Comment pourrais-je jamais oublier ce matin du 20 octobre 2024 ? Comment pourrais-je effacer l’horrible spectacle gravé dans ma mémoire – les têtes coupées sur le pas de la porte, une flaque de sang à l’entrée ?
Quatorze vies innocentes – enfants, femmes, jeunes hommes – furent arrachées en un instant, ne laissant derrière elles que silence et désespoir. Est-ce là la justice que nous sommes condamnés à subir à Gaza ? Est-ce là notre destin de nous réveiller chaque jour dans le carnage, tandis que d’autres se réveillent dans la paix ? Ne méritons-nous pas de goûter la joie simple d’une matinée paisible, à prendre le petit-déjeuner avec nos enfants, libres de toute peur ?
Ou bien le monde se satisfait-il de nous regarder vivre piégés dans ce cauchemar sans fin ?
Nuits après nuits, je n’ai pu dormir, hantée que j’étais par les massacres sans fin dans le nord de Gaza. Les cris des victimes me transpercent encore l’âme, et les rivières formées par leur sang constituent un cauchemar dont je ne peux m’échapper. Comment puis-je fermer les yeux quand ces souvenirs déchirants me hantent l’esprit.
Chaque nuit la terre tremble sous le bruit assourdissant des bombes israélienne, et chaque matin ce n’est pas la paix qui nous accueille, mais les nouvelles accablantes de vies supplémentaires perdues.
Une nuit en particulier a été insoutenablement rude. L’épuisement m’a terrassée. Après des heures à soutenir la peur qui s’était emparé de mon corps, j’ai finalement sombré dans le sommeil à sept heures du matin. Mais je me suis réveillée peu de temps après, en sursaut et le souffle court, envahie par une seule question lancinante : Qui était le martyr la nuit dernière ? Un voisin ? un ami ? Ou un être cher ?
J’étais près de la fenêtre, faisant défiler les nouvelles sur mon téléphone, quand le tonnerre d’une explosion soudaine a rugi si près de moi que l’air s’est rempli d’une poussière suffocante, me forçant à fermer les yeux. Je faisais des efforts considérables pour les ouvrir, voulant désespérément voir à travers le chaos, pour comprendre où la destruction avait frappé. Mais tout ce que je ressentais c’était le poids de la terreur.
Deux minutes plus tard, j’ai finalement réussi à regarder par la fenêtre, et ce que j’ai vu dépassait tout ce que je n’avais jamais pu imaginer. Des têtes coupées et des corps démembrés, des membres éparpillés partout, et les rues qui retentissaient des cris de personnes horrifiées par l’atrocité. La scène était si terrifiante, l’odeur du sang saturait l’air, le sang de ceux qui avaient été abattus sans état d‘âme. *
Ma famille a essayé de nettoyer l’entrée de la maison, mais l’incident nous a laissés en état de choc,
jamais aucun de nous n’avait vu une horreur pareille.
J’ai vu une mère et ses enfants, tous décapités. La petite fille tenait toujours un biscuit à la main, mais elle avait été mise à mort, et le biscuit reposait entre ses doigts tachés de son sang.
Un autre enfant circulant à bicyclette quelques instants auparavant, n’avait pu finir sa course, sa vie lui ayant été volée en un éclair.
Et puis il y avait quelques jeunes hommes, dont la vie avait été abrégée tandis qu’ils rentraient à pied chez eux pour rejoindre leur famille. C’était comme si la mort était venue les chercher, et il n’y avait pas d’échappatoire.
Ce n’était pas le premier massacre à avoir lieu dans la rue où je vis, mais c’était sans aucun doute le plus effroyable. Nous étions entourés par les Forces d’Occupation israéliennes de tous côtés, piégés dans un cauchemar qui semblait sans fin. Il était impossible de bouger, de se déplacer sous leur surveillance, pourtant certains du quartier n’avaient pas d’autre choix que de s’aventurer dehors en quête de nourriture pour leurs enfants.
Nous avons entendu parler d’une personne qui a été descendue instantanément dans la rue, visée par le tir impitoyable d’un char israélien. Et comme si ça ne suffisait pas, le char n’a pas seulement mis fin à sa vie, il s’est aussi dirigé vers son cadavre, et l’a écrasé sous ses chenilles dans un acte de violence barbare.
Le jour est arrivé où l’eau potable que ma famille et moi-même buvions s’est tarie, nous ne pouvions sortir pour chercher à nous réapprovisionner parce que la peur nous maintenait captifs. Mettre un pied dehors était impensable, quiconque osait le faire était certain d’aller à la mort.
Face à cette terreur, nous n’avions pas d’autres choix que de boire de l’eau contaminée, et ceci pendant onze jours insoutenables. Nous avions déjà subi quatre sièges auparavant, mais celui du mois d’août a été le plus cruel de tous ,nous laissant totalement dépourvus d’eau potable saine.
Pendant le siège brutal du nord de Gaza, imposé par l’occupant israélien, nous calfeutrions toutes les fenêtres et chaque éventuelle ouverture avec la précision du désespoir, sachant que s’ils découvraient notre existence, nous serions tués sur le champs.
Je n’oublierai jamais le jour où nous avons entendu les cris déchirants d’une famille dont la présence a été trahie par les gémissements innocents d’un petit enfant. Les soldats israéliens faisaient sortir de force certains de leur maison, tandis qu’ils en tuaient d’autres sans pitié.
L’occupant israélien avait une méthode impitoyable de fouiller les maisons – arroser chacune d’elles d’un déluge implacable de tirs de char qui déchiraient les murs, les détruisant totalement comme s’ils n’avaient jamais existé.
Nous avons passé des heures interminables à plat ventre sur le sol, transis de peur, incapables de bouger, nous accrochant désespérément à la vie au milieu du chaos et de la terreur.
Je souffre toujours de ces nuits cruelles, me réveillant avec la nouvelle déchirante de la perte d’êtres chers.
A chaque instant, je m’accroche à l’espoir désespéré d’un cessez-le-feu, la possibilité que cessent ces massacres atroces. J’aspire à voir mes proches et mes amis, ceux dont je suis séparée depuis plus de quatorze mois, désirant ardemment être réunis, ce qui semble un rêve lointain.
Auteur : Dalia Abu Ramadan
* Dalia Abu Ramadan est une conteuse palestinienne et une jeune diplômée de l'Université islamique de Gaza. Elle partage des récits puissants qui reflètent la force, la résilience et les défis de la vie à Gaza.
27 janvier 2024 – Institute for Palestine Studies – Traduction: Chronique de Palestine – MJB
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