Par Amena el-Ashkar
Dans une longue et importante interview, le représentant Osama Hamdan expose la vision du Hamas pour maximiser les résultats politiques de la guerre, y compris les appels à des élections démocratiques, les demandes de reprise des négociations sur la question des prisonniers et les motivations de l’offensive du 7 octobre.
Alors que les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux discutent de la possibilité d’installer une administration alternative dans la bande de Gaza, dans la foulée de l’assaut israélien en cours, éventuellement avec l’Autorité palestinienne à sa tête, le Hamas lance maintenant sa propre vision alternative de la réalité de l’après-guerre à Gaza.
Cette vision inclut la tenue d’élections palestiniennes démocratiques dès le lendemain du conflit et a été exposée lors d’un échange important avec Osama Hamdan, le principal représentant du Hamas au Liban.
S’adressant à Mondoweiss, Hamdan a souligné l’importance de l’autodétermination palestinienne à la suite de l’assaut actuel sur Gaza, en plus de plusieurs autres sujets, y compris les exigences du Hamas avant de reprendre les négociations sur un échange de prisonniers, la motivation du groupe de résistance pour l’opération « Déluge d’Al Aqsa », et la façon dont la politique régionale a été remodelée dans le sillage de l’offensive du 7 octobre.
Des élections démocratiques pour une équipe dirigeante palestinienne
Suite aux combats à Gaza, Hamdan déclare que des efforts doivent être faits pour « reconstruire la maison palestinienne interne ».
« Compte tenu des sacrifices consentis par le peuple palestinien, celui-ci a droit à une direction engagée dans la résistance et dans l’objectif ultime de la libération de la Palestine et du retour des réfugiés », a déclaré M. Hamdan à Mondoweiss.
« Avec une variété de moyens à notre disposition, le scénario idéal implique que le peuple palestinien élise ses propres dirigeants. Nous faisons confiance à notre peuple pour qu’il fasse le choix de la résistance. Le scénario idéal pour le Hamas est celui d’une élection nationale palestinienne. »
Cet appel à des élections démocratiques est la première déclaration claire depuis le début de la guerre invoquant un processus politique intra-palestinien, appelant à la rupture du statu quo imposé par la domination permanente d’un parti unique.
« Chaque parti qui aspire à diriger doit être tenu pour responsable », a poursuivi M. Hamdan. « S’ils réussissent, ils seront validés par le vote du peuple ; s’ils échouent, ils seront jugés dans les urnes. Il n’est pas certain que le Hamas gagne toujours. L’élection d’un parti par le peuple, dans le cadre d’un processus équitable et démocratique, doit être respectée par tous comme étant la volonté du peuple palestinien. »
Depuis des années, Israël prétend que l’absence d’une direction palestinienne unifiée et légitime constitue un obstacle majeur à la recherche d’une solution politique, ce qui signifie qu’Israël a toujours eu intérêt à perpétuer la désunion palestinienne.
La proposition du Hamas peut ainsi être considérée comme un moyen d’exercer une pression politique sur Israël tout en affirmant le maintien de la présence politique du Hamas dans la scène politique palestinienne.
« La perspective d’une unité palestinienne est aujourd’hui prometteuse », a déclaré M. Hamdan. « Tout d’abord, la résistance affronte activement l’occupation, renforçant l’idée que la résistance est la seule solution viable. Pendant ce temps, l’occupation ne tient aucun compte de l’Autorité palestinienne [AP], qu’elle considère comme inexistante, et elle est directement engagée à Gaza. Ainsi, toutes les parties sont en conflit avec l’occupation, ce qui constitue un terrain d’entente pour l’unité ».
« Deuxièmement, les sacrifices consentis par le peuple palestinien imposent un devoir à chacun », poursuit M. Hamdan. « Ceux qui n’ont pas de responsabilité nationale ignoreront cette effusion de sang, mais ceux qui ont des intérêts nationaux tiendont compte de ces massacres et s’efforceront de mettre fin à la division palestinienne. Et Troisièmement, la stratégie consistant à soutenir Israël pour dominer la vie des Palestiniens perd du terrain. Actuellement, le discours évolue vers un État palestinien, même si c’est sur une partie de notre terre historique, alors que celle-ci nous appartient entièrement. »
Ce qui est le plus remarquable dans la position de M. Hamdan, c’est l’accent mis sur la nécessité d’un État palestinien sur une partie de la Palestine historique, même si cela ne signifie pas la libération totale de toute la Palestine.
Pourtant, sa rhétorique politique semble refléter une volonté d’accepter une telle entité politique, que ce soit dans le cadre d’une trêve à long terme ou d’un arrangement temporaire.
« Pour y parvenir, il faut une unité palestinienne, une opportunité que nous devons saisir pour résoudre notre division. Nous croyons fermement qu’il s’agit d’une véritable chance pour l’unité. Nous espérons que ceux qui ont longtemps privilégié les consensus adopteront désormais cette logique. »
Toutefois, M. Hamdan a également souligné que « nous ne discutons pas [de la question de] l’unité avec l’AP, mais avec l’ensemble des forces et des organisations politiques palestiniennes. L’AP est une institution qui a émergé dans des conditions spécifiques, distinctes des organisations qui représentent des segments de la population palestinienne. Il est indéniable que chaque organisation palestinienne active sur le terrain a ses partisans ; sinon, elle aurait disparu de notre paysage politique ».
Ce faisant, M. Hamdan a reconnu la légitimité politique du Fatah, le parti au pouvoir en Cisjordanie, ainsi que des organisations et forces politiques palestiniennes.
Pas de négociations tant que l’agression n’aura pas pris fin et que le siège n’aura pas été levé
Après plus de dix semaines d’attaques israéliennes contre la population de Gaza et les organisations palestiniennes du territoire assiégé, le Hamas continue de rejeter fermement la dernière offre d’Israël d’une nouvelle trêve humanitaire temporaire en échange de la libération d’un certain nombre de prisonniers israéliens.
Ce rejet est conforme aux exigences palestiniennes depuis la reprise des hostilités après la fin du premier cessez-le-feu temporaire, comme l’ont exprimé plusieurs hauts responsables du Hamas et du Jihad islamique palestinien (PIJ).
Lors d’un entretien avec Mondoweiss, M. Hamdan a précisé que toute discussion sur la libération de prisonniers israéliens ne reprendrait pas avant la fin de la guerre israélienne contre Gaza.
« Il est prématuré de parler de reprise des négociations », a déclaré M. Hamdan. « Discuter des détails des négociations sur les prisonniers est actuellement prématuré. La première étape consiste à mettre fin à l’agression israélienne contre Gaza, à lever le siège et à entamer le processus de reconstruction. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons envisager d’autres étapes ».
La déclaration de M. Hamdan est la première à exiger explicitement la fin du siège et le lancement de la reconstruction de Gaza comme condition préalable à la reprise des pourparlers.
Les motivations du 7 octobre et les réactions à la réponse internationale
Hamdan a également affirmé que la raison de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » était de réinsérer les Palestiniens dans le discours régional sur l’avenir de la Palestine.
M. Hamdan a expliqué que les attaques du 7 octobre menées par le Hamas n’étaient pas des incidents isolés, mais une réponse à une dynamique géopolitique plus large.
Il a souligné que l’alignement de l’Europe et des États-Unis sur les actions israéliennes a contribué à créer un sentiment d’abandon chez les Palestiniens, exacerbant leur situation difficile sous l’occupation et l’oppression.
Ce sentiment a été intensifié par la faible réaction internationale aux politiques du gouvernement israélien d’extrême droite à l’égard des Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem.
Selon M. Hamdan, l’ensemble de ces facteurs a contribué à l’absence de perspectives politiques pour les Palestiniens et a joué un rôle clé dans la décision du Hamas de mener l’offensive.
« Certains pensent que les attaques [du 7 octobre] ont été lancées principalement pour paralyser les efforts de normalisation entre l’Arabie saoudite et le gouvernement israélien, ce qui est exagéré », a expliqué M. Hamdan.
« La raison principale est la montée en puissance d’un gouvernement sioniste religieux d’extrême droite qui a effectivement tenté de mettre fin à la question palestinienne en mettant en œuvre un plan global qui efface tous les aspects de la cause du peuple palestinien. »
« Cette évolution a été accueillie par le silence et même le soutien des États-Unis et de l’Europe », a expliqué M. Hamdan. « Par conséquent, il était nécessaire de prendre des mesures significatives, non seulement pour ramener la question palestinienne sous les feux de la rampe, mais aussi pour la rétablir en tant que lutte d’un peuple cherchant en premier lieu sa propre libération et son autodétermination. C’est ce qui explique l’ampleur de l’action, qui vise à replacer la cause palestinienne à sa place légitime et naturelle dans le discours ».
« La tentative de représenter [l’offensive] comme une manifestation d’hostilité… envers l’Arabie saoudite est une fausse représentation, comme s’il s’agissait d’un conflit au interne à la population de la région », a affirmé M. Hamdan. « Le péril de la normalisation réside dans les efforts déployés pour éluder la question palestinienne, et le rétablissement de cette question… affectera de manière significative les projets qui y sont liés. Toutefois, il est exagéré de prétendre que la résistance a lancé l’opération dans le seul but de mettre un terme à la normalisation ».
En outre, M. Hamdan a affirmé que si le 7 octobre a sapé la normalisation, « cela indique que la normalisation n’était pas la ligne de conduite appropriée ». En d’autres termes, la normalisation, selon M. Hamdan, « représente un comportement contre nature, soulignant que l’occupation est instable et peu fiable ».
Si M. Hamdan s’est félicité des manifestations qui ont eu lieu en Europe, le mouvement reste réaliste quant à leur impact, reconnaissant que ces manifestations, bien qu’elles façonnent l’opinion publique, n’entraîneront probablement pas de changements stratégiques dans les politiques gouvernementales à l’égard d’Israël.
Néanmoins, M. Hamdan estime que ces manifestations pourraient jouer un rôle dans la manière dont les gouvernements abordent et gèrent le conflit. En témoigne la façon dont certains gouvernements européens ont revu leur position à l’égard d’un cessez-le-feu, ce qui pourrait être attribué au tollé général suscité par les actions israéliennes à Gaza.
La dynamique régionale
En ce qui concerne la dynamique régionale, le mouvement Hamas a constaté une évolution complexe de la réponse arabe officielle, influencée par de nombreux facteurs qui ont continué à modifier les positions.
M. Hamdan souligne qu’au départ, certains États ont été influencés par la version américaine des événements du 7 octobre, mais que la gravité des actions israéliennes et l’évocation de l’expulsion potentielle des Palestiniens de Gaza ont agi comme des catalyseurs essentiels pour le changement.
M. Hamdan estime que « le changement de la position officielle du monde arabe a été principalement motivé par la résilience de la résistance et, deuxièmement, par les souvenirs obsédants de l’expulsion des Palestiniens en 1948, un événement historique qui a conduit au début de la lutte armée ».
« Ces souvenirs trouvent un écho profond dans les pays limitrophes, qui ne souhaitent plus être confrontés à des situations similaires », précise M. Hamdan. « L’éventualité de politiques susceptibles de conduire à une nouvelle expulsion de Palestiniens constitue une ligne rouge pour ces nations. Nous apprécions le fait que leurs gouvernements se soient opposés à tout effort visant à faciliter de telles expulsions ».
Il observe en outre une évolution positive de la position arabe, qu’il considère comme un changement bienvenu par rapport à « l’opposition explicite de certains États à la résistance lors de l’incursion israélienne de 2014 à Gaza. Cela reflète une réponse évolutive et nuancée des différents acteurs régionaux à la situation à Gaza. »
Abordant la relation entre le mouvement et le Hezbollah, Osama Hamdan a affirmé le lien stratégique entre les deux groupes, reconnaissant le soutien significatif du Hezbollah au sud du Liban pour le front de Gaza.
« Certains attendaient davantage du Hezbollah, et nous apprécions les attentes élevées placées dans le parti, mais nous comprenons qu’il opère dans des circonstances spécifiques », a noté M. Hamdan. « Néanmoins, le Hezbollah a réussi à créer un sentiment d’incertitude pour les gouvernements américain et israélien, laissant entendre qu’une escalade pourrait se produire à tout moment. L’armée israélienne est confrontée à l’appréhension de conflits potentiels dans le nord tout en s’engageant à Gaza. »
« Un autre aspect critique a été l’infiltration en Palestine occupée de Palestiniens du Hamas et du Jihad islamique basés au Liban », a ajouté M. Hamdan. « Bien que l’impact ait été minime, il a envoyé un message fort : la résistance au Liban s’engage activement à défendre le droit des réfugiés à retourner dans leur patrie et à œuvrer en ce sens. Il s’agit d’un message important et, bien que son impact actuel puisse être limité, je pense qu’il influencera considérablement l’évolution future du conflit ».
M. Hamdan a également salué le rôle du Qatar dans la médiation du conflit, en louant son sérieux et son impartialité. Il a souligné l’efficacité du Qatar dans la transmission des positions et la facilitation du dialogue, en insistant sur sa résistance aux influences extérieures.
Il a notamment apprécié la manière dont les médiateurs qataris, ainsi que leurs homologues égyptiens, ont abordé les violations israéliennes pendant les cessez-le-feu et compris la position du Hamas, en particulier lorsque ce dernier a rejeté certaines propositions israéliennes.
M. Hamdan a noté que les médiateurs qataris n’ont pas exercé de pression excessive sur le Hamas et ont maintenu une approche équilibrée, en se concentrant sur le dialogue et les perspectives d’avenir sans céder aux injonctions israéliennes ou américaines.
L’autodétermination palestinienne
Dans la guerre en cours à Gaza, le gouvernement israélien va probablement passer à une stratégie caractérisée par des opérations de combat dites « chirurgicales » et de plus faible intensité.
Au milieu de ces changements tactiques, une question importante demeure quant à l’avenir de Gaza, une question à laquelle le Hamas, contrairement à Israël et aux États-Unis, semble prêt à répondre par une approche déterminée : la promotion d’élections démocratiques.
Cette proposition s’aligne sur les principes universellement reconnus de l’autodétermination palestinienne.
Plus important encore, le discours politique du mouvement Hamas montre désormais une volonté claire de relancer le mouvement national palestinien dans le cadre d’élections et d’une unité nationale, ce qu’il considère clairement comme déterminant pour maximiser les résultats politiques de la guerre.
Auteur : Amena el-Ashkar
* Amena El-Ashkar est une journaliste et photographe qui vit dans le camp de réfugiés de Burj al-Barajne à Beyrouth.
21 décembre 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine