Par Mariam Barghouti
Après l’annonce de “l’accord du siècle” par l’administration Trump le 28 janvier, l’Autorité palestinienne (AP) a réagi de plusieurs manières. Dans les heures qui ont suivi la cérémonie à la Maison Blanche, au cours de laquelle le président américain Donald Trump a dévoilé les détails de son plan, le président de l’AP, Mahmoud Abbas a dit “mille non à l’accord du siècle”.
L’AP a ensuite lancé un certain nombre de menaces, notamment et une fois de plus de rompre les liens avec les agences répressives israéliennes, et en appelant à des manifestations de masse contre l’accord proposé.
Mais malgré sa rhétorique ronflante et son coup de chaud, la direction palestinienne n’a pas réussi à provoquer une réaction populaire notable face à la violation scandaleuse des droits des Palestiniens que la proposition de Trump représente. Elle n’a même pas réussi à mobiliser ses propres concitoyens. Pourquoi ?
Plus de 20 ans de collaboration avec l’occupant
Pour la simple raison que depuis plus de 20 ans, l’Autorité palestinienne participe activement à la répression du peuple palestinien, tout en maintenant des relations étroites avec les forces répressives israéliennes. Son attitude, ses discours et ses politiques dans le passé et dans le présent ont toujours visé non pas à protéger les droits et le bien-être du peuple palestinien, mais à garder à tout prix le pouvoir.
“L’accord du siècle” a mis en évidence la duplicité de l’Autorité palestinienne et son bilan représente un poids pour la mobilisation de masse des Palestiniens.
Depuis sa création en 1994 à la suite des désastreux accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne n’a guère fait plus qu’aider Israël à garder les Palestiniens sous contrôle tandis que leurs terres, leurs biens et leurs ressources étaient volés par des colons juifs. Pour garantir leur pouvoir, les dirigeants palestiniens ont maintenu une coopération étroite avec Israël, torturant des dissidents palestiniens et fournissant des renseignements sur des militants palestiniens.
L’AP a également violemment interdit toute manifestation publique qui menaçait son emprise sur le pouvoir ou était considérée comme une “menace” par les Israéliens. Elle a déployé à plusieurs reprises sa garde nationale, sa police anti-émeute et ses seconds-couteaux fidèles au Fatah, le parti qui domine l’Autorité palestinienne, pour réprimer toute dissidence.
Ma première expérience de la main lourde de l’AP remonte à 2011 lors d’une manifestation sur la place Manara à Ramallah, en solidarité avec les révolutions dans les pays arabes voisins. Des centaines de jeunes s’étaient rassemblés pacifiquement, scandant des slogans politiques, appelant à l’unité entre le Fatah et le Hamas et contre le système hérité d’Oslo. En l’espace de quelques heures, nous avons été attaqués, harcelés et finalement arrêtés.
En 2012, nous avons manifesté contre la visite prévue à Ramallah du vice-Premier ministre israélien Shaul Mofaz, un homme accusé d’avoir commis d’innombrables crimes contre les Palestiniens, y compris le massacre de Jénine lors de la deuxième Intifada et l’assassinat de plusieurs dirigeants palestiniens.
Nous avons considéré sa rencontre avec Abbas comme un nouvel acte de complicité de l’Autorité palestinienne avec le projet colonial israélien. Nous sommes sortis en masse pour protester, mais nous avons été littéralement tabassés par la police de l’Autorité palestinienne. Plus tard, les services de renseignements de l’Autorité palestinienne nous ont suivis et harcelés dans les rues, et ont finalement contacté nos familles pour les menacer.
Pire encore, nous avons été calomniés sur les plateformes de médias sociaux par des loyalistes de l’AP, comme “traîtres” travaillant pour un “programme étranger”.
En 2018, nous sommes sortis dans la rue pour manifester contre la complicité de l’Autorité palestinienne dans le blocus israélien de Gaza, qui a rendu la bande côtière désormais invivable. L’Autorité palestinienne a supprimé le salaire des employés de Gaza et annulé l’accès au système de santé et l’aide financière à des centaines de familles dans le besoin.
En raison de ces intérêts partisans et à courte vue, deux millions de Palestiniens souffrent dans des conditions de vie insupportables.
Notre manifestation a de nouveau été brutalement attaquée, nous avons été battus, poursuivis dans les rues de Ramallah et arrêtés alors que nous tentions d’accéder à l’hôpital pour être soignés de nos blessures.
Ce ne sont là que quelques exemples des pratiques systématiques de l’Autorité palestinienne pour faire taire les Palestiniens dans le but de procurer à Israël un “sentiment de sécurité”. Et cela ne veut pas dire que le Hamas est un acteur innocent; il a également sa part de politique répressive contre la population palestinienne à Gaza et il a, lui aussi, tenté de faire taire les critiques.
Il n’y a plus de leadership palestinien
Outre la répression de la dissidence palestinienne, les dirigeants palestiniens, que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza, ont également cherché à instrumentaliser la mobilisation de masse pour leurs objectifs politiques immédiats.
Chaque fois qu’une déclaration d’un organisme international menace la position de l’Autorité palestinienne en tant que représentant du peuple palestinien (même si elle n’a pas été élue), nous assistons à une série de discours et de déclarations de responsables palestiniens appelant à des manifestations.
L’AP et d’autres factions et partis politiques palestiniens considèrent la protestation palestinienne comme une arme qu’ils peuvent utiliser comme bon leur semble. Ils ne souhaitent une mobilisation de masse que lorsque celle-ci leur convient, pas lorsqu’elle se produit dans le meilleur intérêt du peuple palestinien.
Le problème est que cette attitude, combinée à des années de répression de la dissidence et de harcèlement de la société civile, a ajouté une nouvelle couche de répression – en plus de l’occupation israélienne – démoralisant les Palestiniens et nuisant à leur capacité à se mobiliser de manière efficace.
Au fil des années, beaucoup ont cessé de vouloir descendre dans la rue dans la crainte que leur protestation soit brutalement réprimée ou instrumentalisée par des forces politiques qu’ils considèrent comme illégitimes.
Il n’est donc pas étonnant que lorsque l’Autorité palestinienne a appelé à une mobilisation de masse dans les rues contre “l’accord du siècle”, peu de monde se soit déplacé. Aujourd’hui, l’Autorité palestinienne ne peut mobiliser que ses proches, dans ses propres structures et son relais politique du Fatah. Pour rassembler une foule à Ramallah, il faut faire venir des gens de l’extérieur de la ville…
À ce jour, de nombreux Palestiniens ont perdu confiance dans les dirigeants palestiniens. Beaucoup savent que les menaces de l’Autorité palestinienne de rompre les liens avec les agences répressives israéliennes n’ont aucune réalité. La dernière fois que ces menaces ont été faites en 2017, il a été constaté que 95% de la coordination répressive avec Israël avait été maintenue.
Mais malgré la faillite politique et morale de leurs dirigeants, les Palestiniens n’ont pas désespéré. Ils poursuivent leur lutte pour la justice, leurs droits et la fin de l’occupation israélienne et de l’apartheid. Ils continuent de se mobiliser malgré leurs dirigeants et leur complicité éhontée avec Israël.
L’esprit de la rue palestinienne est vivant, mais il ne peut plus être invoqué par des forces politiques indignes de la moindre confiance. Il ne s’exposera à nouveau au grand jour que pour défendre la lutte légitime du peuple palestinien.
* Mariam Barghouti est une écrivaine palestino-américaine basée à Ramallah. Ses commentaires politiques sont publiés dans l’International Business Times, le New York Times, TRT-World, entre autres publications. Son compte twitter. : @MariamBarghouti
4 février 2020 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine