été le pays le plus pauvre du monde arabe, et il a déjà compté sur l’aide américaine et l’aide de ses voisins pour se maintenir à flot. L’inflation a empiré et les taux de chômage ont grimpé avant l’insurrection de 2011.
L’argent provenant des réserves de pétrole en diminution a été gaspillé ou volé lors du règne 33 ans du président Ali Abdullah Saleh. Un rapport de l’ONU de 2015 a mis en évidence la fortune accumulée de Saleh jusqu’à concurrence de 60 milliards de dollars, grâce à la corruption, l’extorsion et le détournement de fonds.
Après le renversement de Saleh, une guerre civile sanglante a éclaté entre les rebelles Houthis et les partisans du gouvernement internationalement reconnu du Yémen. En septembre 2014, les combattants Houthis ont pris le contrôle de la capitale, Sanaa, et ont avancé vers la plus grande ville du Yémen, Aden. En réponse à l’avancée des Houthis, une coalition d’États arabes dirigée par l’Arabie saoudite a lancé une campagne militaire en mars 2015, tentant ainsi de chasser les Houthis de Sanaa.
Une guerre qui est une catastrophe pour la population civile
La guerre a laissé plusieurs régions dans le besoin urgent d’assistance humanitaire et a permis à Al-Qaïda de s’installer durablement au milieu d’un vide de sécurité.
Le Yémen, qui abrite plus de 27 millions de personnes, est au bord de la famine et traverse une épidémie de choléra “sans précédent”. En se référant à la guerre dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen, l’ONU a lancé un cri d’alarme, disant que le pays se dirige vers un “effondrement total”.
À l’heure actuelle, plus de sept millions de personnes souffrent de la faim en raison des blocages frontaliers et de l’appauvrissement dû aux années de guerre, alors que près de 80% de la population dépend de l’aide humanitaire. Selon l’ONU, la plus grande crise humanitaire au monde est au Yémen.
La participation de l’Arabie saoudite a contribué à la crise humanitaire du pays, endommageant l’image de Mohammed Bin Salman à l’échelle internationale et régionale, explique Luciano Zaccara, chercheur en politique du Golfe à l’Université du Qatar. ***
La coalition autour de l’Arabe saoudite est-elle en échec au Yémen ?
“La critique croissante dans le monde contre les attaques de la coalition – considérées comme la principale raison derrière l’épidémie de choléra qui tue des milliers de civils – le sort inconnu des détenus et le blocus de l’aéroport de Sanaa et du port de Hudaida qui empêche l’approvisionnement humanitaire d’arriver aux zones contrôlées par les Houthis, rendent cette guerre très impopulaire”, dit Zaccara à Al Jazeera.
“Permettre à l’aéroport de Sanaa de fonctionner peut aider à diminuer une situation humanitaire critique, même s’il est encore entre les mains des Houthis. L’ouverture de l’aéroport permettra également à des milliers de personnes de quitter le pays pour bénéficier d’un traitement adéquat”, ajoute-t-il.
De même, un rapport confidentiel des Nations Unies mené par un groupe d’experts du Conseil de sécurité de l’ONU a conclu que la coalition continue d’avoir “peu d’impact opérationnel ou tactique sur le terrain”.
Bien que l’un des principaux objectifs de l’offensive dirigée par les Saoudiens était de remettre en poste Abd-Rabbu Mansour Hadi, le président internationalement reconnu qui est en exil depuis 11 mois, la réalité politique sur le terrain a réussi à diviser les partisans d’Hadi – certains d’entre eux se battant pour avoir une légitimité, selon le rapport.
Le sud a formé un “conseil politique concurrent … avec l’objectif déclaré d’un Yémen du Sud indépendant”, souligne le rapport. “Il [le conseil] comprend des fonctionnaires clés et des membres du gouvernement légitime”.
Le rapport poursuit en décrivant comment des milices armées par des membres de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite, poursuivent des objectifs particuliers – dont le résultat a encore affaibli la position d’Hadi.
Si un retrait “total ou partiel” saoudien devait se produire, dit Zaccara, l’Arabie saoudite devra veiller à ce qu’une solution politique appropriée soit mise en place pour préserver son image au niveau international.
“Bien que les Houthis puissent en bénéficier, il y a encore de fortes critiques sur le rôle [des Houthis] dans les régions qu’ils contrôlent et qui devrait être abordé”, dit-il encore. La participation de l’Arabie Saoudite a contribué à la crise humanitaire du pays, endommageant l’image de Mohammed Bin Salman tant sur le plan international que régional, explique Luciano Zaccara, chercheur en politique du Golfe à l’Université du Qatar.
Mais Yaseen al-Tamimi, analyste politique basée à Sanaa, n’imagine pas un retrait saoudien, le considérant comme “dangereux”.
“Une retraite signifie une défaite”, explique Tamimi. “Cela signifie aussi l’échec des objectifs que la coalition s’était donnés au Yémen. Le retrait de la coalition n’empêchera pas le Royaume saoudien de maintenir des frontières sous contrôle [avec le Yémen]”, dit-il à Al-Jazeera.
“Il n’y a pas de solution aisée qui puisse combler le vide dans cette nation ravagée par la guerre. Le gouvernement légitime du Yémen n’a pas les ressources suffisantes ni pour poursuivre la guerre ni pour la gagner”, ajoute Tamim.
Selon les rapports publiés, les forces Houthi-Saleh et les Emirats Arabes Unis – un membre de la coalition – continuent de d’imposer des modes de détention qui violent le droit international humanitaire et les normes relatives aux droits de l’homme.
Le rapport fait référence à des cas de disparitions qui portent atteinte aux libertés individuelles du peuple yéménite. Alors que les combattants Houthis continuent de faire taire les voix qui protestent, les Yéménites disent qu’une sortie saoudienne ne fera que renforcer l’emprise de Houthis.
“Les bénéficiaires de la sortie saoudienne sont les Houthis qui veulent gouverner le Yémen”, a déclaré à Al Jazeera Halah Mansr, étudiante vivant à Sanaa. “Mais nous ne nous soucions pas de savoir qui sera à la tête du pays au bout du compte. La paix est tout ce que nous voulons.”
“Même les zones qui ont été saisies par la coalition sont instables … Ce n’est pas un succès. C’est un revers pour la coalition – ils n’ont pas réussi militairement ou diplomatiquement [en apportant la stabilité au Yémen]”, ajoute Mansr.
Mais certains pensent que la fin de la guerre devrait être suivie d’autres étapes.
“Les Yéménites souffrent ici et à l’étranger. Quand ils [la coalition] se retireront, la vie changera pour le mieux”, dit à Al Jazeera, Leila Saleh, étudiante également.
“Je veux que la coalition se retire et, en même temps, qu’elle pousse les parties en conflit à des négociations de paix. Ce sera dans l’intérêt des Yéménites”.
Auteur : Farah Najjar
23 août 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine