Par Ramzy Baroud
Il existe une guerre israélienne permanente, mais cachée, contre les Palestiniens, qui est rarement mise en évidence ou même connue. Il s’agit d’une guerre de l’eau, qui est menée depuis des décennies.
Les 26 et 27 juillet, deux événements distincts mais totalement liés se sont produits dans la région d’Ein al Hilweh, dans la vallée du Jourdain sous occupation, et près du village de Beita, au sud de Naplouse.
Lors du premier incident, des colons juifs de la colonie illégale de Maskiyot ont commencé à faire des travaux dans la source d’Ein al-Hilweh, qui a été une source d’eau potable pour les villages et des centaines de familles palestiniennes de cette zone. L’expropriation de la source se développe depuis des mois, le tout sous l’œil attentif de l’armée d’occupation israélienne.
Aujourd’hui, la source Ein al-Hilweh, comme la plupart des terres et des ressources en eau de la vallée du Jourdain, est annexée par Israël.
Moins de 24 heures plus tard, Shadi Omar Salim, un employé municipal palestinien, a été tué par des soldats israéliens dans le village de Beita. L’armée israélienne a rapidement publié un communiqué dans lequel, comme on pouvait s’y attendre, le Palestinien était responsable de sa propre mort.
La victime palestinienne s’est approchée des soldats d’une “manière menaçante”, tout en tenant “ce qui semblait être une barre de fer”, avant d’être abattue, a prétendu l’armée israélienne.
Si l’affirmation de la “barre de fer” est vraie, cela pourrait être lié au fait que Salim était un technicien de l’eau. En effet, l’ouvrier palestinien était en route pour ouvrir les tuyaux qui alimentent en eau Beita et d’autres zones qui sont proches.
Beita, qui a été témoin de nombreuses violences ces dernières semaines, est confrontée à une menace existentielle. Une colonie juive illégale, appelée Givat Eviatar, est en cours de construction au sommet de la montagne palestinienne Sabih, en arabe Jabal Sabih. Comme à chaque fois qu’une colonie juive est construite, la vie et les moyens de subsistance des Palestiniens sont menacés.
D’où les protestations palestiniennes en cours dans la région.
La lutte de Beita est une représentation de la lutte palestinienne au sens large : des civils non armés qui se battent contre un État colonial et ses colons qui veulent à tout prix remplacer un village ou une ville palestinienne par une colonie juive.
Il y a une autre facette à ce qui peut sembler une histoire typique, où l’armée israélienne et les colons juifs travaillent ensemble pour nettoyer ethniquement les Palestiniens : Mekorot.
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Cette dernière est une compagnie des eaux israélienne appartenant à l’État qui vole littéralement l’eau des Palestiniens et la revend à ces derniers à un prix exorbitant. Sans surprise, Mekorot opère également près de Beita.
L’ouvrier palestinien, Salim, a été tué parce que son travail, qui consistait à fournir de l’eau aux habitants de Beita, constituait une menace directe pour les projets coloniaux israéliens dans cette région.
Replaçons cela dans un contexte plus large. Israël ne se contente pas d’occuper la terre palestinienne, il en usurpe aussi systématiquement toutes les ressources, y compris l’eau, en violation flagrante du droit international qui garantit les droits fondamentaux d’une nation occupée.
La Cisjordanie occupée tire la majeure partie de son eau de l’aquifère de montagne, qui est divisé en trois aquifères plus réduits : l’aquifère occidental, l’aquifère oriental et l’aquifère nord-est.
En théorie, les Palestiniens ont de l’eau en abondance, du moins assez pour atteindre la quantité minimale requise de 102 à 120 litres par jour, comme le recommande l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans la pratique, cependant, c’est loin d’être le cas.
Malheureusement, Israël s’approprie directement la majeure partie de l’eau contenue dans ces aquifères. Certains appellent cela “captation d’eau” ; les Palestiniens l’appellent, et avec raison, un “vol”.
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Alors qu’en Israël, la consommation quotidienne d’eau par habitant est estimée à 300 litres, les colons juifs incrustés en Cisjordanie consomment plus de 800 litres par jour. Ce dernier chiffre devient encore plus scandaleux si on le compare à la maigre quantité dont bénéficie un Palestinien, soit 70 litres par jour.
Ce problème est accentué dans la “zone C” de Cisjordanie, pour une raison bien précise. La “zone C” représente près de 60 % de la superficie totale de la Cisjordanie et, contrairement aux “zones A” et “B”, elle est la moins peuplée.
Elle est principalement constituée de terres fertiles et elle comprend la vallée du Jourdain, connue comme le “grenier de la Palestine”.
Bien que le gouvernement israélien ait décidé, en 2019, de reporter son annexion formelle de cette zone, une annexion de facto est en vigueur depuis des années.
L’appropriation illégale de la source Ein al-Hilweh par des colons juifs illégaux fait partie d’un stratagème plus large qui vise à s’approprier la vallée du Jourdain, un dunum, une source et un colline à la fois.
Sur les plus de 150 000 Palestiniens vivant dans la “zone C”, près de 40 % – plus de 200 communautés – souffrent d’une “grave pénurie d’eau potable”.
Il est possible de remédier à cette pénurie si les Palestiniens sont autorisés à forer de nouveaux puits, à agrandir les puits actuels ou à utiliser les technologies modernes pour exploiter d’autres sources d’eau douce. Non seulement l’armée israélienne leur interdit de le faire, mais même l’eau de pluie est interdite aux Palestiniens.
“Israël contrôle même la collecte de l’eau de pluie dans la majeure partie de la Cisjordanie et les citernes de collecte d’eau de pluie appartenant aux communautés palestiniennes sont souvent détruites par l’armée israélienne”, concluait un rapport d’Amnesty International, publié en 2017.
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Depuis, la situation a encore empiré, notamment depuis que l’idée d’annexer officiellement un tiers de la Cisjordanie a obtenu un large soutien au sein de la Knesset et de la société israélienne.
Aujourd’hui, tous les mouvements de l’armée israélienne et des colons juifs en Cisjordanie visent à atteindre cet objectif, à contrôler la terre et ses ressources, à empêcher les Palestiniens d’avoir accès à leurs moyens de survie et, finalement, à les nettoyer ethniquement.
Les manifestations de Beita se poursuivent, malgré le lourd tribut payé. En juin dernier, un garçon de 15 ans, Ahmad Bani-Shamsa, a été tué lorsqu’une balle de l’armée israélienne l’a atteint à la tête. À l’époque, Defense for Children International-Palestine a publié une déclaration affirmant que Bani-Shamsa ne représentait aucune menace pour l’armée israélienne.
La vérité est que c’est Beita qui est sous la menace constante d’Israël, ainsi que la vallée du Jourdain, la “zone C”, la Cisjordanie et l’ensemble de la Palestine.
La résistance de Beita est une résistance pour les droits à la terre, à l’eau et aux droits humains fondamentaux. Bani-Shamsa et, plus tard, Salim, ont été tués de sang-froid simplement parce que leurs protestations étaient vues comme une gêne pour le grand dessein colonial israélien.
La sombre ironie de tout cela, c’est qu’Israël aime tout en Palestine : la terre, les ressources, la nourriture et même sa fascinante histoire… mais à l’exception de ses habitants : les Palestiniens.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
11 août 2021 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah