
Des Palestiniens pleurent leurs proches à l'hôpital Nasser, dont deux enfants, tués au cours de raids israéliens menés pendant la nuit contre des tentes abritant des personnes déplacées à Khan Yunis - Photo : Doaa Albaz / Activestills
Par Chris Hedges
« Le génocide à Gaza est le plus grand crime de ce siècle. Il reviendra hanter Israël. Il reviendra nous hanter. Il fera entrer à nos portes le mal que nous avons perpétré contre les Palestiniens », écrit Chris Hedges.
Le gouvernement israélien, soutenu par l’administration Trump, prépare le terrain pour l’expulsion complète des Palestiniens de Gaza, une décision qui pourrait déclencher un conflit régional.
Israël s’apprête à mener à bien la plus vaste campagne de nettoyage ethnique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Depuis le 2 mars, il a bloqué l’acheminement de toute aide alimentaire et humanitaire à Gaza et coupé l’électricité, de sorte que la dernière usine de dessalement de l’eau ne fonctionne plus.
L’armée israélienne a saisi la moitié du territoire (Gaza s’étend sur 40 km de long et 8 à 8,5 km de large) et a placé les deux tiers de Gaza sous le coup d’ordres de déplacement, les rendant ainsi « zones interdites », y compris la ville frontalière de Rafah, encerclée par les troupes israéliennes.
Vendredi, le ministre de la Défense, Israel Katz, a annoncé qu’Israël allait « intensifier » la guerre contre le Hamas et utiliser « toutes les pressions militaires et civiles, y compris l’évacuation de la population de Gaza vers le sud et la mise en œuvre du plan de migration volontaire du président américain [Donald] Trump pour les habitants de Gaza ».
Depuis la fin unilatérale du cessez-le-feu par Israël le 18 mars, qui n’a jamais été respecté par Israël, Israël a procédé à des bombardements et des tirs d’artillerie incessants contre des civils, tuant plus de 1400 Palestiniens et en blessant plus de 3600, selon le ministère palestinien de la Santé.
Selon les Nations Unies, une centaine d’enfants sont tués chaque jour. Dans le même temps, Israël attise les tensions avec l’Égypte pour préparer, je le soupçonne, le terrain à une expulsion massive de Palestiniens dans le Sinaï égyptien.
Faisant écho à Katz, le ministre des Finances Bezalel Smotrich a déclaré qu’Israël ne lèverait pas le blocus total tant que le Hamas ne serait pas « vaincu » et que les 59 captifs israéliens restants ne seraient pas libérés. « Pas même un grain de blé n’entrera à Gaza », a-t-il vomi.
Mais personne en Israël ou à Gaza ne s’attend à ce que le Hamas, qui a résisté à la décimation de Gaza et à des massacres de masse, se rende ou disparaisse.
La question n’est plus de savoir si les Palestiniens seront expulsés de Gaza, mais quand ils le seront et où ils iront. Les dirigeants israéliens sont apparemment partagés entre pousser les Palestiniens au-delà de la frontière égyptienne ou les expédier vers des pays d’Afrique.
Les États-Unis et Israël ont contacté trois des gouvernements d’Afrique de l’Est (Soudan, Somalie et la région séparatiste de Somalie connue sous le nom de Somaliland) pour discuter de la réinstallation des Palestiniens victimes de nettoyage ethnique.
Les conséquences d’un nettoyage ethnique généralisé seront catastrophiques, mettant en péril la stabilité des régimes arabes alliés de Washington et déclenchant des tempêtes de protestations dans les pays arabes. Cela entraînera probablement la rupture des relations diplomatiques entre Israël et ses voisins jordaniens et égyptiens, déjà proches du point de rupture, et rapprochera la région de la guerre.
Les relations diplomatiques sont tombées à leur plus bas niveau depuis la signature des accords de Camp David en 1979. Les ambassades israéliennes au Caire et à Amman sont en grande partie vides, le personnel israélien s’étant retiré pour des raisons de sécurité à la suite de l’incursion du Hamas et d’autres organisations armées palestiniennes en Israël le 7 octobre.
L’Égypte a refusé d’accepter les lettres de créance d’Uri Rothman, nommé ambassadeur d’Israël en septembre dernier. L’Égypte n’a pas nommé de nouvel ambassadeur en Israël lorsque l’ancien ambassadeur, Khaled Azmi, a été rappelé l’année dernière.
Les responsables israéliens accusent l’Égypte de violer les accords de Camp David en augmentant sa présence militaire et en construisant de nouvelles installations militaires dans le nord du Sinaï, accusations que l’Égypte qualifie de mensongères. L’annexe du traité de paix autorise la présence de matériel militaire égyptien supplémentaire dans le Sinaï.
L’ancien chef d’état-major israélien, Herzi Halevi, a mis en garde contre ce qu’il appelle la « menace sécuritaire » de l’Égypte. Katz a éructé qu’Israël ne permettrait pas à l’Égypte de « violer le traité de paix » signé entre les deux pays en 1979.
Les responsables égyptiens font remarquer que c’est Israël qui a violé le traité en occupant le couloir Philadelphi, également connu sous le nom d’axe Salahuddin, qui longe la frontière de 14 km entre Gaza et l’Égypte et qui est censé être démilitarisé.
« Chaque action israélienne le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte constitue un comportement hostile à la sécurité nationale de l’Égypte », a déclaré le général égyptien Mohammed Rashad, ancien chef des renseignements militaires, au journal en langue arabe Asharq Al-Awsat.
« L’Égypte ne peut rester les bras croisés face à de telles menaces et doit se préparer à tous les scénarios possibles. »
Les responsables israéliens appellent ouvertement à un « transfert volontaire » des Palestiniens vers l’Égypte.
Avigdor Lieberman, membre de la Knesset, a déclaré que « déplacer la plupart des Palestiniens de Gaza vers le Sinaï égyptien est une solution pratique et efficace ».
Il a comparé la forte densité de population – Gaza est l’un des endroits les plus densément peuplés de la planète – aux vastes « terres inexploitées » du nord du Sinaï égyptien et a noté que les Palestiniens partagent une culture et une langue communes avec l’Égypte, ce qui rend toute déportation « naturelle ».
Il a également critiqué l’Égypte parce qu’elle « profite économiquement de la situation politique actuelle », en tant que médiateur entre Israël et le Hamas, et « tire profit des opérations de contrebande à travers les tunnels et le passage de Rafah ».
Le groupe de « réflexion » israélien Misgav Institute for National Security, composé d’anciens responsables militaires et de la sécurité israéliens, a publié un document le 17 octobre 2023 appelant le gouvernement à profiter de « l’occasion unique et rare d’évacuer l’ensemble de la bande de Gaza » et de réinstaller les Palestiniens au Caire avec l’aide du gouvernement égyptien.
Un document divulgué par le ministère israélien du Renseignement proposait de réinstaller les Palestiniens de Gaza dans le nord du Sinaï et de construire des barrières et des zones tampons pour empêcher leur retour.
Toute expulsion se ferait probablement rapidement avec les forces israéliennes, qui rassemblent déjà sans pitié les Palestiniens dans des zones de confinement à Gaza, menant une campagne de bombardements soutenue contre les Palestiniens piégés tout en créant des points d’évacuation poreux le long de la frontière avec l’Égypte.
Cela entraînerait une impasse potentiellement mortelle avec l’armée égyptienne, plongeant instantanément le régime égyptien d’Abdel Fattah El-Sisi, qui a décrit le nettoyage ethnique des Palestiniens à Gaza comme une « ligne rouge », dans la crise.
Il n’y aurait alors qu’un pas à franchir pour qu’un conflit régional éclate.
Israël a volé des territoires en Syrie et au sud du Liban, dans le cadre de son délire d’un « Grand Israël », qui inclut l’occupation de terres en Égypte, en Jordanie et en Arabie saoudite.
Il convoite les gisements gaziers maritimes au large des côtes de Gaza et a lancé des projets de construction d’un nouveau canal pour contourner le canal de Suez, afin de relier le port israélien d’Eilat, en faillite, sur la mer Rouge, à la mer Méditerranée.
Ces projets nécessitent de vider Gaza de ses Palestiniens et de la peupler de colons juifs.
La colère de la rue arabe – une colère dont j’ai été témoin au cours des derniers mois lors de visites en Égypte, en Jordanie, en Cisjordanie et au Qatar – explosera en une fureur justifiée si une déportation massive a lieu.
Ces régimes, simplement pour se maintenir au pouvoir, seront contraints d’agir. Les attaques terroristes, qu’elles soient le fait de groupes organisés ou de loups solitaires, se multiplieront contre des cibles israéliennes et occidentales, en particulier les États-Unis.
Le génocide est un rêve de recrutement pour les militants islamiques. Washington et Israël doivent, à un certain niveau, comprendre le coût de cette sauvagerie génocidaire. Mais il semble qu’ils l’acceptent, essayant d’anéantir ceux qu’ils ont chassés de la communauté des nations, ceux qu’ils désignent comme des « animaux humains ».
Que pensent Israël et Washington qu’il va se passer lorsque les Palestiniens seront expulsés d’une terre où ils vivent depuis des siècles ? Comment pensent-ils qu’un peuple désespéré, privé d’espoir, de dignité et de moyens de subsistance, massacré par l’une des armées les plus avancées technologiquement de la planète, va réagir ?
Pensent-ils que créer un enfer dantesque pour les Palestiniens va endiguer le terrorisme, freiner les attentats-suicides et favoriser la paix ? Ne peuvent-ils pas comprendre la rage qui se propage au Moyen-Orient et comment elle va implanter une haine envers nous qui durera des décennies ?
Le génocide à Gaza est le plus grand crime de ce siècle. Il reviendra hanter Israël. Il reviendra nous hanter. Il fera entrer à nos portes le mal que nous avons perpétré contre les Palestiniens.
On récolte ce que l’on sème. Nous avons semé un champ de mines de haine et de violence.
Auteur : Chris Hedges
* Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Ancien correspondant de guerre, il est reconnu pour son analyse de la politique américaine ainsi que de celle du Moyen-Orient. Il a publié plusieurs livres, dont le plus connu est War Is a Force That Gives Us Meaning (2002).
12 avril 2025 – Substack.com – Traduction : Chronique de Palestine
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