Par Belen Fernandez
Alors qu’Israël poursuit ses machinations meurtrières contre les Palestiniens tout en menaçant régulièrement d’attaquer le Liban, les espoirs de paix dans la région sont minces.
En mai, les Israéliens célébreront le 70e anniversaire de leur « indépendance » – un euphémisme grotesque pour désigner l’opération de nettoyage ethnique et la création forcée de l’État d’Israël sur la terre palestinienne. Le processus a entraîné le massacre de quelque 10 000 Palestiniens, l’expulsion de 750 000 autres et la destruction d’environ 500 villages.
En attendant, en avril, on commémore également le 43e anniversaire d’un autre épisode régional terrible dans lequel Israël n’a pas joué un rôle mineur. Celui-ci porte le nom de « guerre civile libanaise », une affaire de quinze ans aux causes complexes et multiformes, allant d’une injustice socio-économique flagrante et d’une répartition disproportionnée du pouvoir politique et des ressources à des efforts de plus en plus féconds visant à canaliser le mécontentement populaire pour le transformer en un antagonisme sectaire.
Une réticence à demander des comptes
On considère généralement que la guerre civile a commencé le 13 avril 1975 – lorsque des phalangistes chrétiens de droite ont massacré 27 Palestiniens qui traversaient en bus Aïn el-Rammaneh, une banlieue de Beyrouth. À la fin de la guerre, environ 150 000 personnes avaient perdu la vie.
En outre, 17 000 personnes ont été portées disparues, tandis que les survivants au sein de leur famille ont été condamnés à une peine psychologique et à un chagrin continus en raison de la réticence de l’État libanais – à ce jour – à exhumer les fosses communes ou à demander aux responsables de répondre de leurs crimes. Après tout, une telle résurgence du passé aurait des implications évidentes pour les seigneurs de guerre civils qui restent au pouvoir.
Comme dans le cas du conflit actuel en Syrie, cependant, le terme de « guerre civile » peut presque être perçu comme un terme inapproprié dans le contexte libanais, compte tenu de l’ampleur de la participation extérieure.
De même, alors que de nombreux acteurs – étrangers et nationaux – ont une mare de sang sur les mains, il est utile de réfléchir au rôle d’Israël en particulier, ne serait-ce que pour souligner le fait que le terrorisme auquel Israël se livre habituellement au Moyen-Orient n’a absolument pas contribué à compromettre son rôle de meilleur ami et de prétendu partenaire dans la lutte contre le terrorisme de la superpuissance mondiale.
Sans l’ombre d’un doute, les contributions les plus notoires d’Israël en temps de guerre comprennent son invasion du Liban en 1982 – à ne pas confondre avec son invasion de 1978 ou d’autres folies meurtrières – au cours de laquelle l’armée israélienne ôta la vie à quelque 20 000 personnes, dont une majorité de civils. Faisant montre d’une générosité devenue une marque de fabrique, le secrétaire d’État américain Alexander Haig donna son feu vert à l’agression.
« Ils se sont consumés durant des heures »
Dans son ouvrage plébiscité Pity the Nation: Lebanon at War (Liban, nation martyre), le journaliste chevronné Robert Fisk raconte les suites du largage par Israël d’obus au phosphore sur Beyrouth-Ouest à l’été 1982, lorsque des patients « encore en feu » ont commencé à arriver à l’hôpital Barbir. Il cite Amal Shamaa, médecin, au sujet de jumeaux de cinq jours qui ont été amenés à l’hôpital : « J’ai dû prendre les bébés et les mettre dans des seaux d’eau pour éteindre les flammes. Lorsque je les ai sortis une demi-heure plus tard, ils brûlaient encore. Même à la morgue, ils se sont consumés durant des heures. »
Voilà pour la « pureté des armes ».
Toujours en 1982, des miliciens phalangistes soutenus par Israël ont massacré jusqu’à plusieurs milliers de civils dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth. Une commission d’enquête israélienne a déterminé que le ministre israélien de la Défense de l’époque, Ariel Sharon, était personnellement responsable des atrocités commises.
Dans un article consacré au massacre et écrit pour le site web Refugees Deeply, Swee Chai Ang – qui a été médecin bénévole à Sabra et Chatila et qui officie désormais en tant que chirurgienne orthopédique consultante au St Bartholomew’s Hospital et au Royal London Hospital, à Londres – nous rappelle certains de ces faits tristement marquants : « Les visages terrifiés des familles rassemblées par des hommes armés et attendant la mort, la jeune mère désespérée qui a essayé de me donner son bébé pour que je le mette en sécurité, la puanteur des corps en décomposition alors que l’on découvrait des fosses communes, les cris perçants des femmes qui découvraient les restes de leurs proches à travers des morceaux de vêtements et des cartes d’identité de réfugiés. »
Les Israéliens, qui nourrissaient depuis longtemps le fantasme de voir un régime chrétien ami s’installer au Liban voisin, étaient probablement aux anges lorsqu’ils ont constaté que leur haine des Palestiniens était partagée par les phalangistes libanais, entre autres. Peu importe que, comme l’a souligné Fisk, le fondateur des Phalanges ait bel et bien eu l’idée de son parti en s’inspirant des Nazis.
Le Hezbollah : un bouc émissaire commode
L’invasion de 1982 a également provoqué la formation du Hezbollah, qui a rapidement remplacé les Palestiniens en tant que « terroristes » transfrontaliers justifiant un terrorisme israélien de toute sorte, ce qui arrangeait bien les partisans de la guerre perpétuelle.
Suite à une offensive israélienne trop zélée sur le Liban en 1993, Noam Chomsky a écrit un long article dans lequel il cite un haut responsable israélien affirmant que le but de cette campagne était « d’effacer [certains] villages libanais de la surface de la terre » – une approche qui rappelle remarquablement le modus operandi d’Israël en Palestine.
Chomsky a profité de cette occasion pour évoquer l’occupation israélienne du sud du Liban, laquelle s’est poursuivie après la fin officielle de la guerre civile en 1990 avec l’aide d’une « armée mercenaire terroriste » connue sous le nom d’Armée du Liban Sud, un intermédiaire d’Israël qui supervisait la prison-centre de torture d’Israël dans le village de Khiam.
Plus significativement, cependant, Chomsky a souligné les motifs de l’invasion israélienne de 1982, qui, selon lui, n’avaient jamais été dissimulés en Israël, bien qu’ils soient classés “secrets” ici [aux États-Unis] ».
Un avenir sombre
D’après les déclarations de responsables et d’universitaires israéliens, l’offensive résultait essentiellement du fait que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), basée au Liban, « gagnait en respectabilité grâce à sa préférence pour les négociations plutôt que pour le terrorisme », expliquait Chomsky, et devait être contrainte à reprendre ses opérations terroristes pour ne pas « mettre en danger… la politique [israélienne] consistant à éviter une solution politique ».
Prenez, par exemple, l’affirmation subséquente du Premier ministre israélien Yitzhak Shamir selon laquelle la guerre était rendue nécessaire par « un terrible danger… pas tant militaire que politique ». Ou l’opinion de Yehoshafat Harkabi, un ancien chef du renseignement militaire israélien, pour qui l’invasion aurait dû être appelée « la guerre pour sauvegarder l’occupation [israélienne] de la Cisjordanie ».
Quarante-trois années se sont maintenant écoulées depuis le début de la guerre civile libanaise. Mais alors qu’Israël poursuit ses machinations meurtrières contre les Palestiniens – tout en menaçant régulièrement d’infliger l’apocalypse au Liban – il n’y a malheureusement pas de danger de paix.
Auteur : Belen Fernandez
* Belen Fernandez est l'auteur de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié par Verso. Elle est rédactrice en chef du Jacobin Magazine. Il est possible de la suivre sur Twitter: @MariaBelen_Fdez
13 avril 2018 – Middle East Eye – Traduction par VECTranslation