Par Ramzy Baroud
Dès que j’ai atterri à Rome, j’ai découvert que je n’avais plus accès à aucun média russe. Malheureusement, les menaces de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, selon quoi l’Europe devrait rompre tous les liens avec la « machine de propagande russe » ont été prises au sérieux par le gouvernement italien.
En tant que journaliste, n’avoir accès qu’à une seule face du récit de la guerre entre la Russie et l’Ukraine est un problème majeur. Comment développer une vue d’ensemble d’une question aussi complexe si l’on ne permet la diffusion que d’un récit unilatéral de la guerre ?
Bien entendu, le problème est général et a touché une grande partie de l’Europe dite « démocratique ». Le continent qui a souvent justifié ses interventions politiques et militaires dans les affaires d’autres parties au nom de la diffusion de la démocratie, ne respecte pas le principe le plus fondamental de la démocratie : la liberté d’expression.
Cette découverte m’a rappelé les récents commentaires de l’éminent intellectuel américain Noam Chomsky, qui m’a confié dans une récente interview : « C’est un niveau d’hystérie que je n’ai jamais vu, même pendant la Seconde Guerre mondiale ».
La position de l’Italie est toutefois particulière. Le fascisme y est apparu pour la première fois en 1921. Une sinistre alliance entre les forces fascistes et nazies en 1936 a contraint l’Italie fasciste à un combat existentiel, débouchant sur une coûteuse guerre civile. Hélas, à certains égards, l’Italie n’a pas encore totalement résolu son dilemme idéologique, malgré la défaite officielle des fascistes en 1945 et l’exécution qui a suivi de Benito Mussolini.
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De nombreux éléments suggèrent que le fascisme à l’ancienne n’a jamais été totalement éradiqué en Italie : la création du parti La Lega dans le nord de l’Italie dans les années 1980 et son ascension rapide vers les centres de pouvoir à Rome, associée au retour au corporatisme, précurseur idéologique du fascisme, sous le gouvernement de Silvio Berlusconi en 1994, et bien plus encore.
Lors d’une randonnée dans une montagne de la région du Latium, je suis tombé sur un village où de grands posters du jeune Mussolini étaient vendus aux touristes. J’ai été choqué, du moins au début, de constater que dans certaines régions d’Italie, l’héritage du fascisme reste un sujet très émotionnel. En effet, pour certains, c’était l’âge d’or de l’Italie moderne.
C’est pourquoi il est très inquiétant d’être témoin de l’horrible censure en cours en Italie et dans d’autres pays européens. Bien que les politiciens italiens traditionnels refusent de reconnaître que le gouvernement de Rome adopte de nombreux traits fascistes qui ont caractérisé le pays il y a un siècle, les faits suggèrent le contraire.
Comme toute autre idéologie, le fascisme est constamment redéfini et réinterprété. Mais les éléments fondamentaux des tendances fascistes – l’influence croissante des entreprises et des oligarques, la censure des médias, la répression de la dissidence et l’importance excessive accordée au militarisme et aux symboles nationalistes – restent inchangés.
Le retour de l’Italie au « corporatisme » n’est pas un cas unique, si l’on prend en compte les changements structurels politiques en cours dans d’autres sociétés occidentales « libérales ». Toutefois, le caractère unique du modèle italien ne peut être dissocié des conflits historiques et de la dynamique politique actuelle du pays.
Si l’on considère le rôle des forces socialistes en Italie dans la défaite du fascisme au cours de la première moitié du 20e siècle, on peut être surpris de constater que les courants politiques socialistes ont aujourd’hui nettement moins d’influence dans la politique italienne, surtout si l’on considère le degré d’inégalité de classe et de pauvreté dans une grande partie du pays.
La confédération italienne des syndicats (sindacati confederati), qui est, du moins en théorie, censée conduire une « lutte des classes » pour l’égalité des droits, a elle-même adopté le modèle d’entreprise existant, devenant ainsi, selon les termes de l’ancien responsable politique italien Gianfranco Borghini, le « maillon faible du système économique ».
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Ceux qui osent agir en dehors de l’espace alloué aux sindacati confederati, s’engageant ainsi dans leur propre vision de la lutte des classes, s’exposent au danger de représailles gouvernementales. Le 19 juillet, par exemple, les dirigeants nationaux du syndicat SI COBAS, Mohammed Arafat, Carlo Pallavicini et Bruno Scagnelli, ont été arrêtés et accusés de : « Conspiration en vue de commettre des violences individuelles, de résistance à un agent public, de sabotage et d’interruption du service public ».
Les responsables politiques romains n’hésitent pas à trahir l’esprit de la Constitution italienne antifasciste – l’une des plus progressistes au monde – qui stipule clairement que « l’Italie rejette la guerre ». Des centaines de millions de dollars ont été envoyés ou promis par Rome pour soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie.
Les politiciens italiens, qui se préparent maintenant à une nouvelle élection générale prévue pour le 25 septembre, sont fortement investis dans la rhétorique de guerre anti-russe, et tiennent donc à se présenter comme les sauveurs de l’Italie.
Désespérant de gagner des voix, l’actuel ministre italien des affaires étrangères, Luigi Di Maio, a récemment dénoncé une prétendue tentative d’ingérence de Moscou dans les élections italiennes. Il a accusé ses rivaux de « garder le silence » sur la supposée ingérence russe – un langage qui rappelle des années de marchandage entre politiciens américains.
L’Italie n’est pas une exception. D’autres pays européens lui emboîtent le pas en matière de rhétorique nationaliste et de militarisme croissant, l’Allemagne, en particulier, s’apprêtant à avoir la plus grande armée européenne.
Tout cela alimente les phénomènes populistes et racistes préexistants qui, avant la guerre, étaient largement consacrés à cibler les réfugiés et les immigrants.
Alors que les politiciens sont souvent prêts à exploiter n’importe quel événement pour accéder ou rester au pouvoir, l’Europe doit faire preuve de prudence en réfléchissant à son passé, à savoir que le nationalisme et le populisme extrêmes sont susceptibles de mener à quelque chose de vraiment sinistre et potentiellement destructeur.
À bien des égards, la Seconde Guerre mondiale a été le résultat d’une réalité similaire.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
3 septembre 2022 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah