Par Moncef Khane
Si l’Assemblée générale des Nations unies suspendait les droits et privilèges d’Israël, cela exercerait une pression bien plus forte sur son gouvernement que l’adhésion à part entière de la Palestine.
Lorsque, le 10 mai, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a voté à une écrasante majorité la résolution ES-10/23 relative à la demande d’adhésion de la Palestine, certains médias l’ont qualifiée de « soutien à la création d’un État palestinien ».
Cette confusion apparente fait suite aux discours du gouvernement américain qui confondent la création d’un État avec l’adhésion et affirment que cela nuirait aux « efforts de paix ». Ce n’est pourtant pas le cas : la résolution porte sur l’« adhésion » de la Palestine à l’ONU et non sur le « statut d’État » de la Palestine.
L’Assemblée générale des Nations unies a réglé la question du statut d’État de la Palestine à l’ONU en 2012 en lui accordant le statut d’État observateur non membre – le même statut dont bénéficiait la Suisse avant de devenir un État membre en 2002 ou dont jouit le Saint-Siège depuis 1964.
La décision des États-Unis de ne pas reconnaître l’État de Palestine ou d’opposer leur veto à sa demande d’adhésion aux Nations unies au sein du Conseil de sécurité des Nations unies ne remet pas en cause le statut juridique et politique de la Palestine – un État, bien que sous occupation étrangère, reconnu par les trois quarts des 193 États membres de l’ONU et ce n’est pas fini.
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Récemment, la Jamaïque, la Barbade et Trinité-et-Tobago ont aussi officiellement reconnu l’État de Palestine.
Et depuis l’adoption de la résolution ES-10/23 par 143 voix contre 9, la République d’Irlande a officiellement déclaré qu’elle reconnaîtrait l’État de Palestine dans les semaines à venir.
La Belgique, l’Espagne, Malte et la Slovénie ont également fait des déclarations récentes dans ce sens.
La question de l’adhésion à part entière de la Palestine à l’ONU, qui reste tributaire du veto des États-Unis au sein de l’Assemblée générale des Nations unies, joue en réalité le rôle d’un écran de fumée qui cache une question bien plus importante et bien plus grave : le statut d’Israël aux Nations unies.
Lorsque la pression internationale s’est accentuée sur l’Afrique du Sud de l’apartheid, à l’ONU, sous l’effet de la montée en puissance politique du Sud et de l’Afrique en particulier, l’Assemblée générale des Nations unies a réagi.
Elle a créé un centre contre l’apartheid et lancé des campagnes internationales de boycott du régime d’apartheid dans les domaines sportif, culturel, économique et politique, ce qui a permis d’exercer une pression non seulement sur le régime raciste d’Afrique du Sud, mais aussi sur ses alliés, y compris Israël.
En 1974, le président de l’AGNU, Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des affaires étrangères de l’Algérie, a pris une décision historique : il a suspendu la participation de l’Afrique du Sud à l’ONU, la privant de ses droits et privilèges en tant qu’État membre.
Elle ne pouvait plus siéger, s’exprimer ou voter à l’Assemblée générale et dans d’autres organes de l’ONU.
Ce que l’on a appelé la « décision Bouteflika » était sans précédent dans les annales de l’ONU. Elle faisait suite au veto opposé par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France à une initiative de pays africains visant à expulser l’Afrique du Sud de l’organisation, conformément à l’article 6 de la Charte des Nations unies, qui stipule ce qui suit « Un membre des Nations unies qui a violé de manière persistante les principes contenus dans la présente Charte peut être expulsé de l’Organisation par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité ».
Les États-Unis, soutenus par le Royaume-Uni et d’autres pays, ont contesté la décision Bouteflika à l’AGNU – et elle a été confirmée par 91 voix contre 22, les Nations unies comptant 133 États membres à l’époque.
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La décision portait sur les accréditations de la délégation sud-africaine qu’elle suspendait ; elle ne suspendait ni n’expulsait l’Afrique du Sud en tant qu’État membre, ce qui nécessite une autorisation du Conseil de sécurité.
Étant donné qu’Israël a, de l’avis général, constamment violé non seulement les principes généraux inscrits dans la Charte des Nations unies, mais aussi d’innombrables résolutions de l’Assemblée générale et des résolutions contraignantes du Conseil de sécurité, une action au titre de l’article 6 pourrait être envisagée.
Mais la realpolitik suggère que ce serait une voie sans issue, au moins jusqu’à ce que les États-Unis décident de retirer leur « dôme de fer diplomatique » protégeant leur allié.
L’arrêt Bouteflika propose une autre voie.
Maintenant que la Cour internationale de justice (CIJ) a statué que les atrocités commises contre la population de Gaza pouvaient être assimilées à un génocide et qu’elle a émis un certain nombre d’ordonnances provisoires dont le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est moqué, l’Assemblée générale des Nations unies devrait sérieusement se demander si elle n’a pas déjà trop tardé à suspendre la participation de la délégation israélienne.
La délégation israélienne à l’ONU a déjà démontré son manque de respect flagrant pour l’organisation à de nombreuses reprises. Après le vote du 10 mai, par exemple, son ambassadeur a déchiqueté, de manière théâtrale et grotesque, un exemplaire de la Charte des Nations unies depuis la tribune de l’AGNU, en criant « honte à vous » aux délégations présentes.
Il est important de rappeler que l’Afrique du Sud de l’apartheid a changé de cap parce qu’elle est devenue un régime paria, rejeté de tous. L’arrêt Bouteflika a joué un grand rôle de ce processus.
De la même manière, priver Israël des droits et privilèges que lui confère l’ONU augmenterait significativement la pression sur le régime de Tel-Aviv pour qu’il change de cap.
Ostraciser Israël a beaucoup plus de chance d’améliorer les perspectives de paix qu’une adhésion symbolique de l’État de Palestine à l’ONU.
Auteur : Moncef Khane
* Moncef Khane est un ancien fonctionnaire des Nations unies qui a été directeur politique du bureau de l'envoyé spécial conjoint pour la Syrie (2012-2014), officier de liaison avec le Parti du Kampuchea démocratique (Khmer rouge) (1992-1993) et membre du cabinet du secrétaire général Kofi Annan.
20 mai 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet