Par Nasim Ahmed
Israël s’est longtemps appuyé sur sa fameuse hasbara * pour dissimuler la réalité de sa colonisation de la Palestine et de l’asservissement du peuple autochtone. La représentation d’Israël comme d’une démocratie confrontée à une menace existentielle permanente a été utilisée efficacement pour justifier toutes sortes d’abus des droits de l’homme et de violations du droit international.
Des décennies d’occupation, d’asservissement de personnes qui se trouvent être d’une ethnie différente, d’agressions routinières, sont, cependant, difficiles à vendre comme une chose normale et durable, dont le reste des peuples doit s’accommoder à l’infini.
Ainsi, de temps à autre, lorsque Israël sent qu’il perd la “bataille des cœurs et des esprits”, l’État d’occupation élabore un nouveau plan de “lutte contre le phénomène de délégitimation de l’État d’Israël”.
Il va sans dire que présenter l’opposition croissante à Israël comme des campagnes de “délégitimation” est en soi un stratagème utilisé par l’industrie de la hasbara pour détourner l’attention et discréditer et diffamer les individus, les groupes et les organisations qui dénoncent ses nombreux crimes de guerre et ses violations des droits de l’homme.
Dernièrement, cette tactique a servi à rejeter les rapports d’éminents groupes de défense des droits de l’homme comme B’Tselem et Human Rights Watch, qui ont tous deux montré qu’Israël pratique le crime d’apartheid, qui “promeut et perpétue la suprématie juive entre la mer Méditerranée et le Jourdain”.
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Le Ministère israélien des affaires stratégiques a été le fer de lance de la hasbara. Créé en 2006 pour coordonner les initiatives en matière de sécurité, de renseignement et de diplomatie concernant les menaces stratégiques auxquelles l’État d’occupation est confronté, le ministère a consacré ses énormes ressources à cibler les organisations de défense des droits de l’homme et les groupes de défense des droits civils au lieu de s’occuper des menaces militaires.
Le mouvement mondial de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) est devenu son ennemi numéro un, suivi de près par les mouvements populaires comme Black Lives Matter, autant d’ennemis que le Ministère voulait détruire avant qu’ils ne deviennent aussi puissants que la campagne contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 80.
Israël est en train de se rendre compte qu’il perd la bataille des cœurs et des esprits, malgré les millions de dollars investis dans l’industrie de la hasbara. Non seulement la communauté mondiale voit Israël comme un État paria mais l’entité coloniale est en train de perdre également le soutien des Juifs progressistes.
Alors qu’à une époque, ils étaient prêts à accorder à Israël le bénéfice du doute, croyant que l’occupation était temporaire, ils ne sont plus capables de gérer la contradiction entre leurs convictions libérales progressistes et les politiques de l’État d’occupation.
En vérité, leur malaise remonte à la naissance d’Israël, mais maintenant que l’occupation et l’apartheid sont largement devenus des réalités installées, aucune hasbara ne peut plus résoudre leur conflit intérieur.
Ces évolutions inquiétantes pour Israël l’ont incité à repenser sa stratégie de hasbara. Selon Magazine +972, le Cabinet israélien a récemment approuvé un projet de 30 millions de dollars pour financer secrètement des opérations de propagande israélienne aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux.
Le plan consiste à transférer indirectement de l’argent à des organisations étrangères pour diffuser la propagande israélienne dans les pays où elles opèrent, tout en cachant le fait qu’elles sont soutenues par le gouvernement israélien.
Des fonds supplémentaires serviront à relancer une organisation non gouvernementale appelée “Concert”, qui fonctionnait en partenariat avec le ministère des Affaires stratégiques. Créée en 2017 dans le but de privatiser la hasbara, sa mission était de recruter des influenceurs et des organisations pour dire du bien d’Israël dans les médias dominants, les médias sociaux et les débats publics, à l’étranger et en Israël.
Un rapport sur Concert paru dans Haaretz indique que des diplomates, d’anciens militaires et responsables gouvernementaux comme Amos Yadlin, Dore Gold, Yaakov Amidror et d’autres étaient à l’origine de cette initiative.
Un fonctionnaire du ministère des affaires stratégiques a admis que le projet avait en fait pour but de transférer des fonds à des organisations pro-israéliennes travaillant à l’étranger, principalement aux États-Unis, sans qu’il soit possible de les relier au gouvernement israélien.
L’idée était qu’il “serait ainsi plus facile de convaincre les gens qu’avec une initiative soutenue par le gouvernement”, aurait déclaré l’ancien directeur du ministère des affaires stratégiques, Ronen Manelis, lors d’une audition à la Knesset.
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“Tout ce que les gens verront, au bout du compte, ce sont des transferts de fonds de sociétés d’utilité publique, au lieu de transferts de fonds du gouvernement. C’est ça l’idée.” Ces transferts seraient effectués par le biais de sociétés d’utilité publique contrôlées par des représentants du gouvernement.
Comme la moitié du financement du projet devait provenir de riches particuliers et d’organisations étrangères, principalement aux États-Unis, le plan de 2017 n’a recueilli que 7 millions de dollars. L’obligation faite aux organisations étasuniennes de s’enregistrer comme agents étrangers si elles reçoivent des dons d’entités étatiques a dissuadé les riches bailleurs de fonds américains de le financer.
Le ministre des Affaires étrangères, Yair Lapid, qui a récemment déclaré qu’Israël allait être confronté à d’intenses campagnes visant à le décrire comme un État d’apartheid dans les mois à venir et a insisté sur la nécessité de lancer une campagne pour discréditer l’ONU avant que cette dernière ne puisse exprimer la moindre critique, veut relancer le projet et le maintenir opérationnel jusqu’à la fin de 2025, au moins.
Un document distribué aux ministres avant le vote indique que “la poursuite du projet permettra au Ministère des Affaires étrangères et au gouvernement israélien de planifier et de mettre en œuvre de manière stratégique et structurée une politique d’action pour lutter contre le phénomène de délégitimation de l’État d’Israël et pour construire une légitimité civile dans le monde.”
Le document indique également que les activités des années à venir se concentreront sur l’expansion significative des capacités opérationnelles existantes, l’initiation et la construction d’outils et de domaines d’action innovants, et l’amélioration de l’efficacité des activités et des efforts des organisations et groupes pro-israéliens en Israël et dans le monde.
“Le ministère des affaires étrangères a l’intention d’utiliser l’expérience acquise dans l’organisation [Concert] pour améliorer l’image d’Israël en favorisant les liens entre la société israélienne et d’autres sociétés, et en encourageant les partenariats avec la société civile en Israël et dans le monde”, aurait déclaré le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Lior Hayat.
Selon des sources d’Haaretz au sein du Ministère : “L’objectif [avec Concert] est de faire avancer les projets destinés à promouvoir le discours d’Israël sur l’histoire et à contrer la délégitimation d’Israël dans le monde, avec un financement conjoint du gouvernement israélien et d’autres sources privées. Certains projets débuteront dans les mois ou les deux mois à venir.”
Ce que cela signifie dans le monde réel n’est pas difficile à deviner. L’affaire Cambridge Analytica a révélé comment les agents étrangers sont capables d’utiliser les plateformes de médias sociaux par le biais de groupes de façade afin d’influencer l’opinion publique.
Alors que la Russie et la Chine sont souvent accusées d’être les principaux responsables de l’ingérence d’influence, les mêmes projecteurs vont-ils maintenant se tourner vers Israël ?
Note :
*() Hasbara est un terme utilisé pour qualifier les relations publiques et la diplomatie publique de l’État d’Israël. C’est à la fois une capacité inébranlable à nier ce qui saute aux yeux de tous, et la manifestation d’un “culot” qui dépasse l’entendement. La diplomatie publique israélienne est largement considérée, à ce titre, comme de la pure propagande.
Auteur : Nasim Ahmed
* Nasim Ahmed est un analyste politique. Il publie quotidiennement des articles pour le Middle East Monitor (MEMO), basé à Londres, en se concentrant notamment sur Israël et la Palestine et sur la région du Golfe. Il anime également une émission régulière dans laquelle il interviewe des auteurs et des universitaires de premier plan sur des sujets liés au Moyen-Orient.Son compte twitter.
28 janvier 2022 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet