Par Ilan Pappe
Le 13 janvier, nous avons commémoré le 20e anniversaire du meurtre de Tom Hurndall, qui n’avait que 23 ans lorsqu’il a été assassiné par des soldats israéliens dans la bande de Gaza.
Tom était étudiant en photographie et faisait du bénévolat au sein du Mouvement de solidarité internationale. Un sniper israélien lui a tiré une balle dans la tête le 11 avril 2003. Il est resté dans le coma et est décédé neuf mois plus tard.
Sa famille, sa mère Jocelyn et sa sœur Sophie sont toujours actives dans le mouvement de solidarité, tout comme ses amis proches qui commémorent son travail par des conférences annuelles, un film et un livre.
Même avant de venir en Palestine, Tom était un jeune homme engagé et il s’était joint à d’autres courageux militants occidentaux qui se sont offerts comme boucliers humains contre l’attaque anglo-américain imminent sur l’Irak.
Peu après, il a passé du temps à aider les réfugiés irakiens, avant de se concentrer sur la Palestine. Tom a choisi d’être actif dans la bande de Gaza, car il estimait que la presse occidentale et, en particulier, britannique évitait de rendre compte honnêtement de ce qui s’y passait, et il a commencé à photographier afin que « personne ne puisse prétendre ne pas voir ce qui doit être vu maintenant », a-t-il écrit de retour chez lui.
Le 11 avril, avec huit autres militants, Tom s’apprêtait à construire une « tente de la paix » pour protéger la population, et en particulier les enfants, des patrouilles de chars de l’armée israélienne.
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Je ne sais pas combien de nos lecteurs ont été exposés au bruit et à la vue d’un char roulant rapidement vers vous sur une route étroite… C’est un cauchemar en soi, avant même qu’un obus ne soit tiré. À l’époque, il s’agissait d’une action de routine dans la bande de Gaza.
Ce jour-là, les soldats israéliens qui se trouvaient à un poste de contrôle voisin ont commencé à tirer sur les militants pacifistes. Tom a remarqué que les balles s’approchaient dangereusement d’un groupe d’enfants qui jouaient à proximité.
Certains enfants ont commencé à s’enfuir, mais d’autres restaient sur place, figés de peur. Tom est allé les aider.
Son père a déclaré lors d’une enquête britannique que Tom « est allé s’occuper d’une fillette hors de la ligne de tir, ce qu’il a fait avec succès, mais lorsqu’il est revenu, alors qu’il s’agenouillait pour récupérer un autre enfant, il a été abattu ».
Alors que Tom courait se mettre à l’abri, le sniper l’a abattu Tom d’une balle dans la tête. Trois hôpitaux ont tout fait pour lui sauver la vie : un à Rafah, un en Israël et enfin un à Londres, mais en vain.
Comme nous le savons, Tom n’était pas le seul. Il y a le cas tristement célèbre de l’assassinat de Rachel Corrie et des victimes moins connues de tireurs d’élite israéliens : Iain Hook, un travailleur britannique de l’UNRWA également tué par un sniper en Cisjordanie, en novembre 2002 ; et James Miller, un cinéaste abattu à Gaza en mai 2003.
À cet égard, il ne faut pas oublier Brian Avery, un volontaire américain de l’ISM abattu et gravement défiguré à Jénine en avril 2003.
Ces assassinats n’ont attiré l’attention des médias internationaux que pendant un très court laps de temps, ce qui a permis à Israël de s’en tirer à bon compte avec ces crimes, de la même manière qu’il a été absous de l’assassinat de plus d’une centaine de Palestiniens depuis le début de l’année, dont beaucoup étaient aussi jeunes que Tom, et même beaucoup plus jeunes.
Il est important de ne pas oublier Tom, Rachel, Iain, James et Brian. Ces jeunes militants extraordinaires sont tombés amoureux de la Palestine et de son peuple, ce qui prouve que ce sont les jeunes les plus merveilleux et les plus conscients du monde qui s’identifient à la Palestine et sont prêts à payer le prix fort pour faire face au projet colonial inhumain des colons sur le terrain.
Tom aurait eu une quarantaine d’années, si les Israéliens ne l’avaient pas tué, et il est certain qu’il serait toujours engagé et actif au nom de la Palestine. J’ai eu l’honneur d’ouvrir la conférence annuelle Tom Hurndall à Manchester, organisée par des membres de la famille et des amis, qui sont aussi engagés pour la Palestine que Tom l’était.
Il existe aujourd’hui une nouvelle génération de militants. La Palestine n’a pas cessé d’inspirer des jeunes gens de conscience dans le monde entier, qui considèrent que l’injustice qui y règne est l’illustration même des injustices commises dans de nombreux autres endroits du monde.
Leur énergie et leur engagement sont comme l’eau fraîche nécessaire pour étancher la soif des peuples sous le joug de la colonisation et de l’oppression. Mais comme toute bonne eau, elle doit être recueillie et canalisée pour ne pas se perdre.
Il est beaucoup plus difficile aujourd’hui, pour les jeunes Européens et Américains qui souhaitent manifester leur solidarité avec la lutte palestinienne, de traduire cet élan en travail volontaire sur le terrain en Palestine.
Nombre d’entre eux sont inscrits sur la liste noire d’Israël en tant que partisans du mouvement BDS et se voient refuser l’entrée sur le territoire. Quoi qu’il en soit, il semble que ce dont les Palestiniens ont besoin aujourd’hui, plus que jamais, c’est que ces jeunes agissent dans leur propre pays et fassent pression sur leur gouvernement pour qu’il modifie sa politique à l’égard d’Israël.
À cet égard, le mouvement BDS a joué un rôle très important en offrant un foyer, une ligne d’action et une stratégie à la jeune génération du mouvement de solidarité avec les Palestiniens.
Récemment, j’ai été impliqué dans une nouvelle initiative qui offre des formations supplémentaires pour rendre la solidarité encore plus efficace. En janvier de cette année, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et la société civile de Cisjordanie ont organisé la première conférence nationale palestinienne contre l’apartheid.
Elle appelle les gouvernements, les parlements et les partis politiques du monde arabe et du monde entier à « contribuer au démantèlement du régime israélien de colonialisme de peuplement et d’apartheid ». Elle appelle « les peuples du monde et leurs forces démocratiques et progressistes qui défendent la paix et la justice à renforcer l’état mondial croissant de solidarité avec le peuple palestinien en renforçant le mouvement BDS ».
Concrètement, l’initiative vise à établir un front mondial contre l’apartheid israélien, en s’opposant à la législation contre les initiatives BDS. Elle appelle notamment les organisations et les individus juifs progressistes à prendre part à cette initiative.
Une grande partie de cette initiative peut sembler familière, mais il s’agit d’une fusion de nombreuses initiatives existantes, rajeunies dans le cadre d’un réseau clair de comités « anti-apartheid israélien » à mettre en place au niveau local, régional et mondial.
Ce réseau peut facilement s’appuyer dans le droit international et les résolutions des Nations Unies, et peut fournir des lignes d’activité supplémentaires pour la jeune génération militante qui cherche à traduire sa solidarité en un discours proactif.
Au sein de la Palestine 48 (Israël), nous avons répondu en créant un tel comité, de sorte qu’au-delà des dissensions politiques ou des débats concernant un ou deux États, ces comités feront tout ce qui est en leur pouvoir pour répondre à cet appel, auquel, espérons-le, ceux qui ne font pas partie de l’OLP répondront également.
Nous devons sans cesse dynamiser le mouvement de solidarité, et plus les objectifs sont clairs, plus la solidarité est efficace.
Dans ce voyage, les sacrifices de jeunes volontaires comme Tom et ceux des Palestiniens qui ont perdu la vie sous le régime de l’apartheid seront des points de repère que l’on comprendra beaucoup mieux à la fin du parcours.
Mais en ce 20e anniversaire de l’assassinat de Tom, nous célébrons la vie de ce jeune homme et la considérons comme un phare montrant la voie à la prochaine génération du mouvement de solidarité internationale.
Auteur : Ilan Pappe
* Ilan Pappé est professeur à l'université d'Exeter. Il était auparavant maître de conférences en sciences politiques à l'université de Haïfa. Il est l'auteur de Le nettoyage ethnique de la Palestine, The Modern Middle East, A History of Modern Palestine : One Land, Two Peoples, et Ten Myths about Israel. Pappé est décrit comme l'un des "nouveaux historiens" d'Israël qui, depuis la publication de documents déclassifiés par les gouvernements britannique et israélien au début des années 1980, ont réécrit l'histoire de la création d'Israël en 1948.Ses comptes Facebook et Twitter.
18 avril 2023 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah